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L'infatigable aventurier, Joseph Kessel
raconte son vol dans un avion postal en bois et en toile
au-dessus du désert. |
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Témoignage d'époque La culture du savoir L'épopée de l'Aéropostale, de Axel Maugey Mais au
début de l'année 1931, des échos singuliers arrivèrent
jusqu'aux trois pilotes. L'Aéropostale était menacé de
faillite, murmurait-on. Pris dans les remous d'une
perturbation économique générale, Marcel
Bouilloux-Lafont avait fait de mauvaises affaires...
Toutes les entreprises se tenaient. Il avait beaucoup
d'ennemis dans la finance et dans les milieux
politiques. S'il trébuchait, on ne l'épargnerait pas. Le
krach serait total. Ses lignes aériennes n'échapperaient
pas au désastre. Les adversaires de Bouilloux-Lafont disaient: la crise mondiale ayant touché l'ensemble de ses entreprises, Bouilloux-Lafont a voulu combler les pertes avec les fonds de l'Aéropostale, certain que le gouvernement ne pourrait abandonner une oeuvre française de cette importance et, d'une manière ou d'une autre viendrait à son secours. Les partisans assuraient , au contraire, que Bouilloux-Lafont, dans sa passion pour la ligne, avait perdu son sens aigu d'homme d'affaires. Il avait placé au-dessus de tout intérêt et de toute prudence l'Aéropostale. Pour la servir et servir en même temps le prestige de son pays (les deux choses étaient indissolublement jointes), il avait investi dans l'Aéropostale des capitaux énormes, usé tout son crédit, accepté le déficit nécessaire en attendant le plein rapport qui était inévitable (et cela en tout cas était vrai). L'Etat lui avait promis de renouveler son contrat. Que l'Etat tînt parole, et Bouilloux-Lafont était sauvé. Quelle était la version juste? Je ne puis, faute de documents et de talents de juge d'instruction, me prononcer. Mais d'après la conversation que j'ai eu en 1937 à Rio de Janeiro avec Marcel Bouilloux-Lafont, voyant l'exaltation que ce vieil homme nourrissait pour une ligne impériale qui ne lui appartenait plus, la tendresse émouvante qu'il avait gardée pour ses pilotes de l'époque héroïque, la sérénité de philosophe qu'il montrait pour son propre destin et envers les hommes qui l'avaient accablé, je suis de l'avis de ceux qui affirment que si Marcel Bouilloux-Lafont commit une faute, ce fut celle d'avoir vu trop grand pour l'Aéropostale, d'avoir voulu trop pour l'aviation et d'avoir essayé, par son audace, son impulsion et sa foi, de faire ce qu'aurait dû faire la France. Mermoz,
lui, n'en douta pas. Il ne douta pas davantage de la
victoire de Bouilloux-Lafont. Même quand les pilotes ne
touchèrent pas leur solde et qu'ils continuèrent de
jouer leur existence à crédit, la conviction de Mermoz
ne fut pas entamée.... Le désordre s'installa dans l'Aéropostale. Plus de maître, plus de crédit. les constructions en cours s'arrêtèrent. Plus de grand patron. Tout le monde se mit à commander. Mermoz se mit dans l'affreuse bagarre. Il avait maintenant un nom. La traversée de l'Atlantique, le record du monde sur le Bernard, l'avaient fait connaître. Mais surtout sa personnalité morale commençait d'agir. On le voyait à Paris, et tous ceux qui le rencontraient subissaient son rayonnement. Celui-là était beau, était propre, pur et grand. Il ne cherchait aucun avantage. Il ne briguait ni argent ni honneurs. Il pensait ce qu'il disait. Il disait ce qu'il pensait. Sa foi lui donnait une éloquence simple et inspirée. Paul Painlevé déclara déclara que tout homme serait fier d'avoir un fils comme Mermoz. Les plus endurcis étaient touchés par sa présence. Sa gloire naissante et son influence magnétique, Mermoz les jeta dans la balance en faveur de l'Aéropostale et Bouilloux-Lafont. Il aimait ce chef aux cheveux blancs autoritaire, impétueux,, qu'il avait amené dans les brumes et les cyclones et qui aimait l'aviation autant qu'un jeune homme. Il lui était reconnaissant de sa confiance, de son soutien constant. Surtout il avait vu défricher hectare par hectare, grâce à sa largesse et à sa volonté, les terrains, les terrains d'où s'envolaient les appareils grondants, construire pierre à pierre, pièce de métal par pièce de métal , les hangars, les ateliers, les pylônes [a]. Il s'était penché avec Bouilloux-Lafont sur les cartes pour tracer les les itinéraires des lignes nouvelles, et avait frémi de la même émotion en songeant aux réseaux futurs. Et
tout cela se trouvait menacé ! Quand
il revint en France la mêlée autour de l'affaire
de l'Aéropostale tournait au scandale le plus
boueux.
Marcel Bouiilloux-Lafont eût sans doute fini par l'emporter. Mais son fils aîné eut une inspiration fatale. Il accusa les ennemis de son père de s'être vendus à l'Allemagne et dit en avoir les preuves. Un procès s'engagea. Il fut reconnu que les documents étaient fabriqués. Une tourbe d'escrocs, de faussaires, d'agents louches, d'espions et de contre-espions, de maîtres chanteurs, de gentilshommes déchus, d'amis traites, vint déposer. Le promoteur de l'affaire paya son erreur de deux ans de prison (note: correction, en fait il écopa d'un an de prison avec sursis). L'Aéropostale, cette fois, fut touchée à mort. Pendant ces débats, dont le déroulement occupa des semaines, Mermoz, qui croyait jusqu'au tréfonds le courrier humain, connut le pire... les hommes de la ligne eux-mêmes furent corrompus par les miasmes qui se dégageaient du marécage où s'enlisait l'Aéropostale. Ceux que la main de Daurat avait lancés et maintenus dans une voie dure, mortelle, mais étincelante et droite, se sentirent soudain sans conducteur ni gouvernail. Deux, puis quatre, puis six personnes donnèrent des ordres. Des clans se formèrent. L'envie, l'ambition, l'intérêt, la haine, naquirent avec eux. On fut pour Daurat, pour Dautry, pour Serres, pour Cangardel. Les chefs de file luttaient pour des principes opposés avec conviction. Mais les sous-ordres, les ratés, les mouchards-nés, les pêcheurs en eau trouble, s'en donnèrent à coeur joie. On se salit, on s'espionna, on se dénonça. La politique intervint. Les pilotes, abreuvés de mensonges, soûlés d'insinuations infâmes, perdirent tout respect, toute foi en ceux qui les menaient.
*** Extrait de Mermoz ,
paragraphe l'ARC-EN-CIEL, par Joseph
Kessel
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[1] Marié
seulement cinq jours plus tôt, Mermoz débarque au
petit matin du 30 août 1930 sur l'aérodrome
toulousain de Montaudran. Dans un hangar l'attend
un Laté 28 tout neuf. Rien de bien spécial à
première vue. C'est sous son capot que réside son
secret: avec cet avion, le «Grand» va tenter de
traverser l'Atlantique Nord. [a] Jusqu'à ce jour, il n'en est pas de
plus beaux en Amérique du Sud, les Allemands, les
Américains envient cette infrastructure modèle
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Lien
* Video L'infatigable aventurier, Joseph Kessel raconte son
vol dans un avion postal en bois et en toile au-dessus du
désert.
La biographie de Jean Mermoz a été rééditée.