TourMag
: Transport aérien : un 11
septembre-bis est-il encore possible encore?
Jean Belotti
: On se souvient, ce jour là, de ces avions civils qui - une
nouvelle fois - furent confisqués par des pirates, pour
déclencher leur action criminelle d'envergure, jamais atteinte
auparavant. Par son ampleur, sa violence, par le choix des objectifs,
cette terrible attaque terroriste fût une tragédie
épouvantable, inimaginable, hallucinante, inconcevable.
Même les plus imaginatifs scénaristes d’Hollywood
n'auraient pu concevoir un tel scénario d’apocalypse !
Alors, est-ce encore possible ? La réponse est malheureusement
affirmative, car tout avion de ligne peut encore être une cible
pour des terroristes suicidaires.
:
Mais la
réactivité des États-Unis a cependant
été quasi immédiate?
J.B. : Effectivement,
les Etats-Unis ont montré leur réactivité, leur
dynamisme, en prenant rapidement des dispositions afin de secourir une
industrie en détresse. C’est ainsi que trois semaines
après l’attentat, le Congrès avait voté des aides
de plusieurs milliards d’US$, afin de sauver l’industrie du transport
aérien, donc l’économie américaine.
:
Et pour ce qui concerne la
sécurité?
J.B. : Le
président Bush - à la mi-novembre - avait signé
une loi sur le renforcement de la sécurité
aérienne pour redonner "confiance" aux américains, dans
le transport aérien. Dès lors, chaque Etat eut la
responsabilité de la sécurité dans les
aéroports et le contrôle des passagers. Les
sociétés privées de sûreté furent
remplacées par des inspecteurs fédéraux,
obligatoirement de nationalité américaine, qui ne peuvent
pas faire grève.
:
Parmi les dispositions
prises, celle d’un renfort du contrôle des passagers a donc
rapidement été mis en place. Mais la question qui se pose
est de savoir si ces contrôles toujours plus tatillons dans les
aéroports, sont efficaces?
J.B. : Si l’on
tient compte, d’une part, du peu de cas où des passagers
potentiellement dangereux ont été interceptés
avant d’embarquer et d’autre part, et surtout, des énormes
coûts qui se comptent par millions d’US$ (personnels,
matériels, retards,...) d’aucuns estiment que si ces sommes
avaient été affectées, par exemple, à
l’amélioration du réseau routier, des dizaines de
milliers de vies auraient été sauvées.
: Alors, ces contrôles servent-ils
à quelque chose ?
J.B. : Leur
première vertu est d’être “rassurants” pour les passagers.
Mais il convient de savoir qu’il existe de nombreuses autres
façons de monter dans un avion sans être passé par
les filtres de police et bien sûr, je ne les décrirai pas
ici - bien que d’ailleurs probablement déjà connues des
terroristes - mais simplement pour ne pas diffuser d’informations
contributives à un nouvel attentat éventuel. Cela me
remet en mémoire l’article d’un journaliste en mal de copie ou
à la recherche du sensationnel qui, non seulement, a
expliqué comment fonctionnait le système qui avertissait
les contrôleurs aériens que l’équipage
n’était plus maître de la conduite du vol, mais a
indiqué le numéro du code affiché par les pilotes.
Il en est résulté que dans les actes illicites
passés, tous les pirates de l’air, dès qu’ils
pénétraient dans le poste de pilotage, vérifiaient
que l’équipage n’affichait pas ledit code sur leur
“transbordeur”, dont ils connaissaient d’ailleurs l’emplacement exact.
: Il reste la protection des portes
d’accès au cockpit qui sont maintenant verrouillées!
J.B. : Blindées
et verrouillées, elles ont pour but d’empêcher les pirates
de pénétrer dans le cockpit en vue de renouveler le
même type d’attentat. Cette protection, en limitant
considérablement le risque d’un attentat semblable à
celui du 11 septembre, a probablement contribué à
réduire également la fragilité de l’avion à
ces actes de terrorisme. En effet, cette disposition ne laisse aux
terroristes que l’option de faire exploser un avion en vol. Mais la
question qui se pose est de savoir si cet objectif fait encore partie
de leur plan de déstabilisation de nos démocraties ?
En effet, pourquoi, pour ce faire, être obligé de mettre
en place une très lourde organisation, alors qu’il est si simple
d’intervenir au sol sur les avions en stationnement sur les
aéroports. Vous vous souvenez probablement de
l’expérience faite aux Etats-Unis où, en quelques mois,
des inspecteurs - sur plus de 150 tentatives - ont réussi
à passer au travers des filets de sécurité six
fois sur dix. Les médias avaient alors qualifié les
aéroports de “vraies passoires” !
: Et que pensez-vous de l’idée des
américains d’armer les pilotes?
J.B. : Les
pilotes de ligne ont fermement montré qu’ils ne voulaient pas
jouer les shérifs faisant régner l’ordre, pistolet
à la ceinture, ni accepter que la cabine des passagers se
transforme en champ de tir entre des pirates et des policiers en civil.
Les raisons pour lesquelles, nous qui sommes des passagers, devons nous
féliciter de la position des pilotes, ont déjà
longuement été exposées et je n’y reviendrai pas
ici.
: Ce jour là, des avions de chasse
avaient décollé pour intercepter et abattre
éventuellement un avion qui avait été
détourné par les pirates. Est-ce encore envisageable et
efficace?
J.B. : Dès
lors que l’intervention des pirates s’effectue dans la phase d’approche
de l’avion, il est bien évidemment trop tard pour qu’une alerte
ayant été déclenchée, les avions de chasse
puissent intervenir suffisamment tôt.
: Finalement, la menace reste donc
réelle?
J.B. : Les
faits montrent que les objectifs des terroristes sont essentiellement
de déclencher des catastrophes d’envergure, susceptibles de
provoquer un traumatisme quasi-mondial. Si tel est le cas, alors il
faut admettre qu’il existe de nombreuses autres cibles qui sont
beaucoup plus faciles à détruire et dont l’impact est
nettement plus importante que celle de la perte d’un avion et de ses
passagers. Bien sûr, ici également, inutile de les citer.
J’ajouterai qu’il
convient de veiller à ne pas tomber dans le panneau du soit
disant “principe de transparence” nécessaire à
l’information des foules, déclenchant et propageant dans tous
les pays une psychose et des dizaines de dispositions, aussi
coûteuses qu’inutiles, sinon celle de tenter de rassurer ! Par la
même, on fait parfaitement le jeu des terroristes qui, en plus de
l’attentat, ont pour objectif de semer une psychose qui affaibli et
stresse tout le monde. En effet, leur objectif est donc doublement
atteint : une première fois par les pirates qui ont
déclenché la psychose et une deuxième fois par la
victime, elle-même, qui contribue à sa propagation au sein
des populations.
En ce qui concerne le
transport aérien, il n’y a donc plus qu’à espérer
que les terroristes soient suffisamment satisfaits des
conséquences résultant de leur attentat du 11 septembre
2001.
: Une conclusion, huit ans après ce
terrible drame?
J.B. : Il
convient de se rendre compte que nous sommes en guerre. En guerre
contre un ennemi quasiment insaisissable, pouvant intervenir à
tout moment et en tout lieu, avec toutes les conséquences qui en
résultent et qui touchent profondément nos
démocraties. Une guerre, qui n’est pas faite par des militaires
qui se combattent, mais une guerre qui tue des milliers d’innocentes
victimes civiles. Notre Président de la République a
rappelé que la France restait très vigilante.
Comment mettre fin
à cette invasion de nouveaux barbares sapant les fondements
de nos sociétés démocratiques ? Seule une
coopération internationale est susceptible de mettre fin
à ces attaques terroristes qui trouvent leur source dans le
fanatisme. La tâche est évidemment d’une extrême
complexité, mais elle doit être prise à bras le
corps car, en constatant que, presque chaque jour, des attentats
suicidaires ont encore lieu dans plusieurs pays, on imagine
l’importance du réservoir de “kamikazes” qui ont
été endoctrinés et sont prêts à
intervenir, le moment venu.
Il reste
à espérer que les efforts engagés par les
gouvernements permettront, qu’enfin, la paix règne sur la terre.
— *** ---
Réponses aux questions des
lecteurs
: Les médias se sont faits
l’écho de graves et inquiétants dysfonctionnements du
contrôle aérien de Roissy CdG. Qu’en pensez-vous?
Réponse :
Tout d’abord, il convient de rappeler que, de nos jours, le
contrôle aérien - pour gérer le nombre, la
variété et la complexité des situations
rencontrées - est fortement informatisé. Cela
étant dit, les systèmes mis en place étant
exploités par des hommes et des femmes, ils peuvent donc
être faillibles. “Errare humanum es !”. L’essentiel est
que l’opérateur la constate et prenne la décision
corrective. Si cela n’a pas été fait, la
conséquence de l’erreur (à la
limite, la catastrophe) est
évitée, grâce à des systèmes
permettant de détecter et corriger l’erreur, à
différents niveaux. Quant aux pilotes, ils disposent, depuis
plusieurs années, d’un système (TCAS
- “Traffic Collision Avoidence System) permettant
d’éviter les collisions en vol.
Une nouvelle fois, force
est de constater que les médias, à partir d’une simple
erreur d’un contrôleur, s’autorisent à critiquer leur
professionnalisme et, ce faisant, contribuent, grâce à un
“scoop” à “la Une”, de semer le doute sur la validité du
contrôle aérien français, qui est un des meilleurs
du monde et à faire peur aux passagers aériens.
En conclusion, il n’y a
aucun argument sérieux dans la grave accusation qui a
été portée contre les contrôleurs
aériens de Poissy, en notant d’ailleurs la contradiction qui
existe entre “plusieurs catastrophes ont
été évitées” et "plusieurs incidents heureusement sans conséquences". Alors, rassurez-vous, la probabilité d'une
catastrophe aérienne due à une erreur humaine d’un
contrôleur aérien français est la même que
sur n’importe quel grand aéroport international et reste
extrêmement faible, sachant bien sûr, que si l’on peut
tendre vers le “risque zéro”, il ne peut-être atteint.
: Les difficultés rencontrées
par les compagnies aériennes ne vont-elles pas contribuer
à l’accélération des regroupements
constatés depuis quelques années?
Réponse :
Le processus de concentration des entreprises existe depuis ce qui a
été dénommé “la révolution
industrielle”. Les économistes représentent son
évolution avec la courbe de Gini.
Une première
accélération s’est produite à la suite de l’
“Airline Deregulation Act” de 1978 qui, après avoir conduit
à une suite de fusions-absorptions de plus de 60 % des 230
compagnies américaines, a vu l’émergence de
méga-compagnies disposant de quasi-monopoles, dont j’avais
commenté les effets dans un article publié par la revue
“Transports” (avril-mai 1987).
Puis, l’émergence
des “alliances globales” fut un fait marquant dans le
développement du marché du transport aérien civil,
puisque les cinq premières alliances globales (OneWorld , Star Alliance ; L’Alliance : Wings ; Qualiflyer
Group) couvraient déjà plus de 60%
du trafic mondial à la fin du siècle passé. (Pour plus de détails, voir ma chronique “Vers des
hyper-groupes aériens” de Juilllet 2000).
Effectivement, le
ralentissement de l’économie mondiale est un
accélérateur des concentrations.
C’est ainsi que, par
exemple, alors que Japan Airlines (JAL) la première compagnie aérienne privée
japonaise, avec une dette de 10,5 milliards d’€, demande le soutien de
l'Etat, American Airlines prépare un rapprochement avec elle,
sous forme de “Joint Venture” ; Delta serait disposé à
investir jusqu'à 550 millions US$ dans Japan Airlines, afin de
devenir son premier actionnaire ; Air France/KLM serait en
discussion en vue d'une prise de participation dans JAL. Par ailleurs,
une fusion BA/Iberia est envisagée.
Le processus et irréversible et je l’avais présagé
et décrit en 1976 (thèse de
doctorat d’Etat “L’économie du transport aérien).
: AirFrance/KLM va réduire ses
effectifs. Cela signifie-t-il que le groupe est en difficulté?
Réponse :
Plusieurs autres compagnies ont également et déjà
procédé à des réductions d’effectifs et de
leur offre, pour s’adapter à la baisse de trafic, dûe
à la crise économique mondiale. Cela étant, le
trafic qui était en baisse et repassé en positif en
août et il suffirait d’une confirmation de cette tendance pour
que les plans de réduction d’effectifs soient remis dans les
tiroirs.
Quant à
Air France/KLM, qui figure parmi les premières compagnies
aériennes mondiales, elle est actuellement très au dessus
du seuil de vulnérabilité, contrairement à
d’autres grandes compagnies (JAL, Iberia,...) . En 2007/2008, elle a transporté plus de 73
millions de passagers, avec une flotte de 622 avions (263 d’Air France et 112 de KLM ; 55 de Cityhopper ; 43 de
Brit Air ; 30 de City Jet : 68 de Régional ; et 51 autres). À la clôture du 11 septembre l'action Air
France-KLM était à 11,50 €, soit une augmentation de plus
de 25% depuis le début de l’année.
: L’A380 est maintenant en ligne et je me
demande comment il sera possible d’évacuer tous les passagers en
cas de déclenchement d’une “évacuation rapide” au sol ?
Réponse : Les
règlements sont très précis en la matière.
Ils précisent que les caractéristiques des issues de
secours et des moyens d’évacuation doivent permettre
l’évacuation de tous les occupants en moins de 90 secondes. Il
est rassurant de savoir que la démonstration exigée (pour capacité de plus de 44 passagers) doit être faite de nuit et, de surcroît, avec
seulement la moitié des issues de secours bloquées. En ce
qui concerne l’A380, soyez donc rassuré, car il a
été démontré que 853 personnes pouvaient
être évacuées en 78 secondes.
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