Interview du Général Fleury
STATUT DES AÉROPORTS
* Deux lois venant de modifier profondément le
statut des aéroports (a), j’ai souhaité, dans
cette chronique, vous présenter un avis autorisé, celui
d’une personnalité de tout premier plan - le Président
Jean FLEURY (b) - qui a bien voulu m’accorder une interview.
J.B.- En France, il existe
une grande variété d’aéroports civils selon que l’on considère l’importance de leur
trafic. Quels sont leurs statuts?
J.F.- Au plan des statuts, au 1er
janvier 2005, on pouvait les répartir comme suit :
- deux établissements publics
spécialisés, Aéroports de Paris (ADP) et
l’aéroport de Bâle-Mulhouse ;
- des aéroports implantés sur le domaine public
et donnés en concession aux chambres de commerce et d’industrie
(CCI). C’est le cas de la plupart des aéroports et, à
l’exception de la Polynésie, de toutes les plates-formes dont le
trafic dépasse 200.000 passagers annuels ;
- des aéroports implantés sur le domaine public
et donnés en concession à des syndicats mixtes ou des
sociétés d’économie mixte regroupant
essentiellement des collectivités locales ;
- quelques petits aérodromes privés.
J.B.- Que dit la Loi du 20
avril 2005 ?
J.F.- La loi du 20 avril 2005
change le statut d’Aéroports de Paris (ADP) pour transformer
l’établissement public en société anonyme,
dotée de fonds propres. Ses activités restent de service
public pour ce qui concerne l’accueil des passagers, des avions et du
fret et font l’objet d’un cahier des charges défini par
décret (c).
J.B.- Quel sera l’impact de ce
changement de statut sur l’accueil des passagers ?
J.F.- A priori, aucun. Le respect
du cahier des charges permettra de concilier les intérêts
de toutes les parties en présence : passagers,
transitaires, compagnies aériennes, employés,
économies locales, riverains. Le choix des administrateurs sera
également important pour faire respecter ces équilibres.
J.B.- Quid des terrains ?
J.F.- Les terrains deviennent tous
propriété de la société - la moitié
d’Orly et la totalité de Roissy-CDG appartenaient
déjà à ADP - qui, maître de son domaine, en
assurera directement la gestion. Ceci garantit à la France de ne
pas voir les aéroports de sa capitale gérés par
des intérêts étrangers, suite à un appel
d’offre européen, bientôt obligatoire pour toute
concession de service public. La région Ile de France, la ville
de Paris et la CCI de Paris continueront à siéger
à son conseil d’administration. La société pourra
gérer, exploiter et construire des aéroports à
l’étranger.
J.B.- Et la navigation
aérienne ?
J.F.- Les services de la navigation
aérienne (approche et atterrissage) ne seront plus
rattachés à Aéroports de Paris, même si -
bien sûr - ils auront à travailler ensemble, en
particulier pour tout ce qui touche à l’environnement sonore des
plates-formes.
J.B.- En résumé ?
J.F.- Cette transformation de
l’établissement public en société anonyme lui
allégera les contraintes imposées par le Ministère
des finances, préoccupé prioritairement par des
considérations budgétaires annuelles extérieures
au transport aérien, et lui permettra de mieux remplir les
préoccupations à long terme de toute emprise commerciale
de cette importance.
L’Etat conserve la totalité du capital, mais envisage
d’ouvrir une partie minoritaire de celui-ci au public (ou à des
investisseurs privés) au cours du premier semestre 2006.
L’aéroport de Bâle Mulhouse reste un
établissement public binational franco-suisse et son statut ne
change pas.
Je terminerai en disant que la même loi modifie le
régime de concession des grands aéroports
régionaux français (d). Ceux-ci restent
propriété de l’Etat, mais au lieu d’être
donnés en concession aux Chambres de Commerce et d’Industrie
(CCI), pour de courtes durées (5 ans en moyenne), ils pourront
être concédés à des sociétés
dont le capital initial est détenu entièrement par des
personnes publiques, dont la CCI actuellement titulaire de la
concession.
Les collectivités publiques intéressées
(Régions, départements, agglomérations) pourront
ainsi entrer dans le capital. La durée des concessions pourra
atteindre 40 ans, ce qui est plus cohérent avec les
durées d’amortissement des grands investissements qui est de 20
ans pour une aérogare et de 30 ans pour une piste.
J.B.- Et les
collectivités locales ?
J.F.- Cette loi permet ainsi
l’arrivée des collectivités locales aux conseils
d’administration des aéroports aux cotés des acteurs
économiques afin de faciliter les compromis entre les
problèmes environnementaux et les besoins de l’économie
locale (emploi en particulier).
Malheureusement, la loi n’a pas prévu le transfert de
la propriété des terrains à ces nouvelles
sociétés gestionnaires d’un service public. La
probabilité de voir ces concessions de service public soumises
à un appel d’offre européen laisse ainsi pendant le
risque de voir des opérateurs étrangers aux
intérêts locaux gérer nos aérodromes
régionaux.
J.B.- Quelque chose à
rajouter ?
J.F.- Oui, la loi du 20 avril 2005
crée une Commission consultative aéroportuaire de 7
membres placée auprès de ministre en charge des
transports. Cette Commission, qui comprendra au moins trois experts du
transport aérien et des problèmes de gestion
afférents, pourra conseiller utilement le ministre, dans la
mesure où ces experts auront préalablement acquis, par
eux-mêmes, une expérience réelle des
problèmes aéroportuaires.
J.B.- Passons à la Loi
du 13 août 2005 ?
J.F.- La loi du 13 août 2004
traite cette fois, non pas des concessions de gestion des
aéroports, mais de leur propriété. Les
aérodromes d’intérêt national ou international - en
fait les grands aéroports régionaux objet de la loi du 20
avril 2005- sont exclus du champ d’application de cette loi.
J.B.- Qu’énonce cette
loi ?
J.F.- Cette loi stipule que la
propriété, l’aménagement l’entretien et la gestion
des aérodromes civils appartenant à l’Etat sont
transférées au plus tard au 1er janvier 2007
aux collectivités territoriales ou à leur groupement dans
le ressort géographique desquels sont situées ces
infrastructures, avec priorité aux régions si elles sont
intéressées. Toutefois, si une collectivité ou un
groupement gère déjà une plate-forme, cette
collectivité ou ce groupement est prioritaire, qui est le cas
des syndicats mixtes évoqués plus haut.
J.B.- Ce qui signifie donc que
c’est la collectivité territoriale qui, devenue
propriétaire des installations, concédera la gestion de
la plate-forme à un opérateur de son choix et qui en
assurera la tutelle ?
J.F.- Oui. Ainsi, par exemple, en
Bretagne, la Région envisage de se faire attribuer la
propriété de Brest, Rennes, Lorient, Quimper et Dinard.
La propriété de Lannion et de Saint Brieuc
déjà gérés par des syndicats mixtes leur
serait conférée. Morlaix pourrait aller au
département du Finistère qui a déjà le port
de Roscoff et Vannes à la ville.
Cette réforme impliquera les collectivités dans
le fonctionnement de leurs aérodromes. Les concessions de
gestion seront faites selon un cahier des charges qui, on
l’espère, permettra des durées beaucoup plus longues que
celles acceptées actuellement par l’Etat. Il est cependant
regrettable, que comme pour les grands aéroports
régionaux, la propriété du patrimoine ne puisse
être donnée à un gestionnaire regroupant
autorité politique et pouvoir économique.
J.B.- Que retenir de ces deux
lois ?
J.F.- Ces deux lois modifient
profondément le visage des aéroports français en
leur donnant plus d’autonomie et en les rapprochant des
intérêts locaux. C’est un progrès mais insuffisant,
car ne dégageant pas complètement l’horizon de risques
d’arrivée d’opérateurs extérieurs aux
préoccupations de la collectivité concernée. Les
autres grands pays européens ont su préserver leurs
intérêts nationaux en anticipant sur l’évolution
des concepts (et des directives européennes qui en
découleront) dans un sens favorable à leurs vues.
J.B.- Pour terminer,
pouvez-vous nous dire quelques mots au sujet des questions souvent
posées par de nombreux lecteurs, en débutant par les
contrôles de sûreté, leur évolution, leur
efficacité?
J.F.- La sûreté
restera la première des préoccupations des
aéroports : l’attitude de « British Airports
Authority » depuis sa privatisation en 1986 le
démontre. La mise en service de matériels performants -
passeports informatisés avec données biométriques,
détecteurs d’explosifs - devrait grandement simplifier les
contrôles tout en accroissant leur efficacité de
manière significative.
J.B.- J’ai lu qu’Air
France recevrait ses premiers A380 avec six mois de retard.
Malgré ce délai supplémentaire, les
aéroports seront-ils prêts à recevoir plusieurs
A380, en ce qui concerne non seulement le renforcement des pistes et le
dégagement des côtés, étant donné la
largeur des ailes, mais également le traitement des passagers
étant donné, par exemple des passerelles sur deux
étages ?
J.F.- Oui, pour la plupart des
grands aéroports internationaux. En 1996, la direction de
l’Association mondiale des aéroports - dont j’étais un
membre actif - a défini une taille maximale - 80 mètres
sur 80 - que les avions de transport ne doivent pas dépasser,
sous peine d’entraîner des modifications des infrastructures trop
compliquées et trop coûteuses. Cette norme a
été respectée pour l’A 380. Elle ne l’était
pas par le projet initial de Boeing d’un 747 allongé, ce qui a
été une des causes de son abandon en 1997. Le projet
remis en chantier cette année par le constructeur
américain respecte cette norme.
J.B.- Un mot pour conclure ?
J.F.- Depuis le début de
l’année 2004, le trafic aérien a repris sa croissance au
taux de 8% pour les passagers et de 5,5% pour le fret mais, en Europe,
cette progression bute sur les capacités insuffisantes des
grands aéroports. Ces deux nouvelles lois, bien qu’encore
insuffisantes pour couvrir le très long terme, vont permettre
aux plates-formes françaises de poursuivre leur
développement dans de meilleures conditions et leur permettront
ainsi de mieux répondre aux besoins de croissance de
l’économie nationale.
===
(a).- La loi du 13 août 2004
relative aux libertés et responsabilités locales et la
loi du 20 avril 2005 relative aux aéroports. retour
dans le texte
(b).- Après une
carrière complète dans l'Armée de l'air, le
Général Jean Fleury a été Président
d'Aéroports de Paris pendant 7 années. Il a
été élu, par ses pairs, en 1998 et 1999,
Président du Conseil International des Aéroports
(association professionnelle qui regroupe 85% des aéroports du
monde entier). Il totalise 5.400 heures de vol effectuées sur
plus de 100 types d'avions différents, allant du Mirage 2000 au
B 52, en passant par le F16 et l'A 320. Il a publié deux livres
aux Editions Jean Picollec : "Faire face - Mémoires d'un
chef d'Etat-major" en 1996 et "Le général qui
pensait comme un civil" en 2005. retour
dans le texte
(c).- Décret du 20 juillet
2005 retour dans le texte
(d). -
La plupart des
plates-formes dont le trafic dépasse ou approche le million de
passagers annuel. retour dans le texte
—***--
TAXES AÉRIENNES
Interview de Jean Belotti
TourMaG.Com - Un groupe de pays -
avec en tête, la France et le Brésil - a fait la promotion
mercredi, au sommet de l'ONU, d'un projet de taxe internationale sur
les billets d'avion pour financer la lutte contre le sida.
Jean Belotti. - En fait, l’objectif
est plus vaste. Le président brésilien Luiz Inacio Lula
da Silva et le président français Jacques Chirac -
représenté à New York par son Premier ministre
Dominique de Villepin - militent, depuis un an, non pas uniquement pour
lutter contre le sida, mais pour un "prélèvement
mondial de solidarité" pour
compléter l'aide publique au développement.
TourMaG.Com - Que pensez-vous de
cette initiative de taxer les passagers aériens ?
JB.- Il convient d’abord de noter
que les chefs d'Etat et de gouvernement des quatre pays promoteurs de
cette taxe (France, Brésil, Chili et Allemagne) - auxquels s'est
joint le président du gouvernement espagnol Jose Luis Zapatero -
ont mis "le paquet" pour présenter, ensemble, leur initiative,
afin de recueillir l’accord des membres de l’ONU.
TourMaG.Com - Alors,
précisément, l’explication de Monsieur de Villepin selon
laquelle : "Il faut faire en sorte qu'une partie des richesses
énormes générées puisse être
mobilisée", et celle du Président Lula : "Chaque
pays du monde peut faire quelque chose, même les plus pauvres.
Les 50 milliards de dollars dont nous avons besoin ne
représentent rien au regard de la quantité d'argent qui
circule dans le monde ou est déposée dans les paradis
fiscaux", sont-elles fondées ?
JB.- Première remarque : La
comparaison du montant des capitaux qui circulent dans le monde
à celui d’un don n’a aucune signification et n’est pas recevable
pour justifier une telle initiative.
De plus, affirmer que même les pays pauvres doivent participer
est une ineptie. Et que viennent faire, ici, les paradis fiscaux ? En
effet, les montants qui s’y réfugient, ou simplement se
délocalisent (100 milliards d’euros en 10 ans) ne trouvent-ils
pas une justification dans l’excès de la pression fiscale
exercée dans certains pays ?
- Deuxième remarque : Les promoteurs de la taxe sur les
billets d'avion ont prévu de se retrouver dans une
conférence internationale en février 2006 à Paris,
afin de définir un calendrier et les modalités de ces
propositions.
À ce jour, la France, le Chili et la Grande-Bretagne
ont déjà décidé d'instaurer, dès
2006, la taxe sur les billets d'avion, qui s'ajoutera au prix du
billet. Elle pourrait être de l'ordre de 5 euros en classe
économique et 20 euros en classe affaires, sans qu’une
précision soit donnée sur les vols
concernés : tous ou seulement les vols internationaux.
Mais, vous avez raison, la vraie question est de savoir si une telle
initiative est justifiée ? La réponse est NON.
TourMaG.com - Pour quelles raisons
?
JB.- Si ce dispositif est en
mesure de générer jusqu'à 10 milliards de dollars
par an (sic), ce montant doit être supporté par les Etats
donateurs faisant partie de l’ONU - en fonction de leurs
possibilités respectives - et non pas uniquement par une partie
de la population, ce qui correspond à une discrimination au
détriment des passagers aériens, déjà
très surtaxés (taxe de survol, taxe d’aéroport,
taxe de sûreté, taxe à la suite de l’augmentation
du prix de carburant, etc... ), si bien que sur certains trajets, le
montant de ces taxes se rapproche de celui du prix du billet !
Où va-t-on ?
De toute évidence, une nouvelle fois, les Etats
bottent en touche, en taxant, injustement, une cible de
clientèle ? Pourquoi ne pas taxer d’autres modes de transport ?
Pourquoi ne pas taxer d’autres industries que celle du transport...
comme celles qui engrangent des milliards de bénéfices ?
Est-ce un privilège de voyager par avion, luxe qui justifierait
que les passagers mettent, encore une fois, la main à la poche ?
De toute évidence, la réponse est NON.
Imposer cette taxe, c’est ignorer que la famille qui,
après une année d’économies, à
réussi à mettre de coté l’argent nécessaire
pour partir en vacances en avion, va être injustement
pénalisée.
C’est ignorer, également, que les avions ne sont pas
remplis uniquement par des "touristes", mais par des "hommes
d’affaires", représentant des entreprises qui seront, elles
aussi, injustement surtaxées, parce que leurs employés
doivent se déplacer par avion, qui est - bien que de plus en
plus coûteux - souvent le seul moyen de transport à leur
disposition.
C’est ignorer, enfin, que cette surtaxe pénalisera
encore plus les citoyens français des territoires d’outre-mer
vers lesquels il n’y a pas de continuité territoriale.
TourMaG.com - Alors cette bonne
intention d’aide aux pays pauvres, comment la concrétiser ?
JB.- L’initiative en
elle-même est effectivement louable. Tout le monde sait que
malgré les nombreuses aides apportées, l’annulation de la
dette, etc..., le fossé continue à se creuser entre les
pays développés et ceux qualifiés "en voie de
développement".
Les raisons en sont connues et il est inutile d’en dire plus,
ici. Il ne sert donc à rien d’augmenter les dons financiers -
mannes du ciel - qui disparaissent bien avant d’avoir atteint leur
destination initiale. En revanche, indépendamment de l’effort de
chaque Etat, sur son propre budget, la participation des citoyens
pourrait être envisagée, sous une forme concrète et
plus efficace.
Par exemple, les entreprises s’engageant à
développer dans les pays les plus en retard, et sur leurs
propres fonds, un moyen d’irrigation, d’enseignement, d’agriculture,
d’école, de logement, etc... profiteraient d’une
réduction d’impôts sur les sommes investies dans cette
oeuvre humanitaire, contribuant ainsi, réellement et
efficacement, à la réduction de la pauvreté dans
le monde.
TourMaG.com - Une conclusion ?
JB.- Après les augmentations des tarifs aériens,
l’augmentation des diverses taxes, les irrégularités et
retards dans le déroulement des vols, les récents
accidents qui ont déclenché une psychose de peur et
d’inquiétude chez les passagers, les compagnies qui
disparaissent à vue d’oeil, les milliers d’employés
hautement qualifiés qui sont mis au chômage,
l’émergence de compagnies "champignons" fonctionnant en impasses
et dont l’existence résulte du libéralisme issu de la
"deregulation Carter", etc..., créer une nouvelle taxation -
surtout non fondée et non équitable - contribuera,
inévitablement, à fragiliser encore plus le transport
aérien, industrie de plus en plus sensible à son
environnement.