J'en
accusai réception et m'entretins avec le pilote de
l'incohérence des relèvements. Nous étions à 1800
mètres, toujours dans la crasse, subissant une
turbulence moyenne, et dans cette situation, il n'est
pas possible de se sentir déporté vers les montagnes
plus hautes. Or, si le dernier QDM était exact, nous étions à
droite de la route à suivre. CARTE
Sans tarder, je transmettais à nouveau pour obtenir un
relèvement de Montélimar, le doigt sur le manipulateur
et le casque sur les oreilles, quand je perçus une
discussion entre le pilote et le mécanicien suivie d'un
vombrissement des moteurs, puis un choc assez brutal. Je
n'avais pas fini de transmettre !!!
Que s'était-il passé, Le pilote, inquiet des
informations disparates que je lui avais communiquées,
s'était concentré à guetter une éclaircie ou un trou
dans la couche nuageuse quand il aperçut soudain, comme
un éclair, à quelques dizaines de mètres plus bas, des signes qui
ne laissent aucun doute sur la présence du sol. Il hurla
au mécanicien de dégager la butée limitant la course des
manettes des gaz et il mit la puissance des moteurs tout
en amorçant un virage à gauche et en tirant sur le
manche afin de se dégager de cette situation
inconfortable.
Trop tard! Le train
fixe est venu s'enfoncer dans la couche neigeuse, puis
ce fut le choc et le silence. Il fallait se rendre à
l'évidence: un vol se termine toujours au sol.
A part le pilote qui
s'était fendu la lèvre en rencontrant de trop près le
tableau de bord, nous étions tous les trois indemnes
et je pus ouvrir la porte située sur ma droite,
à coté du SARAM qui semblait encore fonctionner. Nous
nous sommes retrouvés à l'air libre, enfonçant les
jambes dans la neige, un peu sonnés, mais pris tous
les trois d'un fou rire interminable à l'idée de s'en
être sortis aussi miraculeusement.
Le lecteur peut découvrir sur la photo ci-contre,
prise deux jours plus tard, ce que nous avons constaté
en faisant le tour de l'appareil: le JU-52, presque
intact, reposant sur le ventre dans une pente
enneigée. Le train et les deux moteurs latéraux
avaient amorti le choc en s'arrachant, et
l'hélice du moteur central était un peu
tordue.
Il était 15 heures et il fallait s'organiser, perdus
comme nous l'étions dans la neige, le froid, le vent
et le brouillard.
En pénétrant à
nouveau dans le poste de pilotage, j'ai constaté que
la cloison de séparation avec la cabine m'avait évité,
en se déformant, de recevoir tout le chargement sur le
dos. J'ai essayé d'envoyer un SOS sur 500 Khz et sur
2182, mais l'émetteur 3/11 ne fonctionnait plus. Après
avoir déroulé au-dessus du sol l'antenne pendante dont
le pilote tenait l'extrémité à une quarantaine de
mètres de l'appareil, j'ai utilisé le deuxième
ensemble émetteur/récepteur 0/12 pour transmettre un
message décrivant la situation (sans donner de
position précise et pour cause!). Une série de traits
continus permettrait peut-être de nous faire relever
par une station. Mais aucun accusé de réception.
J'interrompais de temps en temps pour permettre au
pilote de revenir se réchauffer un peu. Après 7 ou 8
tentatives, malgré mon souci de vérifier la fréquence
d'émission sur le récepteur 3/11, nous avons dû
interrompre nos essais vers 16 heures. La visibilité
n'était plus que de quelques mètres et il n'était pas
question de partir à l'aventure, à pied dans la neige
profonde et sans rien voir.
En remettant un peu d'ordre dans les colis que
transportions, nous avons découvert -la
Providence était vraiment avec nous- des cache-nez en
laine et des vestes en peaux de mouton.
Un coup d'oeil rapide sur l'émetteur principal nous
permit de retrouver des connexions qui n'avaient pas
supporté le choc ainsi que des fusibles sautés. Une
réparation sommaire les remit en état. De sorte
qu'après un frugal repas composé de dattes, d'oranges
et de muscat achetés à Casa, nous avons repris vers 21
heures les émissions radio. Peut-être, à cette heure,
la propagation serait-elle meilleure et le réseau
moins encombré. Il fallait tenter toutes les chances
et nous avions eu jusqu'à présent, pour être entendus.
Malheureusement la batterie s'était déchargée, il y
avait à peine 1,5 A dans l'antenne, et nous avons émis
sans résultat... Il ne restait plus qu'à chercher le
sommeil, bien emmitouflés à l'intérieur de
l'appareil.
Dés le lever du jour, nous avons découvert un autre
univers: le ciel était clair et le soleil
réapparaissait: les meilleurs conditions pour tenter
une échappée.
Les réactions humaines sont parfois curieuses: voulant
emmener avec nous nos valises, nous avions
confectionné un traîneau avec des bouées de sauvetage.
Inutile de préciser qu'enfonçant dans la neige
jusqu'au ventre, nous n'avons pas poursuivi très
longtemps notre improvisation.
Nous avons d'abord suivi ce qui aurait pu être un
chemin recouvert par la neige, mais au bout de
quelques temps, nous nous sommes rendu compte
que ce n'était pas la bonne direction. Il fallu
rebrousser chemin et repartir d'une façon plus professionnelle à
l'aide du compas de l'avion que le mécanicien avait
démonté.
Après plusieurs heures de marche, nous avons croisé un
météorologue de l'observatoire du sommet qui avait été
chercher son courrier à ski, puis la caravane de
secours, quelques kilomètres avant Sainte Colombe.
C'est ici que nous avons pu déjeuner, et par la suite
les gendarmes nous ont conduits en voiture jusqu'au
plus proche village de Bédouin. La caravane de secours
nous a alors donné des détails sur les recherches dont
nous avions fait l'objet: malgré l'alerte donnée par
la base d'Istres, après la perte de communication, les
recherches n'avaient pu être entreprises dans la
soirée à cause des mauvaises conditions météo. Ce
n'est qu'au matin qu'un chasseur de la base aérienne a
repéré l'épave à 100 mètres environ du sommet;
Son rapport était laconique: "des traces autour de
l'avion mais aucun signe de vie". Un DC 3 d'Air France
assurant la ligne Nice-Paris avait aussi confirmé la
position du "crash".
L'avion séjourna plusieurs semaines dans la neige
avant que le matériel récupérable soir démonté et
descendu dans la vallée, sa carcasse, elle, est restée
sur place pendant plusieurs mois.
*** "Tante Julie" ou "Tante
Ju", était le surnom officiel du Junkers Ju 52/3m.
Quelquefois appelé aussi la "vieille tante" (liste) retour dans le texte
FIN Le
rapport de la Commission...
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