“Point de vue... Aéroports de province” 

Nous nous souvenons tous de l’évolution des réseaux aériens à la suite de l’apparition des “charters”, de la “deregulation Carter”, de l’émergence des “low cost” et des différents accords internationaux. Ayant longuement développé les raisons pour lesquelles il y avait insuffisamment de « hubs régionaux » et de lignes transversales en France, comme en Europe, ce qui aurait donné de l’oxygène à des dizaines d’aéroports régionaux, je n’y reviendrai donc pas ici.

En revanche, pour débuter l’année en douceur, voici reproduit le texte d’un de mes lecteurs, sous le titre :

Conte de Noël “Mon petit aéroport de Province”

par Pascal CASENOVE

Notre passager de ce jour, est un habitué des vols long-courriers, depuis de nombreuses années. Dans la mesure du possible, il évite les aéroports parisiens, car c'est trop long, fatiguant et très contraignant : sécurité, police, militaires à tous les coins, racket pour le parking, le transport, les boissons, les sandwichs… La mauvaise humeur et le stress sont partout, on est dans une usine où l'on parque du bétail. Il redoute donc d'avoir à utiliser Roissy, ou Orly.

Dans de nombreux aéroports de province, c’est tout le contraire, et il nous raconte un exemple vécu.

Il est 9 heures du matin, il a fini ses préparatifs pour son départ vers la Martinique. Son avion est à 10 heures. Il a donc le temps. Un quart d'heure de route et le voilà sur le parking de l'aéroport de Lannion Côtes d'Armor, où il trouve de suite une place pour garer sa voiture, à une trentaine de pas de la porte d'entrée. Elle va rester là un mois... le parking est gratuit.

Pas besoin de chariot pour sa valise, pour les quelques cinquante mètres le séparant du tapis d'enregistrement. Il n’y a que quelques personnes devant lui ! C'est rapidement son tour. La dame qui enregistre ses bagages le reconnaît, c'est elle qui lui a vendu son billet la semaine dernière. Elle y va de quelques commentaires sur la Martinique, et lui demande de lui ramener, un peu de soleil, tout en s'activant pour lui sortir sa carte d'embarquement. Gros problème : sa valise est trop lourde ! Son bagage à main étant presque vide, il lui propose d'y transférer quelques dossiers, mais finalement elle lui dit que c'est bon, et la valise part sur le tapis roulant.

Le contrôle de police est efficace, mais rapide, c'est la même équipe qui contrôle les bagages qui vont en soute et les personnes. En cas de problème, il très facile d'en discuter et de trouver une solution et, en plus, dans la bonne humeur. Dix minutes d'attente avant l’embarquement et c'est parti pour un vol sans histoire, direction Paris.

À Orly, c’est un autre monde ! Il lui faut attendre trois heures la correspondance. Enfin, il peut se diriger vers l'enregistrement de mon vol pour voir où en est l’embarquement. Certaines personnes font la queue depuis deux heures, et ils n'ont pas fini... Nombreux sont les passagers dans la file d'attente qui sont partis de Paris ou de sa banlieue, très tôt ce matin, et depuis, ils traînent leurs valises, de taxis, en métro, en chariots. Pour les plus chanceux, c'est deux heures d'embouteillage dans la voiture d'un copain, plus une partie de cache-cache pour pouvoir se garer quelques minutes, pas trop loin de la bonne porte d’entrée, sans être verbalisé.

Ayant déjà sa carte d'embarquement depuis Lannion, il se dirige vers l’avion et laisse les autres passagers faire la queue dans un ambiance électrique, enfants en pleurs, énervement, personnel sur les dents,... étant plutôt content d'arriver de province. Vingt minutes pour présenter son passeport à un fonctionnaire, dont la tête montre qu’il aimerait bien être ailleurs...

Il ne décrit pas l'arrivée en Martinique, avec toutes les spécificités locales, et à défaut d'une efficacité « au top », une bonne humeur omniprésente et il passe directement au vol retour.

Comme d'habitude (eh oui !), une demi-heure de retard de l'avion, plus une autre à attendre un passager, dans un avion surchauffé, et c'est parti pour 8 heures de vol. Le décalage horaire aidant, il commence à s'endormir un peu avant la descente sur Orly. Atterrissage en douceur. Applaudissement des passagers quand l'avion touche le sol. Sensation de fatigue, mais il voit qu’il n’est pas le seul à qui il manque une nuit de sommeil. Comment fait le personnel de bord pour être toujours aussi pro, aimable et serviable ? Mystère !

Autrefois, il lui arrivait de « descendre » de l'avion à Paris. Il se souvient des heures passées à attendre les bagages, des bousculades, taxis, métro, embouteillages, contraventions… et tout ça, avec une nuit de sommeil en moins. Galère ! Heureusement, il va sur Lannion. Une petite demi-heure de queue au contrôle de police, et même pas un coin où poser la tête pour dormir ! Il pensait prendre un petit café, mais avec le retard de l'avion et les « douaneries » matinales, il a juste le temps d'embarquer. Sa valise est déjà en soute. Il commence par piquer un somme contre le hublot, mais l’annonce des côtes bretonnes le réveille. Atterrissage sans problème. Pas d'attente. L'aéroport n'est pas surchargé. En cinq minutes l’avion est à son parking, à une trentaine de mètres de la porte de l'aérogare, guidé par Georges l’agent au gilet orange. Ce dernier place les plots et les barrières de sécurité pour guider les passagers, pendant que le pompier de service pousse un gros chariot à bagages. En parcourant les quelques trente mètres pour rejoindre l'aérogare, il voit Georges et le pompier, tous les deux occupés à décharger les valises et il reconnaît la sienne. Aussitôt arrivé devant le tapis roulant, celui-ci se met aussitôt en marche, et il récupère sa valise très rapidement. Il lui reste maintenant une cinquantaine de mètres pour aller jusqu'à sa voiture, mais en route, il rencontre l'hôtesse qui lui a vendu son billet et qui l'a enregistré à l'aller. Cela le fait sortir de son presque sommeil pour lui rappeler qu’il lui a ramené une bouteille de rhum, pour toute l'équipe de l’escale, si sympathique. Tout en discutant, il voit Georges passer, donner des instructions à tout le monde, porter du matériel pour l'embarquement du prochain avion et, finalement, repasser en poussant une personne âgée dans un fauteuil roulant. En s’éloignant de l’aéroport, il pense à tous ces passagers qui étaient au dessus de l'atlantique avec lui, et qui, en ce moment même, sont certainement encore englués dans des embouteillages, alors que, dans un quart d'heure, il va échanger crêpes et cidre contre citrons et rhum avec les voisins.

De cette histoire, maintes fois répétée, il lui vient de nombreuses questions. Dans l'industrie quand on fait une grosse usine, c'est pour profiter de l'effet d'échelle, réduire les coûts, améliorer la qualité … Pour les aéroports, c'est le contraire, plus ils sont gros, plus les taxes sont élevées, pour un service toujours moindre, malgré la pub !

Alors qu’à Lannion - et c'est valable dans de nombreux aéroports de province - on apprécie l’efficacité d’une équipe qui est au service des voyageurs, à Orly on est entre les mains de gardiens chargés de canaliser du bétail.

Alors qu’à Lannion tout se fait dans un rayon de 200 mètres, dans la bonne humeur et la confiance, à Paris, des kilomètres de marche, des heures de queue, rarement un sourire, mais des pistolets mitrailleurs…

Quant aux différents problèmes qui peuvent survenir, dans une petite structure, il est très facile de les voir venir et de les traiter à échelle humaine, alors que dans une grosse structure ce n’est quasiment plus possible, faute de moyens humains, et l’application de méthodes pas toujours compatibles avec celles de la pseudo-sécurité à la mode.

La majorité des passagers de l'avion pour la Martinique avait fait plus de 100 km pour venir faire la queue. Alors, j'imagine des tas de petits aéroports, pas très chers, mais très accueillants, offrants pleins de petits services, et allons-y, avec même des commerces et de bons petits restaurants … qui fonctionnent même sans l’apport des passagers fréquentant l’aéroport.

Pour cela, il faudrait supposer que tout le monde soit prêt à accepter un petit aéroport pas très gênant, pas loin de chez lui. Il sait que c'est un rêve, mais imaginons ! Moins de temps perdu, moins de voitures ou de transport en commun, moins de mesures de sécurité, et moins de problèmes. Service de proximité, et même service tout court, si l'on compare avec la situation qui s'est installée, et quand on fait le compte, voyage moins cher. Vous aussi vous imaginez… avion plus facile à prendre, plus sympa, coûts réduits, donc plus de trafic, de vols, de destinations…

Il n’est pas le seul à rêver et rappelle qu’il y a quelques années une compagnie proposait de relier de nombreuses villes de province en passant par un “hub” situé, lui aussi, en province. C'était un début..., mais il n’en n'existe plus !

À tous ceux qui se plaignent des problèmes d'avion, d'aéroport, il leur dit simplement, le prochain long courrier que vous prendrez, partez de Lannion, ou de Perpignan, ou de Grenoble … Vous verrez déjà que, plus détendu, les petits problèmes ont moins d'importance. Et si en plus vous avez un agent sympa de la même ville qui vous écoute, vous connaît, ou vous reconnaît, vous explique, vous prendrez plaisir à voire votre statut passer de bétail, à client.