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CHRONIQUE NOVEMBRE
2009 Cette chronique reproduit l’interview de Jean Da LUZ (site "www.tourmag.com") portant sur la réaction des pilotes d’Air France à une lettre de leur Direction concernant la sécurité des vols et sur l’annonce d’une prochaine grève pour s’opposer au report à 65 ans, de la date de mise à la retraite des pilotes, qui est actuellement de 60 ans LETTRE NOVEMBRE 2009 |
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TourMag : La lettre d’Air France relative à la sécurité des vols, envoyée à ses pilotes a été très mal perçue par leurs syndicats représentatifs. Qu’en pensez-vous ?
Jean Belotti
: Connaissant les efforts engagés depuis de très
nombreuses années par Air France pour améliorer la
sécurité des vols - entre autre, la création d’un
service de sécurité d’analyse des vols - il est
évident que l’initiative des rédacteurs ne pouvait
découler que d’une bonne intention. Cela étant dit, il
est également évident que le contenu de ladite lettre ne
pouvait que déclencher une réaction des pilotes.
TourMag : Pour quelles raisons ?
J.B. - Pour comprendre et répondre, il faut avoir lu cette lettre, ce que tous vos abonnés n’ont peut-être pas eu l’occasion de faire. En fait, le bât blesse, pour deux raisons. D’une part, parce qu’il est fait un rappel général sur l’impérieuse nécessité de respecter les procédures, ce qui sous-entend que les pilotes ne le font pas systématiquement, donc met en cause leur professionnalisme et leur sens des responsabilités. D’autre part, et surtout, parce que, associé à se rappel, est cité l’accident du vol AF447 (on lit : “Force est de constater que ce n’est pas le cas et l’actualité récente nous prouve le contraire”), laissant ainsi supposer que sa cause se trouve dans le non respect de la procédure par l’équipage, alors qu’à ce jour l’enquête étant encore en cours - sans les précieuses informations fournies par les boîtes noires - aucune conclusion définitive ne peut être donnée.
TourMag : N’est-il pas normal de rappeler la nécessité de respecter les procédures ?
J.B. : Cela est fait systématiquement et normalement lors des qualifications et tout le long de la formation des pilotes, ainsi que lors des contrôles annuels en vol et au sol, sur simulateur.
S’il
convient de respecter les procédures, il n’en reste pas moins
que dans certaines conditions, plusieurs d’entre-elles restent
difficiles à appliquer. De plus, ce rappel d’un strict et
mécanique respect des procédures, sans intervention
“intelligente” des pilotes, n’est pas totalement fondé. Si les
pilotes connaissent les règlements et disposent de consignes
précises à appliquer scrupuleusement en fonction des
indications de leurs instruments, ils savent également que tout
n’est pas dans les manuels, car les consignes - élaborées
à la suite de la prise en compte de la probabilité de
survenance des pannes - ne peuvent couvrir tous les cas possibles
rencontrés en opérations normales. Ils savent aussi que
ces procédures de secours - réalisation d’une
“check-list”- ne traitent que d’une manoeuvre à la fois, car il
est impossible de donner des instructions pour traiter toutes les
combinaisons imaginables de survenance simultanée de deux -
voire trois - graves dysfonctionnements. Ils savent également
que ces règlements à respecter ont, certes,
été élaborés en conformité avec des
normes internationales, mais en prenant des marges de
sécurité suffisantes en cas de dépassement
éventuel.
TourMag : Avez-vous un exemple ?
J.B. :
Bien sûr. Exemple : Il existe différentes limitations de
masse d’un avion, dont la masse maximum à l’atterrissage. Si
l’avion arrive à destination avec une masse supérieure,
le pilote prendra les dispositions pour consommer le carburant en trop,
le plus rapidement possible afin de se poser en respectant ladite
limitation. En revanche, en cas d’urgence - aggravation de la situation
météorologique, panne mécanique,...- l’avion
pourra se poser en toute sécurité, le règlement
prévoyant, dans ce cas, certaines vérifications à
effectuer sur les trains d’atterrissage.
TourMag : Faut-il ou non appliquer ces procédures ?
J.B. : Bien évidemment, il n’est absolument pas question, ici, d’approuver la non application des procédures, ni de laisser entendre que les manuels d’utilisation sont insuffisamment complets.
En
revanche, si, effectivement, la responsabilité des pilotes est
en cause dans certains accidents, il convient cependant de mettre en
exergue le fait que leur expérience et leur compétence
ont permis de sauver leurs passagers et leurs appareils dans d’autres
circonstances aussi délicates qu’imprévues. Dans un de
mes récents ouvrages (“Indispensables pilotes”), j’ai
décrit comment plusieurs accidents avaient pu être
évités, grâce à la décision de faire
une manoeuvre interdite par les règlements qui encadrent la
profession. Si l'accident a pu être évité, cela est
dû à un réflexe, une réaction salvatrice
quasi-instantanée du pilote qui a pu prendre sa décision,
grâce à son expérience, son haut niveau de
qualification, sa concentration, son savoir-faire et son sang froid,
qualités indispensables à l’exercice de la profession.
Sachez que tout pilote, dans sa carrière, a vécu au moins
une fois, voire plusieurs, de telles dangereuses situations, dont la
solution ne se trouvait dans aucune des milliers de pages des manuels
de vol.
TourMag : Alors se pose la question de savoir comment améliorer la sécurité ?
J.B. :
D’abord, il convient de rappeler que la sécurité à
grandement été améliorée depuis plusieurs
années, grâce à la participation de tous les
intervenants : Administration de tutelle, constructeurs, motoristes,
équipementiers, compagnies, équipages, organisations
représentatives des personnels. Il reste, qu’en ce qui concerne
la formation des pilotes, plusieurs constats conduisent à
conclure à certaines insuffisances. La liste est longue :
critères de sélection ; durée et contenu des
stages ; expérience en vol ; gestion des situations
dites”dégradées”; entraînement à la
maniabilité ; etc...
TourMag : Pouvez-vous préciser un exemple ?
J.B. : Je
pense
aux
films
qui
circulent
actuellement
sur le “Net” et qui montrent
une incapacité de ces pilotes à réagir
correctement lors d’atterrissages par fort vent de travers. Il convient
de savoir que les avions sont certifiés pour pouvoir se poser
avec des vents de travers, dont la force maximum est fixée dans
les textes. Respectant ces conditions, il n’y a aucune raison - sauf
forte rafale - que l’atterrissage ne se passe pas normalement, d’autant
plus que même si le pilote ne “décrabe” pas l’avion au
moment de toucher le sol, les trains d’atterrissage sont prévus
pour absorber une prise de contact, alors que les roues ne sont pas
dans l’axe de l’avion. Cela étant dit, indépendamment de
la force du vent traversier, d’autres paramètres sont à
prendre en compte
(rafales, longueur et état de la piste exigeant une prise de
contact rapide,... ).
Malheureusement,
ces
conditions
ne
sont
pas
(ou mal) reproduites sur
les simulateurs de vol et comme les qualifications se font
essentiellement sur simulateurs, avec très peu
d’entraînement en vol (ou pas du tout), il en résulte que
des pilotes peuvent donc se trouver devant des situations qu’ils n’ont
jamais rencontrées, d’où les constats faits par de
nombreux internautes. Il fut un temps où l’atterrissage vent de
travers était systématiquement fait, car il est facile de
trouver un aéroport avec une piste sensiblement perpendiculaire
à l’orientation du vent. Il suffisait, alors, d’une ou deux
approches pour que le nouveau qualifié comprenne comment
procéder pour faire un atterrissage tout à fait normal.
Ayant bien compris et vécu cette situation, l’instructeur avait
alors la certitude qu’il pourrait l’appliquer lorsqu’il l’a
rencontrerait en ligne.
TourMag : Un autre exemple ?
J.B. : Celui
de
l’avion
qui
ayant
“décroché”
à
la suite d’une
vitesse trop faible, peut prendre d’importantes inclinaisons, voir
s’engager dans ce que l’on nomme une “vrille”. Quant à
l’importance de la perte d’altitude, cela me remet en mémoire un
vol d’entraînement en Caravelle où, à 18.000 pieds,
l’exercice consistait à faire “décrocher” l’avion afin
que le pilote perçoive les signes précurseurs et sache
récupérer la situation. Or, le stagiaire n’ayant pas fait
la bonne manœuvre corrective, en moins d’un tour de vrille, nous avons
perdu 8.000 pieds. Bien sûr, on est remonté à
18.000 pieds pour refaire correctement l’exercice. De nos jours, ces
exercices “grandeur nature” ne sont plus effectués.
TourMag : En fait, ce serait donc toute la formation qui serait à revoir ?
J.B. :
Effectivement. Ce sera la mission d’un audit qui a d’ailleurs
déjà été envisagé par Air France. La
validité de ses conclusions dépendra de la constitution
du groupe chargé de cette enquête, dans laquelle devront
également être intégrés des pilotes, non
seulement ceux de la compagnie, mais également ceux qui les
représentent à travers leurs syndicats. En effet, pour
les pilotes également, la sécurité est une
préoccupation permanente de tous les instants. Derniers
intervenants dans la chaîne logistique, ils en sont totalement
imprégnés. Cela fait partie de leur culture, de leur
formation, de leur obligation de résultat. Leur concentration
est donc permanente, dès les premières décisions
à prendre lors de la préparation du vol et à
chaque instant, pendant tout le vol. Il est donc important que leur
expérience et leurs avis soient pris en compte.
TourMag : Passons à un tout autre sujet celui de la grève des pilotes, du 14 au 17 novembre, pour s’opposer à voir leur fin de carrière à 60 ans reportée à 65 ans.
J.B. : À la suite de l'application d'une recommandation de l'OACI (Organisation de l'Aviation Civile Internationale) - également en passe d'être adoptée, puis imposée à toutes les compagnies européennes - il s’agit effectivement d’un projet en discussion au Parlement prévoyant de faire passer l'âge maximal de départ en retraite des pilotes de 60 à 65 ans (et de 55 à 60 pour les hôtesses et stewards) à partir de 2010.
J’ai
déjà répondu à cette question, mais
dès lors que cette grève est justifiée par “les
conséquences
pour
la
sécurité
et
celle
des
passagers”, amène à déclarer que cette
justification n’est pas fondée. En effet, étant
donné qu’une des principales composantes de la
sécurité est l’expérience, elle permet de pendre
les meilleures décisions en ce qui concerne la gestion du vol,
donc de la sécurité et de l’économie du vol. Quant
aux risques d’ennuis de santé pour les pilotes ayant
dépassé les 60 ans, il ne peuvent représenter un
danger tant que les pilotes sont reconnus “bons pour le service”,
à la suite des examens médicaux auxquels ils sont
régulièrement soumis.
TourMag : Les textes prévoient quand-même d’affecter à un commandant de bord ayant dépassé les 60 ans, un copilote âgé de moins de 60 ans ?
JB. :
Il s’agit d’une décision classique non fondée : on ouvre
le parapluie ! En effet, les faits montrent que les rares cas de
"malaise cardiaque" survenus en vol ou d’“incapacité subtile”
ont été ceux de pilotes âgés de 40 à
60 ans, et non pas ceux de pilotes ayant dépassé les 60
ans.
TourMag : N’ayant pas retenu la justification de la sécurité, qu’en est-il de l’impact sur l’embauche des jeunes pilotes à la suite du déplafonnement de 60 à 65 ans ?
JB. : Comme déjà dit, il a été démontré, depuis longtemps et dans toutes les activités humaines, que ce n’est pas en coupant les ailes des anciens qu’on améliore la situation des jeunes et je n’y reviendrai pas, ici. De toute façon, étant donné les énormes besoins en pilotes dans les prochaines années, on ne voit pas en quoi le fait qu’un certain nombre de pilotes acceptent de rester en activité jusqu’à 65 ans serait de nature à pénaliser le recrutement de jeunes pilotes. Dans l’hypothèse où la crise actuelle s’estomperait, la croissance du trafic aérien attendue et la nécessité de former rapidement des milliers de pilotes sera, au contraire, une pression à décaler dans le temps l’échéance de la retraite, sauf à accepter - comme cela s’est passé pendant de nombreuses années - à donner des équivalences à des pilotes sous-qualifiés et sans expérience.
Licencier des pilotes à 60 ans, c’est donc se délester volontairement d’une partie du “savoir faire” des compagnies aériennes. Depuis quelques années, l’espérance de vie augmente à grand pas, l’efficacité des soins et des médicaments est de plus en plus performante, le confort à bord des avions est en constante amélioration. On pourrait donc, logiquement, penser que cela devrait permettre de décaler dans le temps toutes les limites surannées du siècle passé ! Eh bien, non. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le mouvement est totalement inversé. L’âge limite d’activité des pilotes qui était, pendant de nombreuses années fixé à 70 ans, a été ramené à 65, puis à 60.
Une
dernière remarque. La plupart des pilotes qui, il y a bien
longtemps, ont oeuvré pour que la limite d’âge de 65 ans
soit ramenée à 60 ans, se sont, dès leur fin de
carrière à Air France, précipités vers
d’autres compagnies françaises et étrangères et
ont continué à exercer leur métier jusqu’à
65, voire 70 ans. Tout cela pour dire : “Faites ce que je dis, mais ne
fait pas ce que je fais”. Néanmoins, il est quand même bon
de constater qu’aucun d’eux n’a rencontré des ennuis de
santé susceptibles d’être préjudiciables à
la sécurité des vols.
TourMag : Donc grève inutile ?
J.B. : Chacun pouvant apprécier en fonction de ses sensibilités personnelles, voici quelques éléments à prendre en compte.
* L’EASA (Agence Européenne pour la Sécurité Aérienne) va prochainement décider de repousser la date de cessation d'activité des pilotes européens à 65 ans, décision qui s'imposera à tous, de manière uniforme, dans les 27 pays membres de l'Union Européenne, sans que les Etats puissent en atténuer la portée.
* Il convient également de souligner que chaque pilote pourra décider de continuer ou non jusqu’à 65 ans. Il s’agit donc de volontariat.
* Fin 2006, lors d'une conférence de presse, l'un des responsables de la FAA (Federal Aviation Administration) a déclaré : “L'expérience d'un pilote de ligne compte. C'est une marge de sécurité en plus. Les compagnies aériennes étrangères ont démontré que l'expérience d'un commandant de bord en bonne santé lui permet de voler au-delà des 60 ans, sans nuire à la sécurité des passagers”.
* Enfin,
notons également une étude réalisée par des
scientifiques spécialisés dans la recherche sur le
vieillissement, de Palo Alto en Californie : “Les connaissances
accumulées grâce aux expériences antérieures
permettent à ces pilotes expérimentés de conserver
pendant longtemps des compétences optimales”.
— *** ---
Bonjour,
1.- Ma Chronique de novembre 2009
Cette chronique (dans le fichier joint, sous Word) reproduit l’interview de Jean Da LUZ (site "www.tourmag.com") portant sur la réaction des pilotes d’Air France à une lettre de leur Direction concernant la sécurité des vols et sur l’annonce d’une prochaine grève pour s’opposer au report à 65 ans, de la date de mise à la retraite des pilotes, qui est actuellement de 60 ans.
2.- Sites
L’ "Association Aéronautique Astronautique de France" présidée par Michel SCHELLER, édite une Lettre "3 AF" richement documentée. Adresse : 6, rue Galilée, 75016 Paris.
Tél. : 01 56 64 12 30. www.aaaf.asso.fr. E-mail : lettre@aaaf.asso.fr.
3.- Ouvrage : "La naissance d’Ariane"
À un moment où on évoque beaucoup l’Europe... on oublie qu’une des premières réalisations concrètes au niveau des pays européens a été, dès 1964, de se lancer dans la conquête spatiale face aux États-Unis et à la Russie. C’est ce défi réussi avec le lanceur Ariane que nous évoque Jean-Pierre MORIN - retraité du CNES - sachant qu’aujourd’hui, la moitié des satellites géostationnaires du monde est lancée par Ariane. Bien que scientifique, l’auteur à des talents d’écrivain permettant une lecture passionnante de cette aventure européenne réussie. Editions Edit.
4.- Nouvelle classe et reclassement des classes à Air France (depuis le 1er avril 2009).
* Sur le long-courrier : "Espace Première devient "La Première" (8 sièges) ; une nouvelle classe est créée : "Premium Voyageur" (28 sièges) ; "Espace Affaires" devient "Affaires" (67 sièges) ; "Tempo" devient "Voyageur" (200 sièges).
*Sur moyen-courrier : "Espace Affaires" devient "Affaires" ; "Tempo Challenge" devient "Premium Voyageur" ; "Tempo devient "Voyageur".
* Sur court-courrier : "Tempo devient "Voyageur" ; "La navette" reste "La navette"
5.- SUP’AERO
Il y a 100 ans, était créée, par le Colonel ROCHE, la première école d’ingénieurs de l’aéronautique au monde, devenue, en 1928, Sup'Aéro. Ce centenaire sera commémoré par un colloque, le 17 décembre 2009, organisé avec la Commission Histoire de l'AAAF et le concours des associations aéronautiques françaises. Pour tous renseignements :
Philippe Jung : 06 81 08 46 79 - philippe.jung3@free.fr
Bernard Moretti : 01 40 71 09 09 - association@supaero.org
Bien cordialement.