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Au
sujet
du Tupolev qui s’est écrasé à Smolensk, j’ai
appris que l’aéroport était militaire et ne disposait pas
des installations radioélectriques permettant aux avions
d’atterrir par fort brouillard. Alors pourquoi les pilote a-t-il quand
même tenté d’atterrir ?
S’il en est ainsi, les “minimas” (hauteurs
en dessous desquelles le pilote ne doit pas descendre) sont alors
très élevés, ce qui ne permet pas d’atterrir en
toute sécurité. Des tentatives d’atterrissage ne
pourraient être justifiées uniquement que dans le cas
où la quantité de carburant à bord serait
insuffisante pour rejoindre le plus proche aérodrome accessible,
afin d’éviter d’avoir à se poser dans la nature, à
court de carburant.
Il convient d’ajouter deux
autres commentaires :
1/.-Cet avion n’arrivait pas
d’un long vol transatlantique avec peu de réserve de carburant
et, n’ayant effectué qu’un vol de très courte
durée, il devait avoir du carburant en quantité
suffisante, soit pour attendre une amélioration des conditions
météorologiques, soit même revenir à son
point de départ.
2/.-Lorsque la décision
de choisir d’atterrir sur cet aéroport a été
prise, la situation météo était connue. Le pilote
ne pouvait pas ignorer que le sous équipement de
l’aéroport n’autorisait d’envisager qu’un seul type d’approche
nécessitant une visibilité horizontale sur la piste de
1000 mètres, alors que celle qui a été
déclarée n’était que de 250 mètres.
Etant donné le fort brouillard
existant ce jour là sur l’aéroport, pourquoi l’avion
a-t-il été autorisé à se présenter
en approche et cela à plusieurs reprises ?
Normalement, le
contrôleur aérien communique au pilote les conditions
météorologiques et les prévisions à court
terme et il appartient au pilote de prendre la décision, soit
d’attendre une amélioration éventuelle, soit de tenter
une approche. Cela étant dit, en tenant compte du manque
d’installations radioélectriques permettant des approches dites
“de précision”, la question -qui ne manquera pas d’être
posée par les enquêteurs -est de savoir pourquoi
l’aéroport n’a pas été fermé au trafic
aérien de passagers ?
J’ai entendu dire que le pilote
n’avait pas fait quatre tentatives d’approche, mais une seule,
après avoir fait trois tours du circuit d’attente en altitude !
Si cette information
était confirmée, elle rassurerait quant à
l’incompréhension résultant du comportement du pilote,
essayant quatre fois de suite de se poser, sans l’aide de moyens
radioélectriques appropriés à une telle situation
météorologique. Il serait alors possible d’envisager que
le pilote, après avoir attendu en vol, mais en vain, une
amélioration de la météo, ait
décidé, avant de rejoindre un autre aéroport, de
tenter une approche jusqu’à descendre à la hauteur
minimale autorisée, au moment duquel, la piste étant
visible, un atterrissage pourrait alors être effectué. En clair
: “On descend et on décide en fonction de ce que l’on voit”. On
dit “Go and see”. Cela étant dit, puisque l’avion s’est
“crashé” avant l’entrée de piste après avoir
écrêté des arbres, cela peut, entre-autres,
résulter du fait que le pilote soit descendu très en
dessous des minimas ou qu’une erreur de calage altimétrique l’a
conduit à lui faire croire qu’il était plus haut qu’il ne
l’était en réalité. Toutes ces hypothèses
seront, bien sûr, envisagées et analysées par les
enquêteurs. Les quelques éléments de
réflexion présentés, ne sont là que pour
répondre à la question posée.
J’ai lu dans une revue anglaise
que le dialogue entre le pilote et le contrôleur militaire avait
été difficile du fait que le pilote polonais ne parlait
pas le russe et que le contrôleur russe ne parlait pas le
polonais et pas, ou mal, l’anglais. N’est-ce pas une anomalie?
Les règles
internationales régissant le transport aérien civil sont
claires. Elles indiquent que la langue utilisée est celle du
pays survolé ou de l’anglais. C’est ainsi que, par exemple, un
pilote français desservant des aéroports français
communique avec les contrôleurs de la navigation aérienne
en français, mais dès qu’il survol et dessert des
aéroports d’autres Etats, les communications se font en anglais.
Il en résulte que dès lors qu’un aérodrome -qu’il
soit civil ou militaire -accepte un trafic d’avions transportant des
passagers, ses contrôleurs doivent donc être en mesure de
connaître la phraséologie aéronautique standard.
Ici, également l’investigation sur la nature du dialogue entre
pilote/contrôleur est du ressort des enquêteurs.
Dans votre chronique vous avez
répondu à l’hypothèse de pression sur le pilote
militaire pour qu’il se pose. N’y a t-il pas de règle en la
matière?
Jean Claude Lartigau (qui a
passé 38 ans dans l'Armée de l'air) m’a confirmé
qu’en France, l'Armée de l'Air a rédigé l'IM 6000,
Instruction Ministérielle fixant les conditions
d'exécution des missions (amplitudes, temps de travail aux
commandes, repos, etc...,). Cette IM a été
complétée dans les années 60 pour protéger
le pilote, en le rendant seul responsable de la décision
technique de la conduite du vol, quelles que soient les injonctions des
passagers, aussi importants soient-ils,tout en le protégeant de
toute sanction.
L’enquête sera-t-elle
faite par la Pologne ou par la Russie ?
Les normes et pratiques
recommandées concernant les enquêtes sur les accidents
d'aviation ont été adoptées par la Convention
relative à l'aviation civile internationale (Chicago 1944), dans
son annexe 13, intitulée: “Normes et pratiques
recommandées -Enquêtes sur les accidents et incidents
d'aviation”. En ce qui concerne l'ouverture de l’enquête
technique sur les incidents graves, c’est l'État d'occurrence
qui ouvre une enquête sur les circonstances de l'accident et
constitue une “Commission d’enquête” qui rédigera un
rapport final. Cet État est, en outre, responsable de la
conduite de l'enquête. C’est lui qui, entre autres, prend les
dispositions en vue de la lecture des enregistreurs de bord.
L’“État d'immatriculation” et l'“État de l'exploitant”
ont la faculté de désigner un représentant
accrédité qui participera à l'enquête et de
nommer un ou plusieurs conseillers, pour seconder le
représentant accrédité. Les “États de
conception” et les “États de construction” ont également
la faculté de désigner un représentant
accrédité qui participera à l'enquête. Il
convient de noter que l'expression “participation” ne signifie pas
“appartenance à la Commission en qualité de membre”. En
effet, les “représentants accrédités” et les
“conseillers” des États ne participent pas à la
rédaction du rapport de ladite Commission. Indépendamment
de cette enquête technique, il peut y avoir une enquête
judiciaire dont les modalités diffèrent selon les pays
concernés (voir ma chronique de Novembre 2000 : “Les
enquêtes accidents aériens à l'étranger”).
(Visible sur le site
www.tourmag.com le 13 avril 2010)
ÉRUPTION
VOLCANIQUE
Le jeudi 15 avril, un
énorme nuage de cendres craché par un volcan d'Islande en
pleine éruption a cloué au sol une bonne partie des
avions dans le nord de l'Europe. Cette éruption volcanique
justifiait-elle cette décision de précaution consistant
à l’arrêt des vols ?
Il ne s’agit pas d’une
décision se référant au “principe de
précaution” lequel n’est appliqué que lorsque l’on ne
connaît pas la probabilité de survenance d’un risque. Ici,
les conséquences d’un tel événement sont bien
connues et la décision d’interrompre les vols est donc tout
à fait justifiée. En effet, ces nuages sont
particulièrement dangereux pour l'aviation, surtout dans les
premières heures, car les cendres qu'ils contiennent peuvent
entraîner l'arrêt de réacteurs et l'abrasion des
glaces de cockpit, des ailettes de compresseur, des bords d'attaque des
ailes, etc... À proximité du volcan en activité,
les nuages volcaniques ont une forme verticale dont le sommet peut
atteindre 20.000 mètres. Ils sont alors facilement
repérables par les équipages, non seulement du fait de
leur hauteur, mais également de leur couleur bleue-marron,
lorsqu'ils contiennent des cendres, bleue lorsqu'ils sont secs et
acides. Ces nuages ne restent pas au dessus des volcans. Ils se
déplacent et peuvent parcourir jusqu'à 2.000 km en 24
heures et faire plusieurs fois le tour de la terre. Ils prennent alors
une forme aplatie et évoluent généralement sous la
tropopause en se confondant avec d'autres nuages. Ils ne sont alors
plus repérables, mais ils restent détectables à
l'odeur d'oeuf pourri qui régnerait en, cabine et par des
picotements de gorge. Bien que beaucoup moins nocifs qu'au moment de
leur formation, le pilote changera rapidement d'altitude et tout
redeviendra normal. Ce phénomène est assez rare. Les
derniers incidents graves connus remontent à 1983, avec
l'atterrissage d'urgence de deux avions à Djakarta. (Suite,
visible sur le site www.tourmag.com le 22 avril 2010)
N’y a-t’il pas eu d’autres
éruptions volcaniques avant celle du volcan Islandais ?
À des fréquences
non prévisibles, il y a effectivement eu d’autres
éruptions volcaniques. Mais, depuis que des avions volent, c’est
la première fois que de tels nuages recouvrent des zones de fort
trafic aérien. C’est ainsi que, face à la survenance de
cette importante éruption, et en connaissance des risques
encourus, la nécessité de réagir rapidement a
été admise par tous les pays concernés, notons-le.
Est-ce que les gestionnaires de
l’espace aérien n’ont pas traité ces particules
volcaniques en suspension dans des nuages, comme l’ont fait les
instances médicales dans la récente pandémie de
grippe ?
Dans l’attente des vaccins, le
degré de gravité d’une pandémie est mesuré
par le nombre de décès enregistrés, critère
à partir duquel seront définies les mesures
préventives. Or, le degré de gravité d’une
éruption volcanique ne peut pas être mesuré en
comptant le nombre de “crashs”, à partir duquel des dispositions
seront prises ! Il convient donc, dans ce cas, de prendre des
dispositions de sécurité, en fonction des
différentes situations envisageables.
De quelles situations s’agit-il
?
En fait, on peut localiser deux
zones :
1/.-Une zone d’interdiction,
dans laquelle le risque d’arrêt des moteurs est quasiment
certain, celle délimitée par le nuage initial proprement
dit, et son déplacement initial.
2/.-Une zone de
précaution, délimitée par l’espace dans lequel
ledit nuage s’est répandu, en fonction de la force et de la
direction des vents. Dans cette zone, la masse nuageuse peut être
composée non seulement des nuages habituels, mais
également de ceux provenant de l’éruption volcanique.
Dans ce cas, certes, les radars permettent de localiser lesdits nuages,
mais pas leur composition. Il en résulte que deux situations
peuvent être rencontrées :
-La densité en
particules est élevée, et il y a risque d’arrêt des
réacteurs (comme cela s’est déjà produit). Cette
conséquence concerne donc la sécurité des vols.
-La densité en
particules est peu élevée et il n’y a qu’un risque de
dégradation des moteurs par corrosion, dépôts,
etc... Cette conséquence concerne donc la maintenance
(contrôles, inspections, nettoyages, etc...).
Étant donné que
ces situations dépendent de la densité en
molécules de poussières volcaniques contenues dans les
masses d’air traversées, il est évident -et c’est ce qui
a été fait, une fois la masse de nuages volcaniques
suffisamment localisée -que les dispositions indispensables
à la différenciation de ces situations nécessitait
de faire des tests en effectuant des prélèvements
d’échantillons d’air et en auscultant les appareils après
leur atterrissage.
En tenant compte des
perturbations pour les passagers, résultant de l’arrêt des
vols et des énormes pertes qui en résultent pour les
compagnies -mais également toutes les autres
sociétés intervenant dans la logique du transport
aérien -la question souvent posée est de savoir si “on
n’en a pas trop fait” ?
À la suite d’un tel
événement, celui d‘un nuage volcanique s’étalant
dans des zones de flux de trafic aérien très dense il est
facile -tout étant redevenu normal -d’affirmer qu’on en a trop
fait, ou pas assez fait ; qu’on a réagi trop vite, ou pas assez
vite ! Cela étant, force est de constater que la
quasi-unanimité des pays concernés, a montré une
cohérence dans les dispositions de prudence qui ont
été prises. En effet, on imagine quelle serait la
réaction des familles
des victimes, voire de tous les citoyens, si aucune disposition n’ayant
été prise, un avion de ligne s’était
“crashé”, ses moteurs n’ayant pu être remis en
fonctionnement ? Où -moins grave, certes, mais quand même
significatif -si un avion s’était posé, en “emergency”,
le pare-brise recouvert de cendres et un moteur en panne ?
Dès lors que les premiers tests
avaient été concluants, pourquoi ne pas avoir
autorisé les vols depuis tous les aéroports ?
Simplement parce que les
trajectoires des routes desservies à partir de tous les
aéroports ne passent pas toutes à côté de la
masse nuageuse contaminée. De plus, il est essentiel de retenir
que les résultats des tests effectués dans certaines
zones, ne sont valables qu’à un endroit donné et à
un moment donné. Si l’on admet que la situation ne peut que
s’améliorer avec le temps, puisque les particules -celles qui ne
sont pas encore tombées au sol -s’étalent dans un espace
de plus en plus grand, la densité citée ne peut donc que
diminuer. Bien sûr, cette conclusion n’est valable que si
l’éruption cesse !
La création de corridors
n’est-elle pas une bonne solution pour faire repartir les vols ?
Deux cas possibles :
1.-Le volcan se calme et la
masse nuageuse s’étalant sur une zone de plus en plus
étendue, la densité en molécules diminue.
Résultat : Il est alors possible d’effectuer des vols en toute
sécurité sur les routes aériennes habituelles, ce
qui rend les corridors inutiles ;
2.-L’éruption reprend de
plus belle et les nouvelles éjections de gaz viennent renforcer
les premières. Le déplacement des masses nuageuses
dépendra alors de l’évolution de la situation
météorologique mondiale (marais barométrique,
zones anticycloniques et dépressionnaires, etc...) laquelle
conditionnera la force et la direction du vent. Résultat : De
nouveaux tests seront à faire régulièrement, afin
de vérifier si les corridors initialement définis sont
toujours sûrs ou s’il
convient d’en créer d’autres. En bref, un corridor peut
être sûr un jour et ne plus l’être le lendemain. Le
fait que personne ne soit en mesure de prédire quel sera le
comportement du volcan -aussi bien à court terme qu’à
moyen terme -explique que dans plusieurs pays, les vols sur certaines
destinations n’ont pas encore été autorisés et que
la libération totale du trafic n’a pu se faire,
également, que progressivement. Cela étant dit,
dès lors que la reprise des vols est confirmée, c’est que
les autorités concernées tout en restant vigilantes sur
l’évolution de la situation -ont estimé que le
résultat des analyses autorisait cette reprise.
Alors, puisque ces masses
nuageuses se déplacent à très haute altitude,
n’est-il pas envisageable, de faire voler les avions en toute
sécurité sur les routes habituelles, mais à des
altitudes plus basses ?
Le décollage, puis
l’atterrissage sur le terrain de destination ayant été
étant autorisés, il est effectivement possible de faire
le vol à des altitudes plus basses que celles habituellement
retenues. Or, il convient de savoir que plus un avion vole haut, moins
il consomme de carburant. Entre autres conséquences, il en
résulte que, par exemple, sur une traversée
océanique, le fait de voler 2.000 pieds plus bas, conduit, pour
un quadriréacteur, à une augmentation de la consommation
de carburant d’environ 2 tonnes. Donc nécessité
d’augmenter la quantité de carburant à bord et, pour ne
pas dépasser la masse maximum autorisée au
décollage, de réduire la charge marchande
embarquée.
— *** --(Suite, visible sur le site
www.tourmag.com le 16 avril 2010) |
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