La politique, cause du naufrage de l'Aéropostale  RETOUR 

Maurice Bouilloux-Lafont, fin 1930, fait connaître son intention de briguer la présidence
de la Chambre des députés, ce qui débordera sur les activités du son frère, Marcel, le fondateur de l'Aéropostale


Extrait de "L'Oeil de Paris pénètre partout"  1931/01/17  source 


Le fauteuil ballotté

Toute la presse, la veille de la rentrée, annonçait d'avance la réélection facile du président sortant. Manifestement, l'Agence Havas avait,invité ses abonnés à montrer de l'optimisme. Mais, dès l'accès du Palais-Bourbon, le couplet perdait de sa vraisemblance. L'atmosphère révélait la préparation d'une bataille, et d'une grande bataille, avec positions de repli. On était venu de bonne heure et la droite se montrait extrêmement active, bien que le candidat qui portait ses couleurs ne lui plût guère. Non, M. Bouilloux-Lafont ne représentait pas le choix de son coeur. Ce n'était pas là l'homme pour qui elle eût aimé véritablement à se battre : M. Maginot par exemple, à tout le moins M. Flandin. Seulement, M. Flandin avait déclaré, aussi nettement que possible, qu'il ne voulait jouer aucun rôle en l'affaire. Et cela se pouvait comprendre, à l'heure où il cherche une carrière dans la conciliation, où il s'efforce de jeter un pont entre des éléments actuellement hostiles, où il va jusqu'à contribuer à répandre la doctrine de M. Ponsot.
M. Maginot, lui, na.pas de ces sortes de rêves. Il a donc travaillé pour le bloc des droites avec vigueur, au point de ne pas quitter Paris pendant les vacances du jour de l'an et même de consentir à mener la bataille pour son propre compte. Mais il se trouvait en face d'une position, depuis plus d'un an prise par M. Bouilloux-Lafont, lequel paraissait décidément impossible à écarter.

Le candidat résolu

Les votes oscillants de M. Bouilloux-Lafont, son dessein constant de se maintenir entre deux eaux, ne fournissait pas des garanties de premier choix. En outre, il ne représentait guère de chances de succès.
Au centre, sa candidature de vice-président sortant contre le président également sortant, choquait sentimentalement des hommes qui, politiquement, eussent été certes mieux représentés par M. Bouilloux-Lafont que par M. Bouisson. "Et l'effectif des flottants, qu'il importe précisément de gagner, qui font l'élection, n'était pas médiocrement sensible à cette observation d'ordre extra-politique si propre à heurter la sensibilité moyenne. Enfin, M. Bouilloux-Lafont avait encore contre lui sa personne. Certes l'homme est courtois ; mais sa courtoisie est celle d'un tempérament froid... Il se tient volontiers à distance, à la façon de M. Deschanel, avec cette différence que M. Deschanel avait un certain prestige de culture, d'éclat oratoire qui fait défaut à M. Bouilloux-Lafont. On ne voit pas bien ce dernier candidat heureux à l'Académie française. Mais tel qu'il est, il fallait bien l'adopter, où, comme disait M. Maginot, l'encaisser. Et, dès la première heure, M. Maginot, en compagnie de M. Paul Reynaud, mena la bataille avec brio.

Celui d'en face

De son côte, M. Bouisson, qui a toujours eu des amitiés à droite, comptait fermement sur celles-ci. Or si des hommes comme MM. Vallat, Ybarnégaray, royalistes, ne dissimulaient pas leur préférence en sa faveur, c'étaient là des adhésions bruyantes d'isolés sans action décisive autour d'eux.Mais le président sortant avait pour lui l'hostilité que les démocrates populaires nourrissent à l'égard de M. Bouilloux-Lafont, élu de Bretagne comme certains d'entre eux. C est qu'en Bretagne, les catholiques démocrates représentent la droite et Mv Bouilloux-Lafont a été élu là-bas par le Cartel !
D'autre part, M. Tardieu, présent dès la première heure, étalait en faveur du candidat des gauches une intense propagande, mais si indiscrète, si provocante, que l'on se demandait s'il n'opérait pas avec une maladresse calculée pour compromettre M. Bouisson en réveillant la susceptibilité des radicaux blesses naguère par le tardieusisme impénitent du «technicien« Machiavélisme improbable, encore que l'attitude de M. Tardieu ait, à coup sûr, fait perdre à M. Bouisson le concours de certaines voix radicales résignées, quelques instants auparavant, à se prononcer en faveur de ce dernier.
Le «technicien» pouvait, en somme, compter avec la compensation de quelques voix de droite pour équilibrer les pertes — qu'il avait certainement prévues — au sein du parti radical-socialiste, bien que cette hostilité n'eût revêtu aucun caractère officiel et qu'aucun mot d'ordre n'eût été donné. Les socialistes, qui avaient naturellement oublié ces légitimes griefs, n'avaient pas posé la candidature de M. Bouisson comme une candidature de parti. Avec sagesse, ils n en avaient pas fait une question de groupe. Toutefois, il convenait de voter pour M. Bouisson puisque socialiste. Mais il convenait toutefois, de voler d'autant plus que sa. réelle aptitude au fauteuil le qualifiait à la fonction de façon incontestable.
Quant au gouvernement, à l'égard de qui le président sortant avait montré tous les égard souhaitables, il n'est pas douteux qu'il exerça son action en faveur de ce dernier. L'attitude de M. Thomson, conformiste vigilant, votant à bulletin ouvert, fournit à cet égard une indication de choix. En sorte que M. Bouisson avait à la fois pour lui et M. Tardieu et M. Steeg. Ce n'est toutefois pas tout encore M. Briand lui-même vint dans les couloirs faire campagne au profit du Marseillais.

Incertitude

Tous ceux qui, dans cette Chambre, connaissent la politique, se rendaient compte que l'échec de M. Bouisson et le succès de M. Bouilloux-Lafont— qui avait pris la peine de donner au Temps une interview où il se présentait en candidat du bloc antisocialiste — constituerait pour le Cabinet une tape par procuration. Même en dehors de cette interprétation, l'échec de M. Bouisson ne pourrait manquer d'introduire, entre radicaux et socialistes, un thème de querelle dont les droites auraient pu espérer profiter. A coup sûr, par conséquent, M. Steeg était visé derrière M. Bouisson. Considération de prix.

Le quart d'heure psychologique

Les résultats du premier tour ont accusé de façon manifeste le double sentiment indiqué M. Bouisson recueillait fort peu de voix; M. Bouilloux-Lafont également  Une centaine de députés préférèrent déposer dans l'urne un bulletin blanc ou fantaisiste plutôt que de se prononcer en faveur de l'un ou de l'autre candidat.
Résistance significative.
MM. Sibille, Marin, Herriot, Maginot recueillaient dès voix. Tous noms qui, sauf celui de M. Sibille, le doyen écarté par son âge même, pouvaient être sortis en vue d'un second tour. Il y eut, sous la frêle houlette du doyen, un moment d'incertitude aiguë à la proclamation du scrutin. La droite, sous l'impulsion rapide de M. Mandel, sentait l'intérêt d'un nouvel examen de la situation. A un second tour, elle pouvait évidemment miser sur un nouveau candidat mieux choisi. A gauche, des radicaux songeaient de leur côté à se consulter en vue de la désignation d'un des leurs: M. Herriot par exemple. Mais, pressenti, celui-ci repoussa énergiquement l'offre. Encore un coup, que faire? Le règlement ne fournissant aucune orientation, le doyen consulta les augures sur la procédure d'usage. En vain. Il en référa aux deux candidats eux-mêmes. M. Bouisson, certes, n'avait pas besoin qu'on lui indiquât l'intérêt pour lui d'un immédiat retour des urnes dans l'assemblée. M. Bouilloux-Lafont, incapable d'improviser une décision, répondit que, même sur l'hypothèse d une suspension, voire d'une remise au lendemain, il lui fallait consulter ses amis... Impossible de prendre en considération une telle inertie personnelle. D'autant que, tandis qu'à droite on tergiversait, la gauche tout entière cette fois hurlait. Finalement, M. Victor Le Guen, dit Totor, merveilleusement inspiré, cria : «Une demi-heure de suspension!» Il en fut ainsi décidé.

Bloc contre bloc

Alors, de part et d'autre, on se livra à un effort acharné. A gauche, on comprit qu'il fallait sauver M. Bouisson pour sauver M. Steeg. À droite, M. Maginot, quoique fort déçu, travaillait, non sans chic, au succès de M. Bouilloux-Lafont. Les deux blocs compacts et résolus s'affrontèrent. M. Bouisson qui est pourtant entraîné à toutes les émotions, était si troublé, qu'il faillit voter pour son concurrent! Sans un voisin qui s'aperçut de l'erreur, c'eût été fait... Il était, à la vérité, assez fondé à sentir passer le vent de la mort. Bien des radicaux résolus à se consoler par la franchise de la nécessité de voter pour lui ne lui cachèrent pas, l'affaire une fois réglée, qu'ils n'avaient travaillé en sa faveur que par esprit politique, par discipline, et qu'ils espéraient bien ne pas le voir témoigner, à l'égard des chefs de la droite, d'une coquetterie aussi funeste que celle dont il donna naguère le spectacle au profit de M. Tardieu.

La grande course

Le second tour de scrutin révélait d'ailleurs le maintien d'un dernier petit lot d'irréductibles, les communistes non compris. Il faut dire que les deux candidats ont été desservis jusqu'au dernier instant par un certain nombre de ceux qui rêvent à l'Elysée. Ceux-ci n'étaient évidemment pas fâchés de diminuer un concurrent éventuel. Sans doute, en ce qui concerne M. Bouisson, il semble bien qu'il ne sera pas candidat: il l'a déclaré assez nettement. Mais on ne sait jamais où peuvent  conduire les événements.
En revanche, M. Bouilloux-Lafont se considérait comme un des partants élyséens au cas où il aurait décroché le fauteuil. Aujourd'hui, il n'est même plus vice-président de l'Assemblée et il ne peut espérer de sitôt se représenter à la présidence. De même, en prévision de l'Elysée, M. Pâté avait tenté un effort considérable pour se faire élire en tête des vice-présidents. Il annonçait partout qu'il y aurait sur son nom cinq cents voix. La gauche, la droite se l'arracheraient. Comment, avec une si belle manifestation, n'écraserait-il pas, en prestige, un président élu de court? Hélas! l'espoir, s'est envolé.


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L'Oeil de Paris pénètre partout

1931/03/14  source 


Autour de l'Aéropostale

Il y a déjà quelque temps que les gens avertis sentaient venir le naufrage de l'Aéropostale. Voici plus d'un an que L'Oeil de Paris avait signalé les scandales financiers qui couvaient autour de l'aviation. Au mois de janvier 1930, M. André Tardieu (nous l'avons conté à l'époque) faisait prier M. Bouilloux-Lafont de renoncer à une candidature ébauchée contre M. Bouisson. La discussion nocturne du budget de l'Air n avait pas empêché certaines révélations de surgir. Elle en avait seulement limité la diffusion, car la presse ne relate les séances de nuit que de façon fort succincte.
Les plus fâcheux bruits continuaient cependant à circuler au Palais-Bourbon. On murmurait qu'une banque allait encore se trouver en fâcheuse posture, qu'un parlementaire en vue aurait peut-être à rendre compte de certaines attitudes. Quelques-uns même parlaient déjà d'un nouveau dossier que la Commission d'enquête, aurait à dépouiller. Enfin, à la dernière rentrée de janvier, M. Bouilloux-Lafont posait cette fois nettement sa candidature au fauteuil. On,se rappelle que M. Tardieu fit. non moins nettement campagne pour M. Bouisson. A des amis politiques qui lui en exprimaient leur étonnement, il lui arriva de répondre sur ce ton péremptoire et sans réplique dont il a le secret: «j'ai assez de l'affaire Péret sur le dos. Je ne me fais pas le cornac de tous les défaillants.»
On crut à une boutade et l'on n'y prit qu'à moitié garde dans le clan modérantiste. En revanche, on répétait volontiers dans les groupes de gauche qu'il  y aurait le plus grave inconvénient à laisser accéder au fauteuil le propre frère du banquier sur lequel s'appuyait l'Aéropostale. Empressons-nous  d'ajouter que presque tout le monde, dans ces propos, croyait devoir faire la part de l'excès de zèle que certains amis apportent parfois à la défense du candidat qui leur est cher.

Premier S. 0 S.

M. Tardieu était bien renseigné, car déjà l'Aéropostale avait fait entendre au Gouvernement le premier appel de détresse. Le ministère Steeg était à peine installé que cette compagnie de navigation aérienne le saisissait de sa situation précaire. Elle avait conçu de grandioses projets,
Elle avait lié financièrement partie avec le Crédit Foncier brésilien et la situation intérieure plutôt troublée là-bas lui avait causé les plus sérieux déboires. La subvention du Gouvernement français était insuffisante et la concession de trop courte durée. La banque Bouilloux-Lafont avait d'autre part placé dans le public des titres de la compagnie aérienne et du Foncier brésilien. Le Loiret, l'Eure-et-Loir avaient été spécialement comblés. S'ils s'effondraient un remous de l'opinion mécontente était à redouter. En outre, pour soutenir l'Aéropostale désargentée, la banque avait engagé tous les dépôts de ses clients. Assez de déconfitures avaient démoralisé le pays. Le Gouvernement se devait d'éviter un nouveau krach.
MM. Germain Martin et Palmade occupaient alors la rue de Rivoli. Ils examinèrent la situation avec soin. Ils se rendirent bientôt compte qu'elle était désespérée. Il y avait en effet un triple sauvetage à opérer: celui des lignes, dont on risquait de voir cesser le fonctionnement du jour au lendemain ; celui de la compagnie Aéropostale, qui ne pouvait plus faire face à un passif devenu formidable ; celui de la banque Bouilloux-Lafont enfin, engagée à fond derrière l'Aéropostale. N'avait-on pas été jusqu'à faire escompter les subventions non encore reçues de l'Etat ? C'était une véritable avalanche dé décombres. La situation consciencieusement analysée, les deux ministres, après en avoir conféré avec leur collègue de l'Air, aboutirent à cette conclusion qu'il fallait à tout prix conserver à la France les lignes exploitées par l'Aéropostale, mais qu'un Gouvernement soucieux des deniers publics ne pouvait pas songer à renflouer avec l'argent de la Princesse une compagnie dont la gestion s'avérait pour le moins fort imprudente.

Répercussion politique

C'est alors que commença le grand jeu des influences politiques. On prodigua les démarches auprès dès ministres intéressés. On leur fit connaître que des personnages dont le volume n'était pas négligeable s'intéressaient au destin de 1 Aéropostale, qu'ils en faisaient une question de vie ou de mort. On prononça dans lés Cabinets ministériels les noms de MM. Flandin et Bouilloux-Lafont. Le Cabinet Steeg demeura sourd à toutes ces insistances.
:C'est pourquoi l'on décida de frapper un grand, coup. M. Bouilloux-Lafont entra en lice et posa sa candidature contre M. Fernand Bouisson, en lui donnant une signification politique telle que l'opposition de droite fît bloc derrière elle et que son succès fût de nature à porter un coup mortel au Cabinet Steeg récalcitrant. Saris doute comprend-on à présent l'attitude de M. Bouilloux-Lafont à l'égard de ce ministère de gauche auquel il ne  consentit jamais à accorder son vote, pour des raisons qui nétaient pas de l'ordre exclusivement politique. Aussi bien le candidat antiministériel au fauteuil fut-il assez cruellement déçu de ne pas rencontrer cette fois l'appui de M. Tardieu, auquel il préparait par sa candidature une rentrée prochaine, en cas de succès. Mais M. Tardieu entendait rester fidèle à son amitié pour M. Bouisson. En outre, il pressentait que, même secourue  par les pouvoirs publics, l'Aéropostale aurait encore bien du mal à se tirer d'affaire. Il refusait donc de s'y intéresser.
Ainsi, première opération manquée. Une prompte revanche s'imposait, car le salut de l'Aéropostale devenait une question de jours. A tout prix et en toute hâte il importait d'abattre le ministère qui s'était montré si cruellement récalcitrant.
Par une coïncidence assez curieuse, c'est, on s'en souvient, M, Flandin qui s'en chargea. Il n'intervint pas ce jour-là de façon improvisée. Il avait apporté un dossier pour plaider au mieux le procès du Gouvernement, auquel il ne fît grâce d'aucun coup dur. M. Bouilloux-Lafont, auquel des considérations électorales interdisaient de voter contre, était absent par congé. Le soir de la chute du ministère Steeg, on illuminait à l'Aéropostale...

Et maintenant ?

La porte dès lors s ouvrait à tous les espoirs. Sans perdre un instant on se mit en instance de renflouement. Quelle somme était nécessaire à cet effet ? Il était extrêmement difficile de le préciser, tant la comptabilité était chevauchante. Les premières estimations oscillèrent ' entre deux cents et huit cents millions. C'était, un peu volumineux.
Très crânement M. Bouilloux-Lafont prit les devants. Le jour où la question des subventions se trouva posée devant la Commission des finances, à l'occasion du budget, il entreprit de lui exposer la situation et de l'Aéropostale et de la banque dirigée par son frère. Il ne dissimula rien de ses embarras, mais il en rejeta la responsabilité-sur le Gouvernement, expliquant que celui-ci n'avait pas tenu tous ses engagements vis-à-vis de l'Aéropostale, dès lors vouée à un destin précaire. On l'écouta plutôt amicalement; on ne lui donna ni raison ni tort, car on ne savait pas trop quoi penser de toute cette histoire.
C'est à partir de ce moment que les événements se précipitèrent et que les malheurs de la banque et de la compagnie tombèrent dans le domaine public. Dé]à, dans les couloirs, depuis quelques jours, on chuchotait que les plus graves complicités allaient être découvertes; on  prononçait des noms. Ce serait pire que l'affaire Oustric.

M. Flandin mis en cause

Enfin M. Renaudel résolut de révéler tout haut ce que l'on se confiait tout bas entre collègues. Il prononça contre M. Flandin l'offensive que l'on sait,  avec production de documents, dont le ministre des Finances ne parut pas très satisfait. Celui-ci répondit par une diversion politique qu'en d'autres temps on eût jugée fort habile: c'est le Cabinet que l'on tentait d'atteindre à travers sa personne; à la majorité de faire bonne garde! Mais l'air visiblement détaché dont le président du Conseil suivait ce débat porta le plus grand tort à la manoeuvre. En somme succès d'estime.
Du coup, les langues se délièrent à l'envi. On ne murmurait plus, on racontait maintenant, à voix haute, que le ministre des Finances avait essayé d'imposer un contrat de repêchage entre l'Etat et l'Aéropostale tellement onéreux pour celui-là que le directeur de l'Aviation commerciale, le doux mais honnête M. Chaumié, bien connu des députés, avait menacé de démissionner plutôt que de consentir à donner un avis favorable.
On rapportait même des souvenirs encore plus extraordinaires, que nous relatons ici sous toutes réserves, car il ne nous a pas été donné d'en vérifier l'exactitude. Lorsqu'un emprunt fut consenti à la Pologne, disait-on, il eut pour contre-partie un remploi en France, et notamment l'achat de trois cents avions. Or M. Flandin aurait négocié (d'après la rumeur que nous nous bornons à enregistrer) la livraison de trois cents Blériot démodés, auxquels nos aviateurs avaient tout à fait renoncé. La Pologne les reçut, connut une trentaine d'accidents mortels et renonça désormais à les utiliser. Elle conçut  plutôt fâcheuse opinion de nos méthodes commerciales.

Démission ?

De tels récits provoquaient naturellement un assez vif émoi. Spontanément on se refusait à croire que M. Flandin pût conserver son portefeuille un jour de plus. Le fait est que le lendemain, samedi, un Conseil se tint dans l'après-midi, où tout le monde pensait bien que le sacrifice allait être consommé, avec ou sans douleur. il n'en fut rien: le Cabinet continuait de subsister sans modification. Au retour de la journée dominicale, on se retrouva un peu surpris, tant il apparaissait que M. Flandin serait dans l'incapacité morale de défendre la convention nouvelle, qui d'ailleurs tous les deux jours subissait de considérables métamorphoses.
On apprit alors que M. Flandin, dont on sollicitait la démission, l'avait refusée avec une énergie qui ne se laissait pas entamer. Les collègues du Cabinet revinrent à la charge : il les reçut fort mal et les menaça de faire connaître au pays que d'autres ministres, collaborateurs de M., Pierre Laval comme lui, avaient une situation plus délicate que la sienne et qu'il ne se retirerait que le jour où ils se seraient laissé convaincre de partir avec lui.
Bref il maintint de la façon la plus nette, son intention de poursuivre rue de Rivoli une tâche à laquelle il prenait le goût le plus vif. 
Les choses en sont là et M. Pierre Laval n y trouve pas uniquement sujet de se réjouir. Ira-t-il jusqu'à la démission collective aux fins de remaniement? Ce serait si peu dans ses habitudes et dans sa ligne !...


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