Tourmag : Que
pensez-vous des nombreuses pannes
survenues sur le Boeing 787 dreamliner,
quatorze mois, à peine,
après le premier vol en ligne et
qui ont inquiété la
communauté aéronautique?
Jean Belotti : La suite d’anomalies -
fuites d’essence, problèmes de freins,
..., largement commentée par les
médias, a probablement
inquiété le grand public, qui
légitimement a pu se poser des questions
sur la dangerosité du Boeing 787. La
communauté aéronautique, quant
à elle, a pris les sages décisions
qui s’imposaient.
Tourmag : Quelles
décisions ?
J.B. États-Unis,
la FAA (Federal aviation authority) a
également cloué au sol les six
Boeing 787 de United. Le Chili et
l'Inde ont pris la même décision
de suspension des vols. Puis,
dans la foulée, c'est l'AESA (Agence
européenne de la sécurité
aérienne) qui a bloqué au sol les
deux exemplaires de la compagnie polonaise Lot.
Tourmag : Peut-il
y avoir des pressions des institutions
nationales sur les constructeurs?
J.B. : Il est normal que les
institutions françaises et
américaines défendent leurs
compagnies. Des exemples sont connus, mais
essentiellement dans le domaine commercial et
dans les négociations de droits de
trafic, par exemple. Il est impensable que de
telles pressions interviennent dans le domaine
de la sécurité. D’ailleurs, les
décisions qui ont été
prises en sont une preuve sans équivoque.
Tourmag : Ces
décisions ne vont-elles porter
préjudice au carnet de commandes du
Boeing 787?
J.B. À tout le moins,
pour le moment, Boeing estime qu’il n’y a aucune
relation probante entre lesdites pannes et les
plus de 800 commandes déjà
enregistrées, par une cinquantaine de
compagnies. Ceci, à juste raison, car les
compagnies aériennes,
indépendamment de la qualité de
leurs relations avec les constructeurs, sont au
fait des problèmes posés, et
savent que tout est mis en œuvre pour les
résoudre, à plus ou moins
brève échéance.
Tourmag : Il
reste que Qantas a annulé la
commande d'un des quinze Boeing 787
Dreamliner commandés pour sa
filiale Jetstar!
J.B. :
D’après les médias, Qantas
aurait précisé avoir pris
cette mesure avant que ce type d'appareils
ne soit cloué au sol.
Tourmag : Il
y a quand même eu sept incidents, en
une dizaine de jours?
J.B. : Une première
réponse est d’admettre que cette
série d’incidents résulte de ce
que l’on nomme communément “la loi des
séries” (appelée
aussi “sérialité”), vérifiable
dans la plupart des activités humaines ou
autres phénomènes, tels que
météorologiques, par exemple.
C’est ainsi que les pannes diverses, anomalies
de fonctionnement de certains sous-ensembles,
sont courantes sur tous les types d’avion,
après leur mise en service. Elles sont
qualifiées de « maladie de
jeunesse », qui touchent aussi bien
les avions d’Airbus que ceux de Boeing. Les
exemples sont nombreux. On a en mémoire
les criques qui ont été
détectées sur les ailes de l’A380.
Noter qu’au fil des ans, cette
sérialité a également
été constatée dans la
survenance de graves incidents ou accidents
aériens.
Tourmag :
Mais comment peut-il y avoir
de telles pannes, alors que l’avion a
été certifié?
J.B. : Deux mots sur la certification.
Les épreuves
de certification d’un avion, donc de tous ses
sous-ensembles, comprennent de très
nombreux tests de différentes natures,
selon des protocoles très stricts,
respectant des normes bien définies,
garantissant une large marge de
sécurité.
Après avoir donné
satisfaction à tous les tests et
vérifications au cours d’une longue
procédure, l’avion est estimé
« bon pour le service » et
reçoit un CDN (Certificat de
navigabilité). Puis toute modification,
aussi minime soit-elle, par rapport à ce
CDN originel, doit faire l'objet d'un document
d'application approuvé par les
autorités. Elle est
matérialisée par l’édition
d’une consigne (AD - “Airworthiness Directive”), dont
l’application est impérative ou
simplement recommandée (SB - “Service
Bulletin”).
Il est donc rassurant de savoir que,
dès la mise en ligne d’un avion, le
fonctionnement de ses systèmes est
constamment amélioré en fonction
des anomalies constatées (souvent
signalées par la compagnie) et des
améliorations envisagées par le
constructeur.
Cela étant, il convient de
préciser le
fait que dès que la probabilité de
la survenance d’une panne est de 10-9 (soit
une sur un milliard), le risque n’est pas pris
en compte. C’est ainsi que, par exemple, pour un
quadrimoteur, la panne de deux moteurs d’un
même côté, pendant le
décollage (alors qu’il a
dépassé la vitesse à
laquelle le pilote ne peut plus arrêter
son avion avant l’extrémité de
piste) n’est pas prise en compte.
Il résulte de cela qu’il peut
arriver, surtout lors des premiers mois
d’exploitation, que surviennent des pannes quasi
improbables, ce qui a été
constaté, à plusieurs reprises au
fil des ans.
Tourmag : Il
a été avancé que le
début d’incendie survenu sur un
Boeing 787 de la compagnie All Nippon
Airways ayant entraîné un
atterrissage d’urgence, était
dû aux batteries lithium
fabriquées par des japonais!
J.B. deuxième
incident a entraîné des fuites
d'électrolytes inflammables, des
émanations de chaleur et de la
fumée sur deux modèles de Boeing
787. En effet, pour les curieux, il a
été précisé que la
production d’oxygène provoquée
lors d’un incendie rend inefficaces les
extincteurs mis à bord. Quant à
ces batteries, elles ont été
choisies parce qu’elles sont beaucoup plus
légères et moins encombrantes que
celles actuelles équipant les avions de
ligne.
L’occasion est propice, ici, pour
rappeler que les constructeurs font appel
à de très nombreux sous-traitants.
Pour le B 787, une partie des ailes est
fabriquée au Japon et il est
également fait appel à des
sous-traitants français. C’est donc au
sous-traitant concerné de proposer une
solution aux constats de dysfonctionnements ou
à la dangerosité de son
système. Pour ce faire, il faut tout
d’abord identifier le problème en
commençant par rechercher quel est le
sous-traitant concerné. Ici, est-ce le
japonais qui fabrique lesdites batteries ?
Est-ce le français qui fourni le
système électrique incluant
lesdites batteries ? Après
résolution du problème, s’imposera
une nouvelle certification. Les experts
s’accordent pour dire que ces opérations
ou même le changement éventuel de
fournisseur prendraient un certain temps, ce qui pourrait
amener Boeing à suspendre ses
livraisons pendant plusieurs mois ! Les
énormes pénalités
en cas d’un tel décalage dans le calendrier des
livraisons et les non moins importantes
compensations à accorder pour
l’immobilisation au sol des cinquante
exemplaires déjà livrés
à huit compagnies, porterait un coup
très dur à Boeing ! Et cela
au moment où Boeing se glorifiait
d’avoir engrangé
plus de commandes d'appareils que son concurrent
Airbus !
Il
ne reste donc plus qu’à espérer
qu’une solution transitoire soit
trouvée, permettant une reprise des
vols contrôlés par des
inspections rapprochées.
Tourmag
: Pourquoi
cette accélération de
mettre en ligne des avions de plus
en plus performants?
J.B. : Tout d’abord, par la
pression de la demande des compagnies qui pousse
le constructeur à la satisfaire. Mais,
également, par le constructeur qui
propose un nouveau modèle
incorporant des éléments
scientifiques et techniques récents, qui
grâce à une forte base scientifique
et technique offre de nombreux avantages
(exemples : volume de la cabine et des
soutes, vitesse et altitude de croisière,
nouveaux moteurs moins polluants, moins bruyants
et plus économes sur le plan de la
consommation de carburant, etc…), frappant, de
surcroît, les autres appareils
d’obsolescence.
Or, les techniques en jeu vieillissant
rapidement, les constructeurs doivent faire face
à la cadence infernale des mutations
imposées par une offre
mondialisée. De plus, tous les
systèmes entrant dans la composition d’un
avion sont généralement
interdépendants et de plus en plus
sophistiqués et complexes. Il ne faut
donc pas s’étonner qu’après la
certification initiale, surviennent, lors de la
mise en ligne et des divers effets de
l’exploitation dus aux
spécificités des réseaux
(altitude élevée
d’aéroports conduisant à des
vitesses d’approche plus
élevées ; écarts de
température ; pistes
enneigées ; nombre et importance des
turbulences subies ; nature de la
maintenance ; nombre d’étapes ;
etc…) surviennent des dysfonctionnements ou
défaillances de certains systèmes.
Tourmag : Alors, on est en droit de se poser
la question de savoir si
l’intégration simultanée de
nouvelles innovations technologiques, avec
recours à de très nombreux
sous-traitants, n’est pas une prise de
risque?
J.B. : Certes, toutes les
hypothèses doivent être prises en
compte. Cela étant, souvenons-nous des
critiques qui avaient été
portées contre Airbus après
l’innovation des commandes électriques.
Par ailleurs, en cas d’accident qui surviendrait
à la suite du dysfonctionnement d’un
système ancien, la critique ne manquerait
pas de reprocher à la compagnie ou au
constructeur concerné de ne pas avoir
installé un nouveau système
existant et plus performant ! C’est
ce que j’ai déjà eu l’occasion
d’entendre lors d’un procès. Quant
àl'externalisation
de la production, comme je vous l’ai
dit, elle est irréversible.
Tourmag : Boeing
serait-il devenu un constructeur dangereux?
J.B. : La réponse est
non, pour les quatre raisons suivantes :
1°.- Le fait que le Boeing 787 ait
accumulé trois ans de retard
démontre que de nombreuses
difficultés ont été
rencontrées et que des solutions ont
été apportées, sans pour
autant avoir précipité sa mise
en ligne. J’ajouterai que la
réalisation de tels programmes est
tellement complexe qu’elle conduit à
des retards chez tous les constructeurs.
Airbus a rencontré de nombreuses
difficultés lors du lancement de son
A380. Quant à l’A350XWB, il est
probable qu’il ne respectera pas la date de
livraison initialement prévue. Il en
est de même chez les autres
constructeurs, comme par exemple les
Mitsubishi Regional Jet japonais, ARJ21 et
C919 chinois.
2°.- Il faut avoir eu l’occasion
de visiter les chaînes de montage de
Boeing pour être convaincu du
sérieux et de la compétence de
tous les personnels et de la parfaite logistique
mise en œuvre. Il faut avoir eu l’occasion de
voler avec les pilotes d’essais de Boeing pour
constater leur parfaite connaissance des
performances et limites de leurs avions. Ces
constats s’appliquent également à
Airbus, ce qui est rassurant.
3°- Il faut avoir piloté
plusieurs types de Boeing, par les temps les
plus exécrables, pour être
conscient de la sensation de
sécurité ressentie par les
pilotes. La reconnaissance des performances a
d’ailleurs été partagée par
toute la communauté aéronautique.
4°.- Tout simplement, parce que le
constructeur n’a vraiment aucun
intérêt à livrer un avion
dont il est sait qu’il existe des imperfections
susceptibles de provoquer un accident, avec,
entre-autres, tous les effets négatifs
sur son image de marque.
Tourmag : Une
conclusion?
J.B. : Présenter, en
quelques mots, une conclusion sur un tel
dossier, sans en connaître les tenants et
aboutissants, serait une gageure bien
risquée. Alors, la prudence conduit
simplement à espérer que pour
toutes les pannes constatées, des
solutions seront apportées dans les
meilleurs délais, afin que les
interdictions de vol soient levées. À
ce moment là - indépendamment du
risque de la survenance d’un accident pour toute
cause indépendante de l’avion, comme sur
tout autre vol - il n’y aura plus à
hésiter de voyager sur un B787.
Depuis quelques années, alors
que le trafic aérien est en constante
augmentation, le nombre d’accidents est, lui, en
diminution, ce qui montre bien que tous les
intervenants, constructeurs les premiers, ont
contribué à une
amélioration de la sécurité
aérienne.
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