Interview
de
la
rédaction
de
TourMaG
le
4
juillet
2009

(publiée
sur
le
site
:
www.tourmag.com)
TourMag
:
–
Le
crash
de
la
compagnie
Yemenia
met-il
en
exergue
l’inutilité
de
la
“black
list”
européenne
et
les
avions
"poubelle"
mis
en
bout
de
ligne
par
certaines
compagnies
peu
scrupuleuses
?
Jean
Belotti
:
J’ai
déjà
longuement
développé
les
difficultés
qui
résulteraient
de
la
mise
en
place
d’une
telle
liste
noire
dans
de
précédentes
chroniques.
Elles
peuvent
être
consultées
dans
mon
récent
ouvrage
“Chroniques
aéronautiques”
(sur
la
toile
UN,
DEUX
)
dont
vous
faites
actuellement
la
présentation
sur
votre
site.
Cela
étant
dit,
permettez-moi
tout
d’abord
de
vous
faire
remarquer,
comme
à
l’accoutumée,
la
précipitation
générale
quant
aux
hypothèses
des
causes
de
cet
accident.
En
effet,
quelques
heures
à
peine
après
le
crash
-
alors
qu’aucune
information
pertinente
sur
la
cause
de
sa
survenance
n’est
encore
connue
-
toutes
les
réactions
qui
ont
été
transmises
par
les
médias
mettent
en
cause
de
l’avion,
écartant
ainsi
toutes
les
autres
causes.
Effectivement,
entre
autres,
Dominique
Bussereau
a
mis
en
avant
la
nécessité
d’une
“black
list”
mondiale.
Est-ce
la
solution
selon
vous
?
:
Indépendamment
des
causes
encore
inconnues
de
cet
accident,
il
ne
fait
aucun
doute
de
la
bonne
intention
ayant
présidé
à
cette
proposition.
En
effet,
il
est
logique
d’estimer
que
les
normes
à
respecter
ne
peuvent
pas
être
uniquement
régionales,
nationales,
européennes,
américaines,
mais
mondiales.
C’est
d’ailleurs
sur
ce
postulat
que
l’OACI
(Organisation
Internationale
de
l’Aviation
Civile)
a
été
créée
et
publie
des
recommandations
(facultatives)
et
des
normes
(obligatoires).
Mais
comment
décerner
un
label
de
portée
internationale
?
:
Il
ne
peut
être
délivré
que
par
une
institution
mondiale
à
créer
qui
devra,
en
premier
lieu,
définir
les
critères
sur
lesquels
elle
s’appuiera
pour
attribuer
son
Label
:
les
standards
internationaux
de
l’OACI,
organisme
international
qui
existe
depuis
1944
et
dont
les
normes
sont
inférieures
à
celles
américaines
(chapitre
121
des
règlements
FAR
pour
les
avions
de
60
passagers
et
plus,
et
FAR
135
pour
les
avions
de30
passagers
ou
moins),
lesquelles
sont
inférieures
à
celles
européennes
(JAR)
qui
correspondent
à
des
standards
de
sécurité
plus
élevés
(contraintes
opérationnelles,
maintenance,
sûreté,
formation
et
entraînement
des
équipages,
etc...)
?
La
liste
«
blanche
»
IOSA
n’est-elle
déjà
pas
suffisante
pour
pallier
aux
lacunes
en
la
matière ?
:
Vos
lecteurs
ne
connaissant
pas
tous
la
signification
de
IOSA
(“IATA
Operational
Safety
Audit”),
alors
quelques
précisions.
Il
s’agit
du
premier
audit
utilisé
globalement
et
utilisant
des
standards
internationaux
harmonisés.
Le
label
est
délivré
par
l’IATA
(Association
internationale
des
compagnies
aériennes)
après
vérification
du
respect
des
exigences
d'un
référentiel
de
sécurité,
en
considération
des
certifications
reconnues
en
référence
à
des
normes
européennes
et/ou
internationales
incontestables.
Ce
programme
est
actuellement
considéré
et
reconnu
comme
un
programme
d’évaluation
et
de
certification
standard
en
matière
de
sécurité
et
de
qualité
opérationnelle
des
compagnies
aériennes.
Il
comporte
près
de
1000
points
de
contrôle
permettant
d’évaluer
la
compagnie
aérienne
dans
plusieurs
domaines
:
organisation
et
système
de
management,
opérations
de
vols,
contrôle
opérationnel,
maintenance
et
engineering,
opérations
à
bord,
opérations
au
sol,
gestion
du
fret
et
sécurité
des
opérations.
Plus
de
200
compagnies
aériennes
sont
certifiées
IOSA,
dont
environ
120
font
partie
de
l’IATA.
Donc
cela
va
dans
le
bon
sens
.
De
plus,
il
y
a
les
contrôles
SAFA
sur
les
aéroports?
:
Les
contrôles
SAFA
(“Safety
Asssesment
of
Foreign
Aircrafts”
pour
“Evaluation
de
la
sécurité
des
aéronefs
étrangers”)
ont
été
initialisés
en
1996,
par
la
CEAC
(Conférence
Européenne
de
l’Aviation
Civile).
Les
médias
s’en
sont
fait
l’écho
à
la
suite
de
l’accident
de
CharmelCheikh.
Indépendamment
du
fait
d’être
peu
fréquents
(donc
à
efficacité
réduite),
il
est
bon
de
rappeler
qu’ils
se
font
actuellement
au
niveau
des
règles
internationales
de
l’OACI
et
non
pas
au
niveau
des
propres
règles
du
pays
où
est
effectué
le
contrôle,
sachant
-
comme
je
vous
l’ai
dit
-
que
les
règles
européennes
(JAA)
et
américaines
(FAR)
sont
au
dessus
du
standard
OACI.
Dès
lors
que
l’on
évoque
une
règle
mondiale,
il
convient
de
savoir
si
ces
types
de
contrôles
seront
faits
dans
tous
les
pays
?
Même
si
ces
contrôles
ne
sont
pas
nombreux,
ils
peuvent
être
à
l’origine
d’un
meilleur
entretien
des
avions
par
“peur
du
gendarme”
?
:
Vous
avez
raison
de
le
signaler,
mais
ils
ne
permettent
pas
de
vérifier
les
conditions
de
travail
des
équipages.
C’est
ainsi
que
dans
une
compagnie
américaine,
volant
pour
le
compte
d’une
compagnie
de
transport
de
fret
européenne,
les
pilotes
américains
n’ayant
aucune
couverture
sociale,
volaient
même
en
étant
malades,
car
s’ils
ne
volaient
pas,
ils
n’étaient
pas
payés.
On
imagine
aisément
les
conséquences
sur
la
sécurité
des
vols
de
la
constitution
d’un
tel
équipage !
Ces
contrôles
SAFA
n’étant
pas
assez
nombreux,
s’agirait-il
d’une
question
de
moyens ?
:
Effectivement.
Quand
on
sait
que
depuis
des
décennies,
l’Organisme
de
Contrôle
en
Vol
(OCV)
est
très
nettement
sous-équipé
pour
être
en
mesure
d’assurer
sa
mission
de
contrôle
des
équipages,
comment
l’Administration
de
tutelle
peut-elle
réussir
à
mettre
en
place
un
corps
plus
dense
d’auditeurs
en
tenant
compte
de
leur
provenance,
de
leurs
différentes
qualifications,
du
nombre
à
recruter
et
des
coûts
?
De
plus,
et
cela
est
essentiel
à
retenir,
quel
que
soit
le
contenu
et
le
nombre
de
contrôles,
ils
ne
pourront
porter
que
sur
l'aspect
“documentaire",
à
savoir
:
des
vérifications
“visuelles”
de
l’avion
(état
des
pneumatiques,
des
gilets
de
sauvetage,
des
équipement
de
bord,
etc...
)
et
des
documents
officiels
de
bord.
Il
n'est
pas
question
d'audit
technique,
encore
moins
d'audit
social.
Alors,
au
lieu
de
ces
contrôles
inopinés,
partiellement
efficaces,
n’est-il
pas
envisageable
de
faire
des
contrôles
plus
approfondis
?
:
Sachant
que
les
voyagistes
utilisent
les
services
de
quelques
250
compagnies
et
qu'un
audit
sérieux
ne
peut
se
faire
en
moins
d’une
semaine
par
compagnie,
il
est
déjà
plausible
d’émettre
des
doutes
quant
à
la
possibilité
d’engager
à
court
terme
une
telle
vérification
générale
de
tous
les
avions
composant
les
flottes
des
compagnies
internationales.
Pourrait-on
le
faire,
la
sécurité
des
vols
en
serait-elle
améliorée
?
:
Probablement
sur
les
lignes
internationales.
Mais,
débarquant
d’un
vol
international,
vous
pouvez
très
bien
continuer
votre
voyage
sur
des
avions
de
compagnies
locales,
dont
l’autorisation
de
vol
et
les
contrôles
ne
dépendent
que
de
l’Etat
d’immatriculation
de
l’aéronef.
N’existe-t-il
pas
d’autres
moyens
de
vérifier
si
une
compagnie
est
“sûre”
ou
pas
?
:
Vous
pensez
peut-être
au
nombre
d’accidents,
d’incidents,
de
vols
retardés,
etc...
Mais
tant
qu’il
n’a
pas
été
formellement
démontré
que
la
compagnie
était
responsable,
il
est
impossible
de
conclure.
Mais
il
y
a
quand
même
des
signes
précurseurs,
tel
l’accident
de
l’avion
d’Air
France
à
Toronto
?
:
Effectivement,
à
la
suite
de
cet
accident,
une
information
a
circulé
concernant
un
rapport
interne
concluant
à
des
carences
dans
la
formation
des
équipages.
Mais
est-ce
suffisant
pour
mettre
Air
France
sur
une
“liste
noire”
?
Et
comment
pourrait-on
envisager
que
ces
grandes
compagnies
que
sont
Air
France/KLM,
Luftbasa,
British
Aw,
Quantas,
etc
..
soient,
un
jour,
mises
sur
une
liste
noire ?
Pouvez-vous
nous
dire
deux
mots
sur
les
conséquences
d’apparaître
sur
une
liste
noire ?
:
La
première
conséquence
est
l’impact
sur
l’image
de
marque
de
la
compagnie
qui
lui
restera
attachée
pendant
des
années.
Rappelez-vous
le
slogan
lancé
par
les
américains,
il
y
a
bien
longtemps
:
“Air
France
Take
a
Chance
!”.
On
imagine
la
difficulté
pour
une
compagnie
figurant
sur
une
liste
noire,
de
se
débarrasser
de
cette
réputation,
même
après
avoir
remontré
patte
blanche,
quand
on
sait
le
temps
qu’il
faut
pour
créer
une
image
de
marque
et
celui
qu’il
faut
pour
la
restructurer
quand
elle
a
été
détruite
!
Tenir
compte
également
qu’à
la
suite
des
anomalies
ayant
justifié
la
sanction
d’être
sur
une
liste
noire,
des
mesures
correctives
on
pu
être
rapidement
engagées,
alors
quand
la
sanction
sera-t-elle
levée
?
Mais
il
est
quand
même
urgent
de
sanctionner
ces
“avions
poubelles”?
:
Effectivement.
Le
territoire
européen
est
aussi
desservi
par
plusieurs
compagnies
étrangères,
au
sujet
desquelles,
malheureusement,
il
existe
une
méconnaissance
de
leurs
conditions
d’exploitation.
Ce
n’est
qu’à
l’issue
des
rapports
d’accidents
ou
incidents
que
sont
mis
en
exergue
des
dysfonctionnements,
anomalies,
insuffisances,
tous
facteurs
accidentogènes,
dont
plusieurs
échappent
aux
audits
sur
documents.
Finalement,
au
lieu
de
promulguer
des
textes
dont
l’efficacité
apparaît
comme
étant
douteuse
et
touchant
toute
l’industrie,
dès
lors
qu’un
audit
n’est
pas
concluant,
ne
serait-il
pas
plus
simple
et
efficace
d’interdire
les
compagnies
qui
ne
sont
pas
en
conformité
avec
les
règlements
européens
(JAR)
?
Ainsi,
toute
compagnie
susceptible
de
se
poser
sur
le
sol
français
ou
européen
devrait
alors
être
une
compagnie
connue
et
reconnue,
ayant
répondu
de
façon
satisfaisante
et
continue
à
des
critères
techniques
et
non
pas
à
un
audit
documentaire
et
purement
administratif
?
:
Cela
écarterait
les
avions
américains
qui
sont
soumis
aux
normes
américaines
(FAR).
Et
comment
refuser
une
compagnie
qui
respecte
les
normes
OACI
?
En
fait,
la
principale
difficulté
quasi-
insurmontable,
est
que
les
aspects
relevant
du
domaine
technique
(maintenance,
contrôles
de
qualité,
impasses,
etc...)
et
du
domaine
social
(formation,
contrôles
en
sol
et
sur
simulateur,
constitution
des
équipages,
temps
de
travail,
dumping
social,
...)
dépendent
uniquement
du
pays
d’immatriculation
de
l’aéronef.
Cet
appareil
d’Yemenia
avait
déjà
fait
l’objet
de
remarques
techniques
importantes
de
la
part
de
la
DGAG.
Qu’est-ce
qui
n’a
pas
fonctionné
dans
la
chaîne
des
responsabilités
?
:
Ne
connaissant
pas
les
détails
de
ces
remarques,
je
ne
suis
donc
pas
en
mesure
de
répondre.
En
l’absence
des
boîtes
noires
devrons-nous,
une
fois
encore,
nous
contenter
d’un
gros
point
d’interrogation
concernant
les
causes
de
l’accident
?
:
Comme
vous
le
savez,
il
y
a
deux
principales
boîtes
noires.
L’une
enregistre
les
sons
et
bruits
perçus
et
émis
dans
le
cockpit.
L’autre
enregistre
de
très
nombreux
paramètres
de
vol
(vitesses,
températures,
accélérations,
caps,
altitudes,
etc...
etc...).
Elles
fournissent
les
informations
indispensables
à
la
connaissance
de
la
cause
de
la
survenance
de
l’accident
et
comment
cela
s’est
déroulé
dans
le
temps.
Sans
elles,
il
ne
reste
malheureusement
que
certains
constats
(sur
les
débris,
les
corps
des
victimes,
...)
qui
peuvent,
quelques
fois,
permettre
d’écarter
certaines
hypothèses,
mais
rarement
d’en
valider
une.
Tel
est
le
cas
de
l’accident
du
vol
AF447
où
le
BEA
(Bureau
Enquêtes
et
Analyses)
vient
d’annoncer
que
l’analyse
des
débris
a
permis
d’écarter
l’hypothèse
d’une
explosion
en
vol.
On
voit
fleurir
sur
Internet
toutes
sortes
de
sites
qui
prétendent
classer
les
compagnies
aériennes
en
fonction
de
leur
"dangerosité".
Qu'en
pensez-vous
?
:
Ces
classements,
même
s’ils
se
fondent
sur
certains
faits
connus
et
données
statistiques
ne
sont
en
rien
représentatifs
de
la
dangerosité
des
compagnies.
Pour
mesurer
cette
dangerosité,
il
faudrait
-
comme
je
vous
l’ai
dit
-
avoir
accès
aux
domaines
technique
et
social
des
compagnies
et
aux
conditions
de
travail
des
centaines
d’ateliers
agréés
des
Etats
les
plus
laxistes
en
la
matière.
De
plus,
une
compagnie
peut
être
dangereuse
un
jour
et
ne
plus
l’être
le
lendemain.
Inversement,
une
compagnie
peut
être
“sûre
”
un
jour
et
ne
plus
l’être
le
lendemain.
Une
compagnie
peut
avoir
eu
plusieurs
accidents
dans
lesquels
elle
n’a
aucune
responsabilité,
ayant
respecté
strictement
tous
les
textes
en
vigueur
et
avoir,
cependant,
mauvaise
presse.
Inversement
une
compagnie
peut
avoir
le
vent
en
poupe,
donc
être
“blanche”
alors
que
de
très
nombreux
incidents
et
anomalies
existent,
et
ne
seront
révélés
qu’à
la
suite
d’un
grave
accident.
Les
exemples
sont
nombreux.
Une
conclusion
?
:
Etant
donné
les
difficultés
d’établir
des
critères
vraiment
représentatifs
du
degré
de
sérieux
des
compagnies,
l’établissement
de
listes
-
qu’elles
soient
noires
ou
blanches
-
ne
fait
pas
l’unanimité
quant
à
leur
importance
dans
l’amélioration
de
la
sécurité.
En
revanche,
l’institution
d’un
organisme
de
contrôle
à
vocation
international
serait
probablement
plus
efficace.
Mais
deux
principales
questions
se
posent.
Comment
mettre
en
place
une
telle
structure
(lieu
du
siège,
nombre
et
nationalité
des
contrôleurs,
financement,
sous
l’autorité
de
quel
organisme,
etc...
)
?
Comment
réagiront
les
États
souverains
face
à
une
intervention
externe
dans
des
domaines
qui
relèvent
de
leur
propre
administration
de
tutelle,
intervention
qui
pourra
être
qualifiée
d’ingérence
?
Finalement,
retenons
que
malgré
les
nombreux
progrès
qui
ont
été
faits,
force
est
de
constater
que
les
systèmes
actuellement
en
place
ne
sont
pas
en
mesure
d’éliminer
les
“avions
poubelles”
de
nombreux
Etats,
bien
connus,
dont
le
niveau
de
sécurité
est
très
nettement
inférieur
à
la
moyenne
mondiale.
—
***
---
|