TourMag.
- Pendant 48 heures, de très mauvaises conditions météorologiques
exceptionnelles ont créé, la semaine passée, d’importantes perturbations
sur les aéroports de Roissy Charles de Gaulle et de Marseille. Qu’en
pensez-vous ? Jean
Belotti. - Seule la possession de
toutes les informations liées aux causes des perturbations permet de donner un
avis fondé. Actuellement entre les mains des représentants des aéroports
concernés, elles seront communiquées à T.M.
- Cette intervention de l’administration de tutelle, sous forme d’une
enquête administrative est-elle opportune ? J.B.
- La réponse est oui. En revanche, l’objectif assigné signifie qu’il y
a déjà conviction de la part des autorités - à tout le moins une forte présomption
- de l’existence de dysfonctionnements. Même si l’on peut penser que les
enquêteurs prendront en compte toutes les réponses qui seront apportées, il
n’en reste pas moins que la mission est d’enquêter à charge et non pas à
décharge. Il eût été plus normal d’annoncer “une enquête administrative
immédiate sur les importantes perturbations ayant affecté les passagers aériens...”. T.M.
- Ce type de conditions météorologiques pénalisant le transport est-il fréquent
? J.B.
- La réponse se trouve dans la
consultation des statistiques des services météorologiques ou des aéroports.
Personnellement, en trente cinq ans de carrière, le nombre de fois où j’ai dû
passer sous le système de dégivrage, sur les aéroports de Roissy et d’Orly,
se compte sur les doigts d’une seule main. T.M.
- Pouvez-vous nous dire deux mots sur cette impérieuse nécessité de dégivrer
les avions ? J.B.
- La neige qui se dépose et la glace qui se forme sur les ailes et la
cellule de l’avion peuvent alourdir la masse d’un avion de plusieurs tonnes
et modifier les performances aérodynamiques pendant le décollage. Décoller
avec une masse dépassant de plusieurs tonnes la masse maximum autorisée au décollage
avec, de surcroît, des performances aérodynamiques dégradées n’est pas
envisageable. Quelques exemples de telles tentatives de décollages ont conduit
à une catastrophe. T.M.
- C’est donc la raison pour laquelle les avions se présentent sous des
baies de dégivrage, mais alors, pourquoi, cette opération ayant été faite,
le trafic est aussi ralenti ? J.B.
- Lorsque que l’aéroport est
enneigé et les pistes verglacées, le trafic est ralenti pour plusieurs
raisons, entre-autres : tous les chemins de roulement donnant accès à la piste
de décollage n’ont pas forcément été dégagés par les chasse-neige ; des
avions n’ayant pas pu quitter leur aire de stationnement à l’heure prévue
sont très souvent obligés d’attendre une nouvelle autorisation du contrôle
aérien ; etc... Mais également, et surtout, dès que l’avion a été dégivré
il doit pouvoir se présenter le plus rapidement possible pour le décollage,
sinon il y a formation d’un nouveau dépôt de glace. Il en résulte donc que
la gestion habituelle du trafic au sol permettant aux avions de se présenter à
la queue leu leu et de décoller à quelques minutes d’intervalle, n’est
plus praticable. T.M.
- N’y a-t-il pas insuffisance des
moyens mis en place ? J.B.
- Votre question est au cœur du sujet. Tout d’abord il convient de savoir
qu’un aéroport est composé de nombreux sous-ensembles (pistes, taxiways,
pompiers, alimentation en carburant, parcs de stationnement, salles
d’embarquement et de débarquement, etc ...) qui impliquent des
investissements dont les montants sont extrêmement élevés. Donc, nécessité
de rechercher le niveau permettant une utilisation et une rentabilité
optimales. À cet égard, il n’est pas envisageable qu’un entrepreneur - par
vocation, rationnel - s’organise pour absorber le trafic des quelques jours de
pointe annuelle et le gérer dans les meilleures conditions possibles de sécurité,
efficacité, confort et fluidité. En effet, tout le reste du temps l’aéroport
serait sur-équipé et les coûteux investissements, révélés inutiles, pénaliseraient
lourdement la rentabilité. Bien sûr, il n’est pas question, non plus, d’un
investissement minimum se référant à la période creuse, car l’aéroport
aurait, en quasi-permanence, des capacités d’accueil insuffisantes. En fait,
le niveau des investissements est calculé en fonction de très nombreuses paramètres
et variables conjecturelles. Or, étant donné que le temps s’écoulant entre
la prise de décision et la mise en exploitation effective des installations se
calcule en mois, voire en années, on imagine aisément que le niveau choisi
initialement ne soit pas tout à fait le mieux adapté... d’où, d’ailleurs
- dans la phase de croissance du trafic aérien depuis plusieurs années - les
quasi-permanents agrandissements constatés sur la plupart des aéroports.
C’est ce qui explique qu’un aéroport est presque toujours soit sous-exploité,
soit sur-exploité. Les passagers constateront, effectivement, qu’en fonction
des périodes de l’année et des heures, les aéroports sont encombrés avec
toutes les conséquences qui en résultent, ou alors ils sont quasiment vides...
En conclusion, puisque le système n’est pas en mesure d’assurer en
permanence un service de qualité, même dans les conditions normales
d’exploitation, il ne faut pas s’étonner que dans des situations tout à
fait exceptionnelles, une importante dégradation des prestations puisse être
constatée. T.M.
- Mais les aéroports américains ne
sont-ils pas plus performants dans de telles situation ? J.B.
- La réponse est non. Mêmes contraintes, mêmes causes, donc mêmes effets.
Chef-pilote du réseau Amérique du Nord, pendant de nombreuses années, j’ai
constaté le même type de perturbations. Je me souviens, il y a une quinzaine
d’années, de la rapide arrivée d’une dépression accompagnée de très
denses chutes de neige sur New York, où régna une formidable pagaille, pendant
48 heures. Idem à Washington. T.M.
- Et pourtant, il est dit que les performances des aéroports canadiens sont
des meilleures ? J.B.
- C’est exact, mais pour la simple et bonne raison qu’étant donné la fréquence
plus élevée des tempêtes de neige, ils se sont armés d’équipements de déneigement
plus importants. Il n’en reste pas moins que certains phénomènes ne peuvent
pas être maîtrisés, comme celui où l’ensemble des taxiways et aires de
stationnement se transforment quasi-instantanément en une vraie patinoire. Ce
jour là, réacteurs en marche et roulant à très faible vitesse, je n’ai pu
rester sur le taxiway que par l’utilisation asymétrique des “reverses”. T.M.
- J’allais oublier de parler de Marseille ? J.B.-
Sans informations complémentaires, les mêmes arguments sont, a priori, également
valables pour Marseille... Il est vrai que de la neige à Marseille est
un phénomène tellement rare que la mise en place d’un système de dégivrage
paraît bien inutile. Pour la petite histoire, il y a plusieurs décennies,
l’aéroport avait été recouvert d’un beau et immaculé manteau de neige.
Les Marseillais n’en croyaient pas leurs yeux ! Ce fut pour eux et pour les
passagers présents de prendre des photos en souvenir de cet exceptionnel événement.
T.M.
- Finalement, faut-il admettre
qu’il n’y a rien à faire pour pallier les perturbations météorologiques
d’hiver ? J.B.
- En ce qui concerne les équipements, l’aéroport de Roissy est équipé
de plusieurs baies de dégivrage. Les quatre pistes auraient été traitées préventivement
par plus d’une centaine d’agents depuis dimanche minuit au moyen d'engins de
déneigement. Est-ce suffisant ? Se reporter à l’optimisation des
investissements. T.M.
- Et aussi, faut-il admettre qu’il
n’y a rien à faire pour éviter les désagréments subis par des milliers de
passagers ? J.B.
- Il faut commencer par dire ce qui a été fait. On ne peut pas passer sous
silence l’exemple d’Air France qui, ayant annulé plus de 100 vols, a prévu
des couchages d’appoint pour plusieurs centaines de passagers bloqués dans
l’aéroport, la réservation de centaines de chambres d’hôtels et distribué
des milliers de bons de restaurant et plusieurs centaines de bon de taxis. T.M.
- Est-ce suffisant ? J.B.
- Tout d’abord, il convient de noter que les compagnies d’aviation ne
sont pour rien dans la dégradation des conditions météorologiques, lesquelles
pourraient être considérées comme des cas de “force majeure” dégageant
la responsabilité des compagnies. À ce stade, il est difficile de dire si les
dispositions prises sont suffisantes ou pas. Ce qui est important de noter
c’est qu’elles ont été déclenchées. T.M.
- Je voulais dire, n’y a-t-il pas d’autres dispositions à prendre pour
minimiser les désagréments subis par les passagers ? J.B.
- L’effort principal doit porter sur l’information du risque. Cette
information est d’ailleurs habituellement diffusée par les médias : en cas
de tempête (rester chez soi) ; de routes verglacées (ne pas se déplacer en
voiture) ; de cyclone (rester chez soi et se barricader); etc... En
ce qui concerne les passagers, en plus de la radio et de la télévision, ils
peuvent être contactés par téléphone et courriels, lorsque leurs coordonnées
ont été enregistrées par la compagnie. La ferme recommandation à faire
admettre est de ne pas se rendre à l’aéroport. Ce message est essentiel. En
effet, l’objectif à atteindre est d’éviter l’encombrement de l’aéroport
qui devient effectif dès que quelques vols sont retardés, voire annulés.
Dès lors que l’aéroport continue à se remplir, la situation devient
catastrophique et s’aggrave d’heure en heure. Il convient donc de tout
mettre en œuvre pour éviter d’en arriver là. T.M.
- Une conclusion ? J.B. - Patience en attendant le résultat de l’enquête administrative qui, indépendamment de la mise en exergue d’éventuelles responsabilités ne manquera probablement pas de faire des recommandations tant en ce qui concerne la lutte contre le givrage des avions qu’en ce qui concerne le service dû aux passagers. --- *** ---
|
RETOUR
CHRONIQUES JEAN BELOTTI
OU
L'Amérique et l'Aéropostale |
Le dernier
ouvrage de Jean Belotti Indispensables
pilotes Une partie Des ouvrages de Jean Belotti dans la rubrique "Chroniques" |
L'espace virtuel du réalisateur de cette page Henri Eisenbeis |
Dernière mise à jour/ last updating: 14 janv. 2009 |