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TourMag
: Le 28 novembre un A320 s’est abîmé au large de
Canet-en-Roussillon, étant en approche de l’aéroport de Perpignan. Comment
peut-on expliquer un tel accident d’un avion qui sortait de révision?
Jean
Belotti : Il serait imprudent de donner, de suite, une explication.
Cela étant, sachez que dès le début des enquêtes qui sont diligentées, les
experts prennent en compte toutes les hypothèses, des plus inimaginables, aux
plus probables.
T.M.:
Vous dites des plus inimaginables ?
J.B.
: Au fur et à mesure de l’avancement des enquêtes, elles sont écartées
les unes après les autres, jusqu’au moment où l’on peut travailler sur un
certain nombre d’entre-elles, pour lesquelles certains facteurs contributifs
sont susceptibles d’être retenus et analysés.
T.M. :
ll s’agit donc de causes probables, mais pas forcément certaines ?
J.B.:
Très bonne question qui permet de donner la précision suivante. Le doute
devant profiter à la sécurité, dès que
le BEA (Bureau d’Enquête et d’Analyses) considère avoir trouvé une ou des
causes probables, il formule des recommandations afin que le même type
d’accident ne se reproduise plus sur le même type d’avion. En revanche,
pour la Justice, il est nécessaire que le lien de causalité entre un événement
et ses conséquences soit certain, pour lui permettre de localiser et qualifier
les responsabilités éventuelles.
T.M.
: Les deux enquêtes administratives et judiciaires sont-elles indépendantes
?
J.B.
: Elles l’ont été pendant de nombreuses années. De nos jours, la
circulaire du 18 février 2005 du Gardes Sceaux aux Procureurs Généraux définit
avec précision la nature de cette coopération. L’expérience montre qu’il
s’agit d’un progrès certain, dont tous les protagonistes se félicitent.
T.M.
: Cet accident n’est-il pas surprenant alors que l’avion venait d’être révisé
?
J.B.
: Le schéma classique d'entretien des avions de ligne long-courriers porte
sur des vérifications et travaux à des échéances de quelques heures,
à 7 ans (visites dites : "A" ; "B", "C",
"IL","D"). Il convient de savoir que ces programmes
d'entretien répondent à des normes très strictes. Les travaux sont contrôlés
à plusieurs niveaux de leur réalisation, non seulement dans les ateliers
agréés, mais ensuite par des organismes officiels. De plus, à la suite
de certains de ces travaux, des vols sont effectués afin de vérifier le bon
fonctionnement de tous les systèmes. Ils se réalisent selon un protocole bien
défini : virages à forte inclinaison, vols à différentes vitesses et
dans différentes configurations, mise en situation de décrochage, arrêt et
remise en route de chaque moteur, etc... Lors de tels vols que j’ai réalisé,
tous les personnels au sol ayant participé aux travaux étaient embarqués.
Cela était perçu, non pas comme une incitation à travailler sérieusement
sachant que tout le monde serait à bord, mais simplement comme une récompense,
toujours très appréciée. De mémoire, je n’ai pas souvenir d’un accident
survenu lors des ces vols de vérification, c’est donc à juste raison
que l’on peut s’interroger sur la cause de cet accident. Il existe également
des vols dits de "prise en charge", lors du changement de propriétaire
de l’avion, ce qui semble être le cas de
celui de cet accident.
T.M.:
Pouvez-vous nous dire deux mots sur les boîtes noires dont une vient d'être
retrouvée, la deuxième devant être remontée bientôt ?
J.B.
: Tout d’abord, comme vous le savez probablement, elles ne sont pas noires,
mais jaune- oranges. "Boîte noire" est la traduction de "black
box", terme de cybernétique. Il s’agit essentiellement de deux
enregistreurs. Le DFDR (Digital Flight Data Recorder) qui enregistre les données
de vol sur une bande magnétique (vitesse, altitude, caps, accélérations, températures,
etc..). Le CVR (Cockpit Voice Recorder) qui enregistre les conversations et
bruits perceptibles dans le cockpit. Les informations ainsi recueillies
permettent aux enquêteurs de reconstituer la trajectoire en trois dimensions et
de savoir ce qui s’est passé dans le cockpit.
T.M.
: Est-ce l’image de marque d’Airbus peut être amoindrie
à la suite de cet accident survenu à l’un de ses avions ?
J.B.
: Non, car la fiabilité de cet appareil et de ses systèmes est bien connue
de ses nombreux utilisateurs, qui, de plus, connaissent les causes des six
accidents survenus à ce type d’appareil, depuis sa mise en ligne. En
revanche, Airbus pourrait être concerné en cas de constat de grave
dysfonctionnement ou de faute dans la fabrication de l’avion. Il en est de même
pour le ou les ateliers ayant procédé aux travaux d’entretiens cités.
T.M.:
Une conclusion ?
J.B.
: Il n’y a pas lieu de conclure mais de rappeler qu’il faut laisser les
enquêteurs faire leur travail, à leur rythme, dans le calme et hors des
passions et des pressions diverses. Il convient également de manifester une très
grande prudence dans la prise en compte des hypothèses et conclusions hâtives,
qui se sont toujours avérées bien éloignées de la réalité des faits.
Notons, enfin, et avec satisfaction, que c’est bien la première fois que de
telles hypothèses n’ont pas été avancées par certains médias avides
de sensationnel. 