5  Henriette Puyade


Si l’origine du premier rassemblement des navigants de Villacoublay à la maison de Viroflay revient, nous l’avons vu, à Mme Ramondou et tint bon pendant cinq ans, c’est à Mme Puyade que l’on doit la création de la Popote des Ailes, à laquelle elle a d’ailleurs consacré trente années de sa vie.

Ce fut une femme extraordinaire de bonté et de dévouement. Si la grande famille des anciens des essais en vol était déjà empreinte d’une franche camaraderie, il n’en est pas moins vrai que Mme Puyade sut maintenir cet état de choses «qu’aucune différence ne les séparât jamais », tous étaient simplement des aviateurs qu’elle réunissait sous le vocable «ses petits ».

Elle les accueillait comme ses fils, sachant tenir leur moral dans les moments les plus douloureux, soulageant les infortunes, entourant de son affection veuves et orphelins.

La salle à manger, à eux réservée, était tapissée de leurs photographies, celles des Disparus occupant les rangs supérieurs. Ainsi chacun vivait, face au destin, dans le souvenir de ceux qui n’étaient plus.

Quand l’un d’entre eux tombait en service aérien, elle, que sa bonté légendaire avait fait appeler « Mémère », assistait aux obsèques ; elle versait toutes les larmes de son corps en suivant la dépouille du « Petit » qui s’en était allé au Paradis des aviateurs. Mais jamais elle ne ferma la Popote le jour d’un enterrement : la vie continuait, il fallait garder haut le moral, et elle y tenait la main.

Sachant prendre part aux échecs et aux deuils, elle savait aussi partager joies et succès. Qui de ceux qui les ont vécus pourrait oublier les banquets qui suivaient les grands raids, les records, l’attribution d’une croix de la Légion d’Honneur ou d’une Médaille de l’Aéronautique. La table était joyeuse, toujours bien garnie, la cuisine excellente, les prix plus que modiques. Jamais elle ne réclama la note à la famille d’un défunt. La pauvre Mémère ne fit pas fortune.

Douée d’une intelligence et d’une finesse d’esprit qui n’avait d’égale que sa simplicité, elle avait des réparties naturelles pleines d’humour. Ali Khan vint un jour à la Popote; pour la taquiner, on lui demanda sous quel vocable elle allait l’appeler : Majesté ? Excellence ? Elle répondit : « Pour moi ce sera « Mon Petit » comme les autres. ». Ainsi fut dit, ainsi fut fait. Ali en fut ravi.

Son dévouement à l’aviation lui avait valu la Médaille de l’Aéronautique. Elle la reçut, le 14 janvier 1949, des mains de Clostermann (grand as de la guerre 1939-1945) avec la mention suivante :
« A fondé la Popote des Ailes en 1929. Depuis vingt ans, s’est consacrée entièrement au bien-être du personnel navigant d’essai, à qui elle n’a jamais cessé de témoigner un dévouement sans égal.

En toutes circonstances, même les plus douloureuses, elle a toujours su être présente non seulement en apparence, mais avec son cœur. Elle a pleinement justifié son titre de « Mémère » qui l’a rendue célèbre dans toute l’aéronautique.

Les services qu’elle a rendus pour maintenir l’allant et la bonne humeur dans un métier difficile et dangereux valent largement cette distinction. ».

Quand on lui apprit qu’elle allait recevoir cette distinction, elle crut tout d’abord à une plaisanterie, grande fut son émotion quand elle réalisa.

Comme nous l’avons vu précédemment, c’est en 1930 qu’elle ouvrit un Livre d’Or. Tous ceux qui sont passés à la Popote y ont déposé dédicaces, poèmes, dessins et signatures. Les plus grands noms de l’Aéronautique mondiale, voire même les cosmonautes d ‘Apollo XI, y sont couchés. De grandes vedettes du théâtre et de la chanson y ont marqué leur passage ; des ministres, des députés, de grands chefs militaires. Tous goûtaient à la Popote cette chaleur humaine qui se dégage de la grande famille de l’Air, que Mémère savait si bien cultiver.

Son Livre d’Or fut son compagnon jusqu’à son dernier souffle, le lisant, le relisant chaque jour. Véritable chapitre de l’Histoire de l’Aviation, aujourd’hui au Musée de l’Air, grâce à notre ami Jean-Marie Imbert qui en était dépositaire.

Au mois d’août 1976, Mémère perdit le compagnon de sa vie. Toute jeune, elle l’avait épousé ;
Ensemble ils avaient parcouru un long chemin parsemé d’épreuves.

Vingt ans durant, avec un courage et une abnégation qu’on ne saurait trop admirer, ils avaient gravi un douloureux calvaire en élevant un fils que la nature avait marqué dès la naissance et que la mort leur ravit.

Le départ de monsieur Puyade, « Pépé », fut un choc, cette fois trop dur à surmonter. Elle ne put s’en relever.

Le 17 janvier 1977, aux premières heures du jour, sa belle âme s’envolait pour rejoindre celles de ses « enfants » qui l’avaient devancée dans l’éternité.

Le 20 janvier, ses obsèques se déroulèrent – ô combien émouvantes dans leur simplicité ! – en l’église de Michery (Yonne) où Monsieur le Curé de la paroisses le Père Verger, aumônier de l’Air, surent donner à la cérémonie un e atmosphère de pieux recueillement et d’impressionnante grandeur. Le Père Verger, en une magistrale homélie, et avec tout son cœur, exprima ce que Mémère avait été pour « ses fils » et pour l’Aviation.

Les fleurs, envoyées par les « Ailes Brisées », les « Vieilles Tiges », les « Vieilles Racines », encadraient le cercueil, sur lequel le général d’armée aérienne Pierre Bodet déposa la palme des Vieilles Tiges. L’Aéro-club de France était représenté par son Président le colonel Dupérier, ancien de l’Escadron Normandie-Niemen.

Sur le chemin du cimetière,la Médaille de l’Aéronautique était portée par Georges Detré, la palme des Vieilles Tiges par Maurice Claisse, tous deux anciens pilotes d’essais et détenteurs de records mondiaux.

J’eus l’honneur de rendre à Mémère un dernier hommage, m’exprimant en ces termes :

Adieux à Mme PUYADE
NOTRE « Mémère » de la Popote des Ailes

Oh ! l’amour d’une Mère, amour que nul n’oublie,
Pain merveilleux qu’un Dieu partage et multiplie,
Table toujours servie au paternel foyer
Chacun en a sa part et tous l’on tout entier

Victor Hugo, Mémère, eût-il pu te connaître,.
Qu’il n’eût jamais écrit autre quatrain pour toi.
Du fond de notre cœur rien ne peut disparaître
De l’amour que, pour nous, tu nourris avec foi.
Oui, tu fus notre Mère, seconde Maman,
Qui partagea toujours et nos joies et nos peines,
Nos succès, nos revers : beaux souvenirs d’antan !
Nous étions tous à toi, sans préférence aucune ;
Ta bonté légendaire avait conquis nos cœurs.
Tu sus, en bien des cas, soulager l’infortune,
Etre le réconfort de tes aviateurs.
Tu nous consacras trente années de ta vie,
Où chaque jour, pour nous ta table fut servie.
De chacun d’entre nous tu servais le régime
Et tu n’en tolérais écart, même minime.
Tu connus les grands de l’Aviation
(De France, d’Amérique, d’Albion et d’ailleurs,
Des Essais, de la Ligne, des raids la légion,
Ministres, Députés, Généraux des meilleurs)
Dont ton beau Livre d’Or est le vivant témoin,
Le lire, le relire fut ton ardent besoin ;
Il fut ton compagnon jusqu’à ton souffle ultime,
Ton bréviaire, ta joie et ton amour sublime.

Tu rejoins aujourd’hui tous nos grands disparus,
De t’accueillir, Mémère, ont les sent tout émus,
Quant à nous, survivants d’une époque héroïque,
Nous gardons en nos cœurs ton souvenir pieux,
En attendant qu’un jour, ô vision magnifique !
Tes fils, autour de toi, soient unis dans les cieux.

G. DECOOP