Chronique de
novembre 2012
Il y a peu de
temps, trois pilotes de Ryanair ayant
dû atterrir en urgence, à
quelques minutes d'écart, lorsque
leurs avions approchaient des niveaux de
carburant minimums requis dans le cadre des
règles de sécurité de
l'Union européenne, les
autorités espagnoles de l'aviation
civile avaient ouvert une enquête sur
les causes de ces incidents.
Ayant reçu
plusieurs questions à ce sujet,
j’apporte, ci-après, une
réponse globale
présentée sous forme d’
interview.
La
première question qui se pose est
de savoir qui décide de la
quantité de carburant à
embarquer ?
Réponse : Des propositions
sont faites au commandant de bord par les
agents des opérations aériennes,
dont le rôle est de regrouper toutes les
informations utiles qui figureront dans un
“plan de vol”, document confirmant son
engagement à effectuer la mission, dans
les conditions précisées par ses
choix. Puis, le commandant de bord
détermine la quantité finale,
après avoir pris en compte plusieurs
paramètres (charge marchande à
embarquer ; longueur de la piste ;
température ; longueur du
trajet ; conditions
météorologiques ; altitude
de vol ; vitesse de
croisière ; route choisie, …) qui
interviennent sur la durée du vol, donc
sur la consommation de carburant.
Existe-t-il des consignes
pour embarquer le moins de carburant
possible ?
Depuis les premiers chocs
pétroliers de 1975 et 1980, toutes les
compagnies, ont élaboré des
directives générales
recommandant aux pilotes de veiller à
éviter d’embarquer du carburant en trop
grande quantité. Pourquoi ? Parce que
plus un avion est lourd, plus il consomme. Par
exemple, sur un quadriréacteur, sur un
vol de huit heures, chaque tonne
supplémentaire de carburant
embarquée conduira à augmenter
la consommation d’environ 300 kilos, donc
brûlés inutilement. Cette
préoccupation de minimiser la
consommation de carburant est donc tout
à fait légitime. Elle a
même conduit, lorsqu’il existe des
coûts différentiels dans les
différentes escales desservies,
d’embarquer le maximum de carburant le moins
cher, car même en tenant compte de la
consommation supplémentaire due au
surpoids, le gain reste intéressant.
En
fait, étant donné qu’il n’y
a aucune certitude quant à la
réalisation des prévisions
de vol, essentiellement en ce qui concerne
les conditions
météorologiques à
l’arrivée, la réserve de
carburant est toujours soit trop faible,
soit trop importante, n’est-ce pas ?
Effectivement, le pilote a le choix
entre n’embarquer que la quantité
minimum réglementaire, ou embarquer une
réserve supplémentaire. Il en
résulte quatre cas possibles. Dans le
cas où le pilote n’a embarqué
que la quantité minimum, si tout le vol
s’est déroulé
conformément aux prévisions, sa
décision a été la bonne.
En revanche si le vent rencontré a
été plus fort que prévu,
si le trafic aérien a été
ralenti, le pilote - n’ayant pas de
réserve suffisante - devra aller se
poser sur un autre aéroport, avant
celui de destination finale, afin de reprendre
du carburant, ou, les conditions
météorologiques s’étant
dégradées, rejoindre
l’aéroport de déroutement.
Indépendamment des coûts induits,
il en résulte une perturbation dans le
déroulement des vols et un
désagrément certain pour les
passagers.
Dans le cas où le pilote s’est
ménagé une réserve de
carburant, si tout le vol s’est
déroulé conformément aux
prévisions, il a donc transporté
une quantité de carburant
supplémentaire inutilement, ce qui
pourrait lui être reproché a
posteriori. En revanche, en cas de
détérioration de la situation,
il a la possibilité d’attendre, par
exemple, une amélioration des
conditions météorologiques, ce
qui lui évitera de rejoindre un des
aéroports dits de “déroutement”.
Ce
n’est donc qu’après le vol que l’on
sait si le choix du commandant a
été le bon, ou non !
Exact. Et c’est à partir de
cette conclusion que j’avais engagé une
étude afin de quantifier les
conséquences de ces quatre
éventualités, grâce
à l’application d’un modèle que
j’avais élaboré, utilisant des
mathématiques et des statistiques
probabilistes. Chef pilote du secteur
Amérique du Nord, j’avais fait
établir des fiches à remplir par
les équipages. Le résultat fit
rapidement apparaître qu’ils avaient
rapidement assimilé la méthode
et que les gains qui en résulteraient
seraient élevés, tout en ayant
écarté les cas de
réserves insuffisantes ou excessives.
Cela
étant, peut-on critiquer un
commandant de bord qui n’a embarqué
que la quantité minimum
réglementaire ?
Il n’y a aucune raison. Mais ce que
l’on peut dire, c’est cette quantité
comprend celle nécessaire pour aller du
terrain de départ au terrain de
destination et, en cas de
nécessité, du terrain de
destination au terrain de déroutement,
plus des réserves (de route,
d'attente,...). Or, ce que ne prend pas en
compte la réglementation, c'est le fait
que lorsqu'il n'est plus possible
d'atterrir sur un terrain de destination
(piste inutilisable car verglacée,
enneigée ou occupée par un avion
en panne,...), ou que les délais
d'attente - avant d'avoir l'autorisation de se
poser - sont anormalement allongés,
presque tous les avions vont également
se diriger vers le même aérodrome
de déroutement, provoquant un nouvel
encombrement des voies aériennes. Il en
résulte que le terrain de
déroutement devient aussi
encombré que celui de la destination
initiale.
Et
alors ?
Les réserves initiales ne
permettant plus d’attendre une autorisation
d’atterrissage, il en résulte
inévitablement des demandes
d’atterrissage en urgence.
Avez-vous
un exemple ?
Il s’agit d’un vol Paris/Boston
où, après analyse de la
situation météorologique,
j'avais - au grand dam de l'économie de
carburant - embarqué 10 tonnes de plus
que la quantité
pré-calculée par l'agent
d'opération. Bien m’en a pris !
À Boston, les pistes étant
verglacées, tous les avions se sont
dirigés vers leur terrain de
déroutement. Le nôtre
était New-York, qui n'a pas pu
être retenu, car le temps d'attente
annoncé était supérieur
à une heure, pour les raisons que je
vous ai énoncées. Nous nous
sommes donc dirigés vers Washington,
terrain également trop encombré,
d’où l’obligation de prolonger
jusqu'à Philadelphie, où,
finalement, nous nous sommes posés, en
« urgence », avec de
très très faibles
réserves.
Il
n’y a donc rien d’anormal dans le fait que
les trois pilotes de Ryanair se soient
posés en urgence ?
Non. Cela résulte du fait que
les causes du retard à l’autorisation
à atterrir étaient les
mêmes pour les trois appareils.
Les
pilotes de cette compagnie subissent-ils
personnellement des pressions pour
embarquer le moins de carburant
possible ?
Cela a été
déclaré par “l’Association
européenne des personnels navigants
techniques” (ECA). Par ailleurs, le Syndicat
national des pilotes de ligne (SNPL
France-Alpa) aurait lancé une
enquête, dont il convient d’attendre les
conclusions.
Qu’en
pensez-vous, personnellement ?
Je n’ai aucune information me
permettant de donner un avis fondé sur
l’existence ou non desdites pressions. Cela
étant, elles peuvent revêtir
différentes formes qui vont de la
remarque désobligeante d’un agent des
opérations aériennes à
celle d’un haut cadre de l’entreprise. Je me
souviens d’un chef pilote qui embarquait
systématiquement le carburant minimum
réglementaire, démontrant ainsi
qu’il économisait des sommes
importantes à la compagnie. Bien
sûr, ce comportement ne pouvait
qu’influencer les pilotes, surtout ceux
nouvellement affectés sur les lignes
concernées. Voilà une forme de
pression insidieuse. Jusqu’au jour où
notre « Zoro »,
après avoir dû se poser deux fois
de suite en cours de route, a fini par un
atterrissage en extrême urgence au
terrain de destination.
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