Bernard CORDIER (1912-1993),
pilote puis trappiste, le Père BAUDOIN par lui-même
Biographie
manuscrite transcrite et éditée par Henri Eisenbeis
alias Lepeps. Cette transcription respecte les
intentions de l'auteur. Son droit moral est, bien
entendu, intemporel. Montage WEB
lepeps avec la bienveillance du Comte R. de
Philip. Quelques difficultés dans la
transcription des noms propres. Ce récit ferait
un bon scénario de
film. GALERIES
PHOTOS
1932 mai,
caporal-chef, pilote de chasse .
1937 aviation civile dont Air France.
1939 septembre, pilote de chasse (4 victoires dont
une probable) au groupe de chasse II/4, puis la
R.A.F*.
1945 , pilote de Ligne, chef pilote Air France. "Est-ce
que parcourir des milliers de kilomètres donne un
sens suffisant à une vie?"
1950, trappiste à l'Abbaye de Cîteaux.
1961 18 mars, sacerdoce, devient le Prêtre Baudoin.
Le Zaîre pendant 20 ans
1990, retour à Cîteaux, pour une retraite bien
méritée!
J'aurais pu naître en Afrique ou
dans une fourmilière d'Asie et non pas en France. C'est
pourquoi je crois à une certaine prédestination. En
fait, c'est à Lyon que je suis né le 3 mars 1912, dans
une famille bourgeoise, coté paternel des magistrats de
Franche-Comté, coté maternel, les Valentin Smith de
Trévoux.
A ma naissance ma mère avait épinglé à mon berceau la
généalogie des Marquis de Montrichard (mon arrière
grand mère grand père?) famille de Franche-Comté
remontant aux croisades et qui s'étaient alliés à la
famille de Saint Bernard et c'est pourquoi je fus
prénommé Bernard. En 1919 ma mère tombe très gravement
malade à la suite d'une fausse couche et d'une fièvre
puerpérale. Elle était abandonnée par les médecins dans
le coma et fut soudainement hors guérie.
Bien plus tard, elle me raconta qu'elle avait eu
l'impression d'être entraînée dans un tunnel pour
déboucher dans une lumière merveilleuse et un ange (ou
le Christ) lui demanda si elle voulait rester là.
C'était tellement beau qu'elle souhaitait y rester mais
le souvenir de ses trais petits enfants la retenait et
l'ange lui permit de revenir sur terre.
En 1920 ma famille s'étant installé à Neuilly me mit au
collège Sainte Croix en classe de huitième. Je ferai
toutes mes études dans ce collège. Ste Croix était
dirigé alors par l'abbé Petit de Lutheville (?) et de
nombreux prêtres sympathiques.
Je n'étais pas un élève très brillant, même médiocre.
J'ai été passionné par le scoutisme qui commençait
alors. Je l'ai été 10 années, chef de patrouille et
assistant chef de groupe. J'ai calculé que j'avais passé
plus d'une année sous la tente.
Ayant échoué au bac (à cette époque moins de 50%
étaient reçus), mon père qui avait de grosses
difficultés financières jugeait inutile de continuer mes
études et je fus engagé à la Cie Ingersoll Rand,
compagnie américaine qui fabriquait des marteaux
piqueurs. J'étais une sorte de bouche trou dans les
différents services. Je me souviens d'une grande
angoisse lorsque je pensais à mon avenir, dans 10 ans à
tel bureau, dans 20 ans peut-être au bureau du directeur
de service. Ma seule joie était d'aller à l'heure du
déjeuner à la piscine Molitor et m'entraîner en même
temps que Taris, le champion du monde de l'époque et qui
était du même club que moi.
Après
deux années de travail comme petit employé m'est arrivé
une des grandes chances de ma vie. Un de mes cousins
me suggère de faire le concours des "Bourses
de pilotage" dans une école privée financée par l'armée
de l'air pour former au premier stade les pilotes
d'avion.
Ayant réussi les examens écrits et physique je suis
affecté à l'école Morane d'Aulnat, près de
Clermont-Ferrand. Je reçois le baptême de l'air le
premier jour, n'ayant jamais vu ni touché un avion de
près et je suis l'entraînement classique d'un élève
pilote. Premier vol après 15 heures en double commande,
puis brevet militaire au bout de six mois. J'avais
quelques difficultés avec mon moniteur Fernand Lefebvre
qui me sanctionnait toutes les petites fantaisies comme
quelques glissades en prise de terrain ou des
atterrissages sur les roues (trois points?). Il me
supprimait la petite prime d'argent de poche que l'on
recevait chaque mois. Comme à cette école Morane, il y
avait l'excellent Morane 230 prévu pour l'acrobatie, je
n'avais qu'un désir c'était de faire toutes les figures
d'acrobatie.
C'était avec le seul manuel de pilotage que je
m'essayais aux loopings, tonneaux etc. Pour ce faire
j'allais me cacher derrière le Puy de Dôme ou au-dessus
des nuages, mais combien de descentes sur la queue avant
de réussir un Immelman.
Ce n'est qu'au dernier vol avant de quitter l'école que
je fis une démonstration au-dessus du terrain et me
valut le premier prix de pilotage.
En décembre 1931 engagement par devancement d'appel à
Istres pour continuer l'entraînement sur différents
avions et je suis classé "pilote de chasse", l'idéal
pour tout pilote. Dans ma chambrée d'Istres il y avait
Marin la Meslée, le Gloan, Littolf qui furent les as de
la dernière guerre.
Mon meilleur souvenir d'Istres reste peut-être les
gardes au poste de police ou je pouvais admirer vers 5
heures du matin les beaux levers de soleil de la
Provence.
1ère Escadre
de Chasse le Bourget, Istres, au fonds du canal
de la Bruche à Strasbourg...centre de vol à haute
altitude
En mai 1932 je
suis affecté comme caporal-chef à la première
escadre de chasse de Chasse au Bourget et à la
première escadrille sur Nieuport 62, l'avion
de chasse de l'époque, assez lent mais très
solide.
Je suis heureux d'être
près de ma famille qui habitait toujours Neuilly.
On volait très peu dans
l'armée de l'air, 10 heures en été, une ou deux
heures par mois en hiver.
A part l'entraînement aux
manœuvres de chasse, c'était toujours l'acrobatie
qui me passionnait et avec le goût du risque que
l'on a à 20 ans, il fallait la faire le plus bas
possible.
Petit à petit, j'arrivais
à faire des tonneaux déclenchés à hauteur des
arbres, ou encore à faire des concours à celui qui
redressait une vrille le plus bas possible. Je me
souviens surtout des ressources au ras du sol ou
l'on avait le "voile noir" pendant plusieurs
secondes et on se demandait alors si on
emboutissait le sol ou si ça passait.
C'était
sûrement stupide de prendre de tels risques, mais il
était aussi nécessaire de ne pas avoir peur de la mort
si l'on voulait devenir un bon pilote de chasse en
temps de guerre. En fait, chaque année, un pilote se
tuait à l'escadrille sur les 10.
Ce fut une joie le jour ou mon
commandant d'escadrille me fit admettre dans les
patrouilles d'acrobatie, car au Bourget lorsqu'un chef
d'Etat y atterrissait, en plus de la Garde
Républicaine au sol, il y avait une patrouille
d'acrobatie qui faisait une démonstration, évidemment
le plus bas possible et avec un grand bruit de moteur
et le 500 cv Hispano ronflait à merveille. Toutes les
fois le Commandant civil de l'aéroport demandait une
radiation pour ces pilotes qui enfreignaient toutes
les règles de la circulation.
Au Bourget il y avait aussi les
défilés du 14 juillet. Les 40 avions de l'Escadre se
s'alignaient plans dans plans sur le terrain et
décollaient tous ensemble. Il valait mieux ne pas
faire d'écarts pendant ces décollages. On passait très
bas au-dessus de Paris, et la consigne était qu'en cas
de panne, il n'y avait que la Seine pour nous
accueillir.
La grande affaire était chaque
année le tour de France de l'escadrille en 5 ou 6
escales. Bien que petit caporal-chef à peine arrivé à
l'escadrille, je fus désigné pour en faire partie.
La première escale était
Strasbourg. Le temps était radieux et déjà je voyais
la flèche de la cathédrale lorsque mon moteur
s'arrête brusquement. Je regarde les prés qui
pourraient me recevoir et j'en choisis un qui pourtant
n'était pas très grand. J'arrive un peu trop vite et
le sol défile sans que mes roues veuillent bien se
poser. Au bout du terrain un petit remblai que
j'essaye de sauter, et c'est un choc brutal à plus de
100 km/h. Je me retrouve au fonds d'un canal, le canal
de la Bruche ayant laissé mon train d'atterrissage sur
le remblai. L'eau avait heureusement bien amorti le
choc, et sans perdre conscience, je réalise que je
suis dans l'eau.
Etant bon nageur, je débloque
mes ceintures et mon harnais parachute et je fais
surface. Je monte sur la rive où il y a avait déjà du
monde, et j'étais évidemment tout trempé. L'idée me
vient alors qu'il y a des consignes très spéciales à
suivre lorsqu'on se pose en campagne, mais la notice
de ces consignes était dans un coin de la carlingue.
Puisque j'étais tout mouillé, je n'hésite pas à
replonger dans le canal pour rechercher cette foutue
notice et éviter tous les désagréments de n'avoir pas
observé toutes les consignes voulues.
Sur la rive du canal, j'étale
toutes les feuilles trempées et illisibles et en
attendant qu'elles sèchent je pense que je dois
récupérer mon parachute. Second plongeon et je ramène
le parachute. Et puis je pense à ma petite valise
attachée au fond de carlingue, et c'est un troisième
plongeon à la stupéfaction de tous les badauds
rassemblés pour contempler l'accident.
Je ne sais
comment il y avait déjà là un journaliste qui en fait
un grand article dans les "Nouvelles d'Alsace".
C'était la première fois que mon nom figurait dans un
journal mais j'étais désolé d'avoir cassé
mon avion et raté ce voyage de l'escadrille.
Au bout de
cette première année en escadrille je me rengage comme
sergent grâce à mes bonnes notes: "Excellent pilote de
chasse, très bon acrobate, souple et précis. Fait
partie de la patrouille d'acrobatie et de la
patrouille de concours de tir de la 1ere escadre. Doit
devenir un pilote de grande classe. Cap. Robillon"
C'est en 1936
que la direction de l'aéroport du Bourget obtient le
départ de la Première Escadre de Chasse qui est
transférée d'abord à Villacoublay puis à Etampes. Cela
ne me convenait guère d'être loin de Paris mais par
chance j'apprends que le Capitaine Michy, mon ancien
commandant d'escadrille est chargé de créer le
centre de vol à haute altitude au Bourget. Avec
un autre camarade de l'escadrille, l'adjudant Poiré,
il me prend comme pilote. Ce centre était chargé de
familiariser les pilotes à l'usage des inhalateurs
d'oxygène nécessaires lorsqu'on dépasse 5000 mètres.
Il fallait donc monter à 8000 mètres ou 10.000 mètres
pour montrer le fonctionnement et les pannes
possibles. L'avion utilisé était le Mureaux 117 qui
avait un Hispano de 850 cv et qui grimpait très bien,
mais c'était encore un avion dont le poste de pilotage
et celui du passager était découvert et à l'air libre.
Or à ces altitudes la température était généralement
de -50° à -60°. Il fallait donc des combinaisons
chauffantes et une sorte de cagoule car le moindre
petit morceau de peau non couvert gelait très
gravement et souvent malgré les bottes fourrées on
avait les pieds glacés et le retour de la circulation
du sang était très pénible.
Une autre
fonction du centre était de faire tous les jours à 7h
du matin un sondage avec deux sortes de baromètres
fixés sur les haubans afin de mesurer les températures
et l'humidité des nuages jusqu'à 8000 mètres de haut.
Quand il faisait beau, il n'y avait pas de problèmes,
mais lorsque le plafond des nuages descendait à moins
de 100 mètres, il fallait d'abord monter dans les
nuages en P.S.V. (pilotage sans visibilité) et les
seuls instruments étaient la bille et l'aiguille.
Instruments très primitifs qui avaient tendance à se
coincer dans les coins lorsque le pilotage n'était pas
parfait. Dans ce cas il fallait réduire le moteur, et
lâcher les commandes, l'avion se stabilisait tout seul
et l'on pouvait reprendre la montée. Toutefois il
valait mieux être à une certaine altitude. Par mauvais
temps et plafond bas le problème était de retrouver le
terrain, on ne savait jamais où l'on était puisqu'on
n'avait aucune aide radio pour la navigation e l'on se
retrouvait parfois à 100 ou 200 km du Bourget. On
utilisait le truc classique de repérer une voie de
chemin de fer et lire le nom de la gare en volant
assez bas. Mais combien de fois en descendant les
derniers mètres le sol arrivait très noir et l'on se
retrouvait face à face avec un arbre ou une maison.
Dans ce cas il fallait remonter rapidement et tenter
une autre percée un peu plus loin. On avait souvent de
fortes émotions. Par contre on avait la satisfaction
de voir le soleil tous les jours.
En regardant
mon carnet de vol, je retrouve un certain voyage à
Romorantin qui était un magasin de l'armée de l'air et
y prendre un bâti-moteur. Je profite de ce petit
voyage pour donner le baptême de l'air à un de mes
mécaniciens. A Romorantin, j'installe le bâti-moteur
et le mécanicien à la place arrière du Mureaux qui
était découverte. Retour par beau temps à 1000 mètres.
A hauteur d'Etampes, un petit coup de tabac, pas très
fort. Je regarde mon passage: il était assis sur le
plan fixe arrière et tenait le bâti dans ses bras. Il
n'y est pas resté bien longtemps. Je réalise avec
angoisse que je n'avais pas accroché le mousqueton de
son parachute pour une ouverture automatique. Il ne
lui restait plus que l'ouverture à main qu'il a
heureusement trouvé et son parachute s'ouvre juste
avant le sol (ce n'était pas mal pour un baptême de
l'air!!). Le champ dans lequel il était tombé était
assez grand et je me pose à coté de lui. Il avait une
jambe cassée. Trouver une charrette pour le conduire à
l'hôpital et je repars avec mon bâti tout cabossé.
Début
1937, mauvaise nouvelle: le Centre de vol en
altitude est transféré à
Istres. TOP
La question se
pose pour moi de mon avenir: rester à Istres pour
finir une carrière se sous officier était exclu. Mon
ambition était d'être pilote d'essai chez un
constructeur d'avion et de faire des meetings comme
Détroyat ou Doret, les grands pilotes de l'époque.
J'ai été voir Farman où l'on me propose d'essayer une
avion stratosphérique, mais l'avion était encore en
construction et les Farman n'avaient pas la réputation
d'être très moderne. De plus ils payaient très mas ses
pilotes d'essai.
J'avais obtenu
un rendez-vous chez Amiot, et M. Amiot m'explique
qu'il avait déjà un pilote d'essai mais que je
l'intéresserais si je pouvais quelque temps à Air
France en attendant qu'il construise des avions de
transport.
Pour entrer à Air France, on demandait le Brevet
supérieur de navigation - Brevet assez similaire à
celui de Capitaine au long cours pour la marine
marchande: navigation astronomique et hauturière,
physique, mathématiques, etc. Renseigné par mes
camarades je décidais de préparer ce brevet et je pris
45 jours de congé pour étudier le programme.
C'est bien la seule fois de ma
vie où j'ai travaillé autant. Près de 18 heures par
jour pour "bachoter" toutes les matières. Je fus reçu
et les portes d'Air France s'ouvraient toutes grandes.
J'avais alors 800 heures de vol.
A Toulouse s'ouvrait le premier
stage de formation des pilotes de ligne. Ce stage
était dirigé par Lafannechère, un ancien pilote de la
CIDNA qui avait un caractère pas très commode et était
très exigeant. C'est bien grâce à lui que j'ai pu
rester vivant dans ce métier où il y avait souvent des
accidents. Chaque année 5% des pilotes se tuaient à
Air France, ce qui justifiait un salaire assez élevé.
Après le stage de Toulouse ou
l'on apprenait à décoller sous capote en P.S.V. et à
s'aligner avec des relèvements gonio, les stagiaires
et Lannechère furent basés à Prague pour s'entraîner
sur la ligne Prague-Varsovie avec des trimoteurs
Wilbault. Il n'y avait jamais de passagers sur cette
ligne car les relations entre la Tchécoslovaquie et la
Pologne étaient très mauvaises. Après l'hiver passé à
Prague, ce fut les reconnaissances sur toutes les
lignes du Réseau continental - Londres, Berlin,
Prague, Bucarest, Genève, etc.
En mai 1938, c'était mon lâcher
comme Commandant de Bord sur la ligne
Lyon-Genève-Genève sur trimoteur Fokker. L'aller et
retour se faisait dans la journée et l'intérêt de
cette ligne était d'avoir de bons restaurants de
chaque côté. En ces temps-là, c'étaient des équipages
à deux, un pilote et un radio. Mon radio Ph. Courtois
dû se faire remplacer ayant contacté une bonne crise
de foi pour avoir abusé de bons repas.
Le 31 décembre 1938, je suis
désigné pour faire Paris-Prague avec escales à
Strasbourg et Nuremberg, sur Potez 62. Après le
décollage de Strasbourg, je trouve un assez mauvais
temps et fort givrage à 2000 mètres. Je mets en route
le dégivrage des plans et des moteurs, et c'est le
moteur droit qui givre et qui s'arrête. Obligé de
descendre et tous les instruments de vol ne
fonctionnent plus. Il ne me reste que le compas et la
bille. Je tâche de revenir sur la vallée du Rhin, mais
arrivé à 1500 mètres je m'attendais à heurter un des
sommets de la Forêt Noire d'une seconde à l'autre.
Heureusement c'est au-dessus de Strasbourg que je
perce les nuages, mais j'avais eu très chaud.
Je ramène à Paris le 1er
janvier, l'avion qui était toujours sans instruments,
et on découvrit qu'il y avait eu une erreur de montage
dans le circuit d'air qui alimentait les dégivreurs et
les instruments de vol.
Pendant l'hiver 38-39, je fais
presque uniquement Paris-Cologne-Berlin. A Berlin je
vois les défilés des troupes nazi et les rues sont
couvertes de drapeaux rouges avec la swastika. J'étais
à Berlin le soir de la nuit de "cristal", où on
cassait le vitrines des magasins juifs pour mieux les
piller. Dans mes passagers il y avait souvent des
Juifs qui manifestaient leur joie lorsque je leur
annonçai qu'on passait la frontière française. J'avais
assez souvent comme passager le Capitaine Stelhin,
l'attaché militaire à Berlin. Il venait souvent au
poste de pilotage et l'on zigzaguait sur la route pour
identifier les terrains de la Luftwaffe et compter les
avions. Mais à son retour sur Berlin il était désolé
de constater que personne ne voulait l'écouter dans
les milieux gouvernementaux.
Mobilisation
générale 1939 affecté au groupe de chasse
2/4, 4 victoires.... la France de Vichy... la guerre en
Syrie, Angletere l'escadrille "Clair de lune" sur
Lysander
Septembre 1939,
c'est la mobilisation générale et je suis nommé
sous-lieutenant le jour de la déclaration de la guerre.
J'avais le pressentiment que les guerres tournaient mal
lorsque nous les déclarions comme en 1870.
Avec les avions d'Air France on avait formé des groupes
de transport qui étaient totalement inactifs pendant la
"drôle de guerre". Avec mon ami Raymond Tixier qui avait
été avec moi à la 1er Escadre de Chasse au
Bourget, nous décidons de faire une demande pour une
unité de chasse au combat, ce qui fut accepté.
Raymond Tixier et moi, nous nous retrouvons à
Montpellier pour l'entraînement à la Chasse et au début
avril nous sommes affectés au groupe de chasse 2/4,
Escadrille des Petits Poucets et des Diables rouges
avec avions Curtiss P36 américains. Le groupe avait été
engagé depuis le début des hostilités et avait obtenu
déjà de brillants résultats. Le Groupe est basé sur le
terrain de Xaffévillers dans les Vosges. Mes premières
missions se font sur la frontière Pirmasens-Deux Ponts
et peu de rencontres avec l'ennemi. C'est au retour
d'une de ces missions qu'il m'arrive une très mauvaise
aventure: le terrain de Xaffévillers était très boueux
et, en me posant je sens les roues qui freinent dans une
mare d'eau, et je suis un peu projeté vers l'avant, et
malheureusement j'appuie sur les freins qui sont sur les
pédales du palonnier, freins auxquels je ne suis pas
bien habitué et c'est le capotage brutal. La verrière du
cockpit se referme et je suis la tête en bas sans
pouvoir sortir. Je ne peux pas détacher les bretelles et
les ceintures qui me soutiennent car je serai coincé sur
la tête et sans pouvoir sortir. Ce qui rend la situation
désagréable c'est qu'il y a une forte odeur d'essence et
que le moteur doit être encore rouge. Je m'attends donc
à ce que tout explose et prenne feu d'une seconde à
l'autre, et, cela a duré plus de dix minutes, le temps
que l'on vienne pour soulever l'avion et me dégager.
Et puis c'est le 10 mai: le
terrain est bombardé, mais sans trop de mal, à 5h du
matin alors que nous sommes encore au lit. Le
Commandant Borne décide de mettre une patrouille de 2
avions en alerte au sol et une autre en vol pour la
protection du terrain. Je suis donc en alerte au pied
de mon avion lorsqu'un planton arrive en courant et me
tend un ordre de décollage: "Partez intercepter une
formation de 100 bombardiers protégés par cinquante
chasseurs qui sont au-dessus du col de Saverne".
Il paraît qu'en lisant cet ordre, je suis devenu blanc
comme un linge… mais on ne discute pas un ordre aussi
idiot soit-il, et, je décolle avec mon équipier.
Heureusement les bombardiers et les chasseurs sont
déjà loin lorsque j'arrive au col de Saverne.
Il semble que toutes les autorités, à tous les
échelons, ont perdu, avaient perdu la tête. Autre
exemple: on voulait protéger notre terrain, mais pour
faire une protection permanente, on ne pouvait mettre
en l'air que deux avions. Ou il n'y a aucune attaque
et cette mission ne servait à rien, ou on rencontrait
toute une formation ennemie et on était en état
d'infériorité. C'est ce qui s'est passé pour mon ami
Raymond Tixier qui était en protection du terrain
attaqué par une forte formation de Messer 109. Il y
eut un bref engagement et son avion s'est mis en
vrille. Or le Curtiss avait un grave défaut: lorsque
le réservoir supplémentaire qu'on avait dans le dos
était plein, l'avion étant alors très décentré et on
ne pouvait pas sortir d'une vrille. C'est ce qui est
arrivé à Tixier. Il a bien essayé de sauter en
parachute, mais il était trop bas et il n'a pu
s'ouvrir. Que ce soit à l'échelon du Groupe ou de
l'Etat Major même incohérence: de missions sans but et
sans succès, deux avions par ci, deux avions par là.
On constate qu'on est encore plus mitraillé par la DCA
française que par l'allemande. Ils sont incapables de
reconnaître si un avion est français alors ils tirent
sur tout ce qu'ils aperçoivent, d'où la légende "il
n'y avait aucun avion français dans le ciel". Au cours
d'une mission de "chasse libre", la seule mission qui
permettait des résultats, c'est mon premier combat
réel. Nous attaquons une forte formation de
Messerschmits 109. Je choisis un ailier et je fais
l'approche classique: un fort piqué et je remonte dans
la queue du Messer qui ne peut me voir.
J'approche de lui à moins de 50
mètres et il était si près qu'il débordait de mon
collimateur. Mais j'ai une petite hésitation avant
d'ouvrir le feu. Cela me paraissait inconcevable de
détruire un avion même ennemi.
Probablement prévenu par radio par un de ses camarades
le Messer fait un brusque retournement et je manque de
lui rentrer dedans. Nous étions si bas que je crus
qu'il allait percuter le sol mais il passe tout de
même et disparaît.
Il faut savoir que la majorité des pilotes allemands
étaient très jeunes et sans beaucoup d'expérience, et
dans une bagarre nous avions un ascendant moral aussi
étonnant que cela puisse paraître lorsqu'on se croise
à plus de 500 k/h.
Une autre fois dans une grande bagarre avec les Messer
je me retrouve tout seul avec 4 Messer dans le dos. Je
me suis bien cru perdu car je ne pouvais m'échapper,
le Curtiss étant 100 km moins vite que le Messer. Dès
que je voyais un Messer qui arrivait dans ma queue, je
réduisais et je virais très sec (le Curtiss virait
beaucoup mieux que le Messer). Cette bagarre m'a
semblé très longue, et pendant que je me défendais au
mieux, j'ai pensé à la chèvre de Monsieur Seguin et à
me défendre jusqu'au bout, mais les Messer se sont
découragés et sont partis. Il ne devaient pas être
très forts et n'ont même pensé qu'ils pouvaient faire
une attaque par l'avant et une par l'arrière,
auxquelles je n'aurais pu échapper.
Un matin, le terrain est attaqué par tout un groupe de
Messer 109 et 110 qui mitraille nos avions plus ou
moins camouflés dans des petits bois qui entourent le
terrain. Le bruit des balles et des obus est
impressionnant et amplifié dans les banches des
arbres. Nous sommes tous à plat ventre et quand nous
nous relevons il y a 5 Curtiss qui flambent.
Le 9 juin c'est une autre combat qui me laisse un
mauvais souvenir. J'étais ailier de Plubeau, l'as de
l'escadrille avec 14 victoires et nous étions en
patrouille basse. Soudain je le vois partir en piqué
vers un Heinkel isolé, et je suis surpris par ce
départ rapide comme tout le monde de la formation et
j'ai quelques centaines de mètres de retard. Plubeau
arrive dans la queue de l'avion et arrose son droit
qui prend feu. Je ne suis plus guère qu'à 150 mètres
derrière lui lorsqu'un Messer 109 fait une manœuvre
audacieuse et se place entre moi et Plubeau. J'hésite
un peu avant de tirer car le point central de mon
collimateur est centré sur Plubeau en raison de la
correction de tir mais le Messer a le temps de lâcher
une rafale sur Plubeau dont l'avion prend feu
aussitôt, ce qui n'est pas étonnant car le réservoir
supplémentaire qui est derrière le pilote n'est pas
protégé, et quand il est vide, les gaz d'essence
explosent à la première balle incendiaire. Je vois
Plubeau sauter et faire une longue descente en chute
libre, et je respire pour lui quand je vois son
parachute, mais de quel côté va-t-il tomber? Ce sera
dans les lignes françaises avec de bonnes brûlures
dans le cou, et près du sol il est reçu par des tirs
de soldats français heureusement assez maladroits pour
le manquer. C'est bien une preuve de la panique de
l'armée française qui tire sur un parachute isolé, ce
qui ne doit pas se faire même sur un ennemi qui est
désarmé.
Cet accueil par les soldats français sera aussi celui
du Lieutenant Blanc descendu quelques jours plus tard.
Et cela nous met en mémoire le drame du Capitaine
Claude qui commandait mon escadrille au début des
hostilités, descendu dans un combat au-dessus de
l'Alsace, son corps criblé de balles au bout de son
parachute. On avait alors accusé un pilote allemand de
lui avoir tiré dessus, mais les aviateurs allemands
ont prouvé tout au cours de la guerre qu'ils étaient
chevaleresques. C'est donc probablement des Français
qui avaient tué le Capitaine Claude.
Dans la mission de l'après-midi, après avoir protégé
un avion de reconnaissance, la formation rentre au
terrain et je suis le plus bas de la formation.
J'aperçois un Henschkel (Henschel ?), un monomoteur
biplace qui fait de la reconnaissance sur le front de
combat. Je le seringue copieusement, mais il est
blindé et il résiste bien tant que son pilote n'est
pas touché. Il sera tout de même abattu avec l'aide de
mes équipiers.
Nous avions quitté Xaffévillers pour Orconte situé
près de Vitry le François, et détail amusant, je
découvre gravé sur une table du mess le nom de Saint
Exupéry qui occupait précédemment le terrain d'Orconte
avec sa formation. Le terrain était situé près d'un
canal, et j'aimais dans les temps libres aller à la
pêche, c'était un bon moyen de penser à autre chose
qu'à la guerre et trouver une sorte de paix. En fait
ce n'était pas en vol qu'on avait le plus peur, il y a
trop de choses à faire, c'était plutôt au sol que l'on
est le plus mal à l'aise car on réalise que l'on a peu
de temps à vivre si la guerre se poursuit à cette
cadence: déjà 10 pilotes tués sur les 30 du groupe. Ce
que je trouvais le plus pénible, c'était être en
alerte renforcée, c'est à dire dans l'avion tout
harnaché et prêt à décoller. Or si le terrain était
attaqué et que l'on décolle dès qu'apparaissaient les
avions ennemis, on était sûr de se faire descendre
avant d'avoir pris de la vitesse et ces alertes
renforcées duraient souvent plus de deux heures.
Quelques jours plus tard, dans une bagarre avec des
Messer 109, j'en vois un qui part en ligne droite et à
une vitesse assez réduite, était-il blessé? Je peux le
rattraper et tire quelques courtes rafales jusqu'à
qu'il parte en piqué et s'écrase au sol.
Une chose qui nous a beaucoup handicapé, c'est de ne
pas avoir une radio convenable, nous ne pouvions guère
communiquer entre nous et encore moins avec le sol. Si
le poste marchait c'était pour entendre les Allemands
mais rein en français.
Quelques missions encore et c'est la retraite. D'abord
un petit terrain pas loin d'Avord. Le moral était très
bas et nous déjeunions dans un mess improvisé. Arrive
un planton avec un message. Etant à côté du Cdt Borne,
j'y jette un coup d'œil: "faire une reconnaissance
vers le nord pour repérer les formations ennemis", une
mission suicide et stupide et chacun tremblait d'être
désigné. Le Cdt Borne dit alors: "c'est moi qui ferait
cette mission". Nous essayons de le convaincre que
cette mission ne servirait à rien, mais il part et
évidemment ne rentre pas. On apprit par la suite qu'il
s'était descendre près de Dijon où sa mère habitait.
Puis c'est Perpignan, Alger, Meknès, et, fait unique,
notre échelon roulant trouve un bateau à Marseille et
nous rejoint à Meknès.
A Meknès remise de décoration par le Général
Vuillemin. Il me donne la croix de guerre avec les
deux citations suivantes:
"Cordier Bernard, sous-lieutenant au Groupe II/4.
Officier de valeur, courageux et brave, précédemment
affecté à une section d'avions de transport, est venu
sur sa demande dans une formation combattante. N'a
cessé depuis son arrivée de se signaler par son cran,
son énergie et son audace. Pilote de Chasse ardent
totalisant 2400 heures de vol dont 55 de guerre. Dans
la matinée du 9 juin 40, au cours d'un engagement
contre une forte expédition de bombardiers ennemis, a
réussi d'abattre l'un d'eux en compagnie de ses
camarades, malgré l'intervention de la chasse adverse.
Le 11 juin 1940 au cours d'une attaque contre un avion
de reconnaissance ennemi, a réussi à l'abattre avec sa
patrouille après un combat acharné." (1ère et 3e
victoires officielles)
"Brillant Officier Pilote de Chasse, excellent
manœuvrier et tireur remarquable, vient de donner une
nouvelle preuve à sa valeur en abattant un avion de
bombardement (He 111) protégé par une chasse très
supérieure en nombre" (3 victoires officielles plus
une probable soit 4 victoires).
Je serai fait chevalier de la Légion d'honneur le 27
mars 1945 puis officier le 31 décembre 1954.
Lieutenant-Colonel de réserve le 1.1.1957.
La chasse française aura abattu
plus de 1000 avions allemands, autant qu'ils en auront
perdu pendant la bataille d'Angleterre. Mais le Groupe
II/4 avait perdu 10 pilotes tués, 5 blessés et 1
prisonnier.
Je suis démobilisé à Meknès et
je retrouve Air France relié à Marseille. Air France
avait alors ouvert une ligne
Vichy-Toulouse-Marseille-Lyon-Vichy. On tournait en
rond dans la petite zone non occupée. En décembre 40
un plus long voyage jusqu'à Beyrouth avec escale à
Tunis, sur un avion Farman quadrimoteur, un de ceux
qui avaient été prévus pour l'Atlantique Sud.
Je suis le copilote du chef
pilote Durmon. Le voyage se fait de nuit et dans une
zone orageuse nous avons un spectaculaire coup de
foudre, sur les bords d'attaque des flammes violettes,
au bout des hélices des flammes vertes et dans la
carlingue se forme une boule lumineuse grosse comme un
ballon de football qui se promène entre Durmon et moi
puis explose comme un coup de canon en laissant sur
tous les instruments une légère couche de soufre.
En juin 1944, c'est la guerre
en Syrie. Le gouvernement réquisitionne 8 Dewoitine
338 pour faire une navette entre Athènes (occupée par
les Allemands) et Alep en Syrie et tous les vols se
font de nuit. Le Gouvernement de Vichy affirmait
qu'aucun avion allemand ne s'était posé en Syrie en
allant vers l'Irak, or je vois un Heinkel 111
endommagé au milieu du terrain du terrain d'Alep. On
me confirme que plusieurs avions allemands avaient été
ravitaillés à Alep.
Au premier voyage un de mes trois moteurs s'arrête,
heureusement pas trop d'Athènes que je peux regagner
malgré la surcharge.
On m'envoie plus tard à Rayack où est stationné un
groupe de Chasse de Dewoitine 520 et j'assiste à des
beaux combats juste au-dessus du terrain où 6 Anglais
sont descendus en quelques minutes.
A Rayack, j'ai une aventure assez ridicule: pendant un
repas au mess, un jeune Officier me prend à parti en
disant que tous les pilotes d'Air France sont des
lâches. Il tombait mal puisque j'étais le seul pilote
d'Air France à avoir combattu et j'avais 4 victoires
sur les Allemands alors que lui n'en avait aucune et
je suis soutenu par mon ami Le Gloan qui était l'as de
ce Groupe. Mais ce qui m'a le plus surpris c'est que
le Commandant Geille qui commandait le Groupe me dit:
"Puisque vous êtes l'offensé, vous avez le choix des
armes pour un duel". C'était tellement stupide que je
me suis contenté de lui répondre: "ma religion
m'interdit le duel" et les choses en sont restées là.
Etant à Rayack, j'ai assisté à un breefing où les
Dewoitines devaient se tenir en alerte pour protéger
des bombardiers allemands qui devaient bombarder la
flotte anglaise au large de Beyrouth. Mais les
Allemands ne sont pas venus.
J'ai repris la navette entre Alep et
Athènes, une quinzaine en tout. C'est au dernier
voyage que c'est posée une décision qui est le remords
de ma vie. On avait embarqué à bord de mon avion, une
vingtaine de pilotes anglais descendus par la chasse
française pour les remettre aux Allemands à Athènes.
Lorsque j'étais à peu près au-dessus de Chypre, un
pilote anglais est venu au poste de pilotage en me
demandant d'aller plutôt au Caire qu'à Athènes. J'ai
hésité et refusé car j'avais ma famille à Marseille,
mon père, ma mère et ma sœur avec ses deux enfants
dont son mari avait déjà rejoint de Gaulle à Londres,
et c'est moi qui assurait la subsistance de toute la
famille.
J'ai pensé plus tard que ce n'était pas une raison
suffisante car il y avait une question d'honneur que
je n'avais pas assurée. Ces pilotes anglais ont
d'ailleurs été rendu aux Anglais en raison des
conditions d'armistice qui terminaient la guerre en
Syrie. Mais deux ans plus tard, je me trouvais en
Ecosse dans une base de la RAF, un soir du 31
décembre. Il y avait une fête où l'on buvait beaucoup
et un officier anglais vient me prendre à partie en
m'insultant copieusement. Nous allions en venir aux
mains lorsque le Group Captain s'interpose et me dit;
"Il ne faut pas en vouloir à ce pilote, il a été
descendu en Syrie et les Français l'ont livré aux
Allemands. Je ne pense pas qu'il était dans mon avion
et qu'il avait reconnu, mais ce mauvais souvenir se
ravivait.
Fin 41 et année 42, je
fais des voyages sur Dakar et en Afrique dans les
territoires contrôlés par Vichy, ce qui me permettait de
rapporter un peu de ravitaillement à ma famille qui
souffrait bien des restrictions d'alors.
Le 13 novembre 42, c'est
le débarquement des Américains en Afrique du Nord. On
m'envoie à Vichy avec quelques autres avions pour
évacuer Pétain et son gouvernement mais il refuse de
quitter la France.
Quelques jours après ce débarquement, la France étant
alors entièrement occupée, un beau matin arrive à la
maison le Commandant Manuel, l'adjoint du Colonel Pauy
du BCRA de Londres, venant inspecter les réseaux de la
résistance. A midi je veux lui offrir un bon repas dans
un restaurant de marché noir qui se trouvait un peu en
dehors de Marseille. Arrivé sur place, je constate avec
ennui que ce restaurant venait d'être réquisitionné pour
servir de mess aux officiers de la Wermatch (Wehrmacht).
Il était trop tard et nous avions faim, Manuel, ma sœur
et moi. Je vais alors demander au patron s'il ne pouvait
pas nous donner à déjeuner dans un petit coin. Il va
demander aux Allemands s'il ne peut pas donner à manger
à quelques amis. Les Allemands acceptent et nous
déjeunons au milieu d'un grand nombre d'Officiers
allemands. Le brave Manuel qui avait Londres quelques
jours avant avait plutôt l'appétit coupé.
C'est Manuel qui me met en liaison avec le réseau
"Phatrie" qui travaillait entre Marseille et Nice. On me
charge de tout ce qui concerne la Luftwafe. Assez vite
je ne suis pas à l'aise dans ce travail, les "boîtes aux
lettres" pour remettre ces renseignements marchaient
très mal. De plus il n'y avait aucune direction dans ce
réseau. On se réunissait au Martinez de Cannes et
n'importe pouvait voir que nous étions des "résistants".
Je demande alors à être inscrit
pour un départ en Angleterre et Londres est d'accord.
Il faut dire que mon beau-frère dirigeait la section
Renseignement du BCRA.
C'est alors une longue attente avec de nombreux contre
ordres en attendant une opération Lysander. Ce qui
embrouillait les choses c'est que nous étions 3
Cordier prévus pour ce départ. Mlle avait donné ce nom
avec de faux papiers à Manuel. De plus le Lieutenant
de Vaisseau Sonneville avait aussi des pièces
d'identité au nom de Cordier pour son séjour en
France. Dans les liaisons radio on parlait beaucoup de
Cordier et la Gestapo cherchait à savoir qui ce
Cordier. Ils sont venus à Air France pour voir mon
dossier et prendre une de mes photos. J'en étais
averti de plusieurs côtés que j'étais activement
recherché par la Gestapo. J'ai eu alors une chance
extraordinaire. J'avais rendez-vous avec Simon, chef
de réseau à Passy. Il habitait au sixième et j'avais
la bonne habitude de ne pas prendre l'ascenseur.
Arrivé au sixième, je vois par la porte entre ouverte
les longs manteaux de la Gestapo. Je redescends
aussitôt sur la pointe des pieds et passe devant la
loge de la concierge où il y avait plusieurs
Gestapistes qui heureusement ne m'ont pas vu. A la
Libération on m'a montré une petit livret de la
Gestapo où il y avait tous les noms des résistants
recherchés et un Cordier figurait à la première pas en
gros caractères. Si j'avais été pris, j'en aurai vu de
dur…
Enfin le 15 juin 43, la BBC
diffuse un message indiquant la confirmation d'une
opération Lysander.
On m'indique que je dois prendre le train de 16 heures
pour Compiègne. A l'arrivée sur le quai de la gare, je
reconnais Jean Ayral, un de mes anciens scouts. Nous
faisons semblant de nous ignorer mais nous nous
retrouvons quelques heures plus tard au rendez-vous
dans les champs.
En attendant les avions, Jean me raconte quelques unes
de ses aventures de guerre, en particulier celle ou
étant pris par la Gestapo il put s'enfuir d'un local
du boulevard Raspail où ils étaient gardés, lui et
d'autres résistants, par deux sentinelles en armes.
L'un des prisonniers demanda à aller aux toilettes et
est accompagné par une des sentinelles. Jean se
précipite sur l'autre sentinelle, l'assomme avec son
propre fusil et s'enfuit vers la porte les menottes
aux mains. Des officiers allemands le voient et lui
tirent dessus mais le ratent. Il entre dans un
immeuble, monte au grenier et se cache sous une
couverture. Les Allemands qui le poursuivaient donnent
un coup de baïonnette dans la couverture mais sans le
toucher. J'ai retrouvé Jean Ayral deux ans plus tard
en Corse où il organisait un petit commando qu'on
devait parachuter à Toulon quelques jours avant le
débarquement en Provence. Ce qu'il fit et à l'approche
des troupes françaises il s'installa dans un immeuble
à un croisement de routes et commence à canarder les
Allemands dans leur dos, ceux-ci se croyant contournés
se replièrent. Alors Ayral descendit sur la route en
faisant le V de la victoire, mais une balle française
le tua sur le coup.
Vers 22 heures, deux Lysander arrivent au-dessus du
champ qui avait été choisi. 3 lampes torches disposées
en L indiquent le sens d'atterrissage, les 2 lampes da
la base indiquent là où l'avion doit toucher des
roues. Je monte dans l'avion piloté par le Po McCairns
(nuit du 15 au 16 juin 43, nom code: NICOLETTE,
terrain "Pêche", NO de Compiègne, Hugh Verity, note
lepeps) et après une heure et demie de vol, il
se pose à Tangmer. Pas de flak ou presque, les pilotes
étaient bien renseignés sur l'emplacement des
batteries qu'ils savaient évités. On me fait grâce de
"Patriotic School" où sont interrogés pendant
plusieurs jours ceux qui arrivent de France. On me
conduit le lendemain à l'hôtel Carlton où il y a un
chef français qui m'ouvre la chambre froide pleine de
victuailles; "Prenez tout ce qui vous fait envie".
C'est le Paradis quand on a souffert des restrictions
en France. C'est aussi le grand soulagement de ne plus
se savoir recherché par la Gestapo, ne plus être
obligé de changer de domicile chaque nuit. Plusieurs
mois se passent à Londres où je rencontre Georges Libert, l'ancien chef
pilote d'Air Bleu et qui sera mon compagnon pendant
tout le temps passé dans la R.A.F.
TOP
Le BCRA voudrait que nous soyons admis tous les deux
au Squadron 161 de la R.A.F. qui fait les opérations
Lysander en France. Mais les Anglais font la sourde
oreille voulant garder l’exclusivité des opérations
leur permettant de lire le courrier de France avant de
le remettre au B.C.R.A.. Il faudra une intervention de
de Gaulle auprès de Churchill pour qu’ils admettent
notre intégration, mais ce sera dans le Squadron 148
basé à Brindisi en Italie. Avec Libert je pars en
novembre 43 pour suivre dans les différentes écoles de
la R.A.F. tout l’entraînement réglementaire. Ce seront
les stages A.F.U. à South Cernay près de Cirenster
puis le B.A.T. de Cranage.
Une parenthèse pour raconter une petite histoire assez
étonnante. En arrivant à Londres les résistants
prenaient un pseudonyme pour brouiller les pistes. On
me donne celui de "Archer". Or un de mes bons amis
Pierre Pery avait fait un passage à Londres avant mon
arrivée et avait dit à une de ses amies de Londres,
Mrs Chardey, "un de mes très bons amis, Bernard
Cordier, doit arriver à Londres bientôt, traitez le
aussi bien que moi". Dans une réunion je fais
connaissance de cette Mrs Chardey ignorant qu'elle
connaissait P. Pery et ce qu'il avait dit pour moi.
Nous sympathisons et elle m'invite plusieurs fois à
dîner mais toujours sous le nom d'Archer. Or un soir,
elle me dit:" ne seriez-vous pas Bernard Cordier?".
Très surpris qu'elle ait pu découvrir mon véritable
nom alors sue le secret était de rigueur pendant la
guerre. Je luis demande comment elle a découvert mon
nom. Elle me dit qu'elle est allée récemment dans une
réunion de spirites et avait demandé au médium ce
qu'était devenu Bernard Cordier. Le médium lui dit;
"mais vous l'avez reçu hier à dîner".
Intrigué par cette histoire de spirites, je lui
demande d'assister à une de ses séances et un jour j'y
suis invité.
Autour d'une table, nous sommes plusieurs dans une
certaine pénombre, le médium, en transes, se met à
parler avec un curieux accent anglais, l'esprit
invoqué était d'origine espagnol !!! Il s'adresse tout
de suite à moi: ce militaire qui a un uniforme avec de
beaux galons dorés (j'étais pourtant en civil), fait
souvent des plaisanteries sur la mort… ce n'est pas
convenable (en effet dans l'aviation on aime ce genre
de plaisanteries)
Il y a quelqu'un qui voudrait vous parler, il
s'appelle: "Dani… Danilo… Danielou. Tu fais bien de
rechercher toujours ce qu'il y a de difficile, cela e
servira dans la vie". Or Louis Danielou (le frère du
futur cardinal) était un de mes anciens scouts à Ste
Croix de Neuilly. Il avait rejoint de Gaulle en
Angleterre et après avoir servi dans les vedettes
lance-torpille, on l'avait chargé d'une mission au
Maroc mais l'hydravion qu'il avait pris s'était écrasé
à Gibraltar et il avait été tué. Il n'était connu à
Londres que sous le nom de Clamoshan?
Ensuite le médium me dit: "il y a aussi un gentleman
qui voudrait vous parler, c'est votre père (mon père
était mort quelques mois auparavant). Ne t'inquiète
pour ta famille, elle est dans la maison de campagne
de l'Yonne". J'ai vérifié plus tard que c'était exact.
Avec Libert nous recevons notre
affectation au Squadron 148 basé à Brindisi.
C’est aussi un squadron spécialisé dans les
"opérations spéciales" et qui travaille dans les pays
méditerranéens. Nous y retrouverons d ‘ailleurs les
meilleurs pilotes du Squadron 161 : McCairns, qui
m’avait sorti de France et Peter Vaughan-Fowler qui
sera le commandant du C. Flight. Mais c’est à nous de
trouver nos deux Lysanders. On découvre qu’il
y en a deux en Syrie. Ils sont quasiment réformés car
ils ont fait toute la campagne du Fezzan avec le
Général Leclerc.
Toujours avec Libert nous
partons pour la Syrie en mars 1944 et on nous montre
les deux vieux Lissy – à peu près retapés. Nous les
convoyons jusqu’à Alger où on refait les entoilages
pourris et où on installe l’échelle extérieure. On ne
savait pas l’âge ni les révisions des moteurs Hercules
sans soupapes, mais nous avions vu qu’ils consommaient
pas mal d’huile. Nous rejoignons le Squadron 148 à
Brindisi où on nous installe des réservoirs
supplémentaires sous le ventre du fuselage.
Enfin fin avril 44 nous
sommes " opérationables ".
Ces opérations
d’atterrissages en pays ennemi sont assez rares parce
que longues à préparer : il faut faire venir du pays
visé un opérateur susceptible d’être capable de
trouver un terrain et d’organiser l’atterrissage et le
renvoyer chez lui lorsqu’il aura été formé. Cet
entraînement se fait en Angleterre. Lorsqu’il aura
trouvé un terrain ad hoc, ce terrain sera ensuite
photographié par un avion spécial en photo aérienne.
Puis la R.A.F. donnera son accord et c’est par radio
qu’on indiquera le jour de l’opération.
Le C. Flight fait
mouvement sur Bastia en Corse d’où partiront les
opérations vers la France.
Ce sera le 10 juillet 44 que
Libert et moi sommes désignés pour une double
opération sur le terrain "Figue" qui est situé à 20 km
NE de Lyon ; tout à côté du champ de manœuvre de la
Valbonne.
Vers 23 heures c’est
Libert qui décolle le premier du terrain de Borgo et
je le suis aussitôt. Décollage pénible car le Lysander
malgré ses 800 CV est chargé de 3 passagers et d’un
réservoir de 200 litres. Je me traîne à 100 m
d’altitude au second régime car les volets de bords
d’attaque refusent de rentrer. Je ne peux même pas
passer les petites collines du Cap Corse mais après un
piqué jusqu'au ras des vagues, les volets rentrent et
le Lissy veut bien prendre l'altitude de 3000 mètres.
Vol sans histoire au-dessus de la vallée du Rhône.
Très peu de flak. On voit seulement quelques petites
boules oranges qui semblent monter assez lentement
mais tout de même passent très vite lorsqu’elles
arrivent à hauteur de l’appareil.
Vers 2 heures du matin
nous tournons autour du point de rendez-vous, mais
sans voir les 3 lampes torches qui indiquent le lieu
de l’atterrissage, ni la lettre en morse du code.
Après 15 ou 20 minutes de
vol nous décidons de retourner à Bastia ce qui fera 6
h de vol pour rien.
A Bastia on a pu avoir un
contact radio avec Lyon et nous décidons de repartir
le soir même.
Les 3 passagers de chacun
des avions n’étaient pourtant guère enthousiastes de
passer une seconde nuit dans le Lysander, debout et
serrés comme dans une boîte de sardines. Cette fois-ci
nous avons un beau repère sur la côte française.
Toulon venait d’être bombardé par les Américains et on
voyait les flammes dès le décollage.
Arrivés au lieu de
rendez-vous, le balisage était bien en place: 2 lampes
torches fixées sur des piquets indiquent là où il faut
toucher des roues, et la troisième à 110 m indiquait
le sens de l ‘atterrissage face au vent. Georges se
pose le premier et je tourne au-dessus du terrain en
attendant qu’il redécolle.
Je constate alors qu’il y
a beaucoup d’activité sur le champ de manœuvre de la
Valbonne, les Allemands faisant des exercices de nuit
avec tirs réels et fusées multicolores.
Voyant que Georges ne
repartait pas et le sol m’envoyant la lettre du code
en morse, je me pose à mon tour et Georges vient me
dire : "J’ai calé mon moteur et vidé ma batterie. Rien
à faire.".
Il faut savoir que le
moteur Hercules était excellent mais avait le défaut
particulier aux moteurs sans soupapes: il refusait
absolument de démarrer lorsqu’il était chaud. Alors
attendre 2 h qu’il refroidisse et la batterie à plat ?
Les Allemands de la Valbonne avaient peut-être entendu
les 2 avions et allaient arriver sans tarder.
Il fallait
partir au plus vite. On demande à l’agent chargé de
l’opération de mettre le feu à l’avion dès que tout le
monde aura quitté le terrain et Georges monte à la
place arrière de mon avion.
Le Lysander était
beaucoup plus léger, je prends le cap direct vers la
Corse en survolant toutes les Alpes. La nuit était
très belle et j’admirais les sommets neigeux lorsque à
hauteur de la Barre des Ecrins je découvre un ruisseau
d’huile qui coule entre mes jambes.
Panne possible et
peut-être proche et le sol n’est guère hospitalier.
Toutes les vallées sont dans le noir le plus absolu,
la lune ayant disparu.
Pas question de sauter en
parachute. Le passager n’en ayant pas, la coutume dans
la R.A.F. voulait que le pilote retourne les sangles
du sien pour ne pas être tenté de s’en servir.
Je dis à Georges que nous
allons avoir des ennuis et il me répond : "J’ai perdu
mon avion, débrouilles-toi avec le tien.".
Heureusement le réservoir
d’huile est assez important pour les moteurs sans
soupapes et comme il se trouvait dans le dos du pilote
je pouvais sentir avec ma main la hauteur de l’huile
chaude et je constatais que le niveau ne baissait pas
trop vite. En effet nous avons pu regagner la Corse de
justesse.
Au retour à Brindisi, violente rafale du Group Captain
Rankin pour avoir abandonné l'avion sans le détruire,
ce qui n'était pas facile vu les circonstances, mais
un avion photo P.R.U. prouva que l'avion avait bien
brûlé. Le fermier qui nous avait accueillis sur son
champ me raconta plus tard qu'il avait été obligé de
sacrifier le seul bidon d'essence qu'il avait pour
faire brûler les 1000 litres d'essence de l'avion, et
que les Allemands étaient venus chercher un cercueil.
Ce Group Captain Rankin était franchement détesté par
toute la base de Brindisi. Un jour, son avion Halifax
s'écrase au décollage et prend feu. Toutes les
munitions explosent dans un beau feu d'artifice et je
rencontre des mécaniciens hilares… "C'est le Group
Capain qui vient de se casser la gueule!" Il s'en est
tout de même sorti mais quelques mois plus tard il
sera cassé sans que j'en sache la raison exacte.
Nous avions un avion de
liaison, un petit bimoteur Cessna et n'ayant pas
d'opérations en vue, je décide d'aller au Caire avec
un des pilotes chercher des pièces de rechange pour
nos Lysander. Grande joie de trouver le Caire bien au
dehors de la guerre et on nous conduit dans les vastes
souterrains d'où on avait retiré les pierres des
pyramides. On y avait installé le magasin des pièces
de rechange pour l'aviation. C'était la caverne d'Ali
Baba où nous avons trouvé tout ce dont nous avions
besoin.
Le 14 juillet 44, opération
double au départ de Brindisi pour Almiros qui était à
une centaine de kilomètres d'Athènes, pilote F.O.
Attenborough et moi-même. Mon passager était un
Général Grec qui arrive avec trois valises. On lui
fait comprendre qu'une seule doit lui suffire, et dans
le vent des hélices, il fait le tri dans ses valises.
Il fait beau, mais pas de lune, ce qui complique un
peu la navigation au dessus des régions montagneuses
de la Grèce. Je distingue tout de même le Mont
Parnasse qui est sur ma route. Nous arrivons tous les
deux ensemble au dessus d'Almiros et le problème est
de descendre à l'aveuglette entre les montagnes, mais
la mer proche est un bon repère même dans la nuit.
Attenborough se pose le premier et repart rapidement.
J'atterris à mon tour et, en faisant demi-tour, je
distingue un uniforme allemand, ce qui est
généralement ce que l'on craint le plus dans ce genre
d'opérations. Mais puisque le premier atterrissage
s'était bien passé et que le groupe d'accueil semble
très calme, on m'explique que n'ayant pas de passagers
prévus pour le retour, on me donne un prisonnier
allemand qui encombre les partisans. C'est un adjudant
qui me semble assez paisible. Il monte donc à la place
arrière et je mets le cap sur Brindisi. A mi parcours
je vois les lampes de bord qui faiblissent donc plus
de courant dans la batterie. Donc pas d'espoir de
prendre le radio-phare de Brindisi, cependant j'arrive
tout de même au dessus du terrain mais par malchance
arrive aussi tout un groupe de Halifax revenant de
mission. Pas de radio pour demander un tour
d'atterrissage, pas de feux de position et plus
beaucoup de d'essence en réserve. J'arrive tout de
même à me glisser entre 2 Halifax et à dégager
rapidement la piste. Je trouve l'explication de la
panne de courant. Le contact général qui commande la
charge de la batterie se trouve à la place arrière et
le brave allemand qui devait s'ennuyer avait coupé le
contact.
J'ai pu constater ce jour
là, le "fair play" des Anglais. Au retour de mission
on avait droit à deux œufs frais, au lieu des tristes
œufs en poudre. Et on invite le prisonnier à notre
table. Je trouve cela un peu anormal, mais les Anglais
me disent: " il a dû avoir peur pendant le voyage, il
faut bien le réconforter ! ".
Le terrain de Brindisi était
juste au bord de la mer et il était bien agréable en
été de pouvoir se baigner dans une jolie crique d'eau
claire. Un jour nous avions été faire un entraînement
à une quinzaine de kilomètres de notre base et nous
revenions avec notre jeep toute neuve en étant près de
huit passagers sur la voiture et j'étais à l'arrière
du véhicule. Nous marchions à plus de 100 k/h sur une
route toute droite et déserte lorsqu'une charrette
débouche d'un chemin creux. Notre conducteur fait un
petit écart pour l'éviter, mais la jeep qui tient très
mal la route, roule d'abord sur deux roues vidant tout
le monde sur la chaussée avec jambes et bras cassés.
Elle se retourne complètement et je vois le bitume à
quelques centimètres de mon nez, pensant être broyé
mais sans sentir la douleur. Après avoir glissée sur
près de 50 mètres sur la route, la jeep sort sur le
bas côté, va renverser un cerisier, mais reste
suspendue au dessus du fossé et je peux me dégager
sans une égratignure et même pas une tache sur mon
uniforme. Comment étais-je passé de l'arrière à
l'avant pour me recroqueviller sous le tableau de
bord? J'étais pensé que c'était la Sainte Vierge qui
m'avait protégé ce jour-là.
Puis ce sera le débarquement de
Provence avec les milliers de bateaux attendant leur
tour pour débarquer leurs troupes.
Puis ce sera la libération de Paris dans les derniers
jours d'août et le 2 septembre M. Soustelle, le patron
de la D.G.E.R. veut revenir à Paris. Une bonne partie
de la France est encore occupée par les Allemands,
mais aucun avion en vue! Avec le petit Cessna bimoteur
nous rejoignions Toussus et Paris.
Je retrouve avec joie ma
famille après plus de deux ans d'absence, mais ce qui
m'a laissé le souvenir le plus marquant, c'était de
circuler en voiture dans Paris qui était comme un
désert car il n'y avait guère plus d'une dizaine de
voitures en circulation. Dans les mois qui suivirent
nous regagnons définitivement Paris et nous nous
installons dans les bureaux de la Kriegmarine au
carrefour de la Muette. Ce sont alors des voyages à
Alger, Rome, Belgrade, Tirana soit avec le petit
Cessna, soit avec un JU 52 qui était fabriqué en
France pour les Allemands. Je suis promu
Capitaine.
En
juillet 45, démobilisation, Air France....
seigneur de l'Atlantique Nord...
En
juillet 45,
je suis démobilisé et je rejoins Air France. Il faut
former et entraîner les nombreux pilotes dont AF a
besoin. Ce sera d'abord à Toulouse
puis au Bourget où se crée le CPPN (centre de
perfectionnement du personnel navigant). Je dirigerai
ce centre pendant 1 an avec l'aide de plusieurs
pilotes expérimentés. Mais il n'était pas possible de
faire voler plus de 50 pilotes, alors qu'on en avait
convoqué plus de 100, les pilotes démobilisés étant
très nombreux, et j'avais la tâche bien désagréable
d'annoncer à un certain nombre qu'on ne pouvait pas
les conserver. En août 46, je quitte le CPPN pour
devenir chef pilote du réseau continental et pouvoir
suivre les jeunes pilotes tout juste formés.
Le 23 décembre je dois
ouvrir de nouveau ouvrir la ligne Paris-Madagascar,
interrompue depuis la guerre. L'avion DC3 prévu ayant
eu quelques problèmes techniques, le départ est
retardé d'un jour. On ne peut encore voler que de
jour, beaucoup de terrains n'étant pas ouverts au vol
de nuit, aussi il était prévu de coucher à Tunis, le
Caire, et à Nairobi. J'arrive au soir à Tunis et il y
a beau temps prévu jusqu'au Caire. Je décide donc,
d'accord avec les passagers, de rattraper le jour
perdu en volant de nuit jusqu'au Caire. Etant passé
huit jours auparavant à El Aden, l'escale nécessaire
pour ravitailler, je sais que ce terrain est ouvert la
nuit. El Aden est un terrain militaire de la R.A.F. en
plein milieu du désert de Cyrénaïque. Beau temps pour
traverser le golfe jusqu'à Bengazi où commence tout de
même une couche de stratus bas très continue qui cache
tout le sol. Le radio tente de contacter El Aden, mais
pas de réponse. Je pense que le radio-phare me
permettra de trouver le terrain, mais hélas le
radio-phare est aussi muet. Il est 3 heures du matin.
Après 3 heures 30 de vol, je m'estime à hauteur d'El
Aden et je commence à tourner en rond. La radio
n'arrive pas à contacter d'autres stations et lance le
signal de détresse sans plus de réponse. Je commence à
m'inquiéter très sérieusement: je n'ai plus assez
d'essence pour regagner Tripoli, ni à attendre le
jour, car il me reste moins de quarante cinq minutes
de vol.
Pendant que je continue à tourner en rond au dessus de
mon point estimé, et qui est très incertain, je
prévois ce qui va se passer lorsque les moteurs
s'arrêteront, plonger dans le noir et m'écraser sur
une colline de sable. S'il y a des blessés, il faudra
peut-être attendre plusieurs jours pour qu'on nous
retrouve. Je pense à la commission d'enquête après
l'accident qui trouvera que j'ai été imprudent de
faire ce vol de nuit et déjà me vexe. Je n'avertis pas
les passagers, il en sera temps à la dernière minute.
Pour l'instant l'hôtesse Janine Lançon leur sert un
réveillon de Noël. Après trente minutes d'angoisse qui
m'ont paru très longues, le miracle se produisit.
J'aperçois une petite lumière dans un trou de la
couche de nuages. C'est bien la piste d'El Aden qui
est restée éclairée. C'est bien un vrai miracle, car
se retrouver à l'estime à un kilomètre près du but,
après un vol de mille kilomètres sans aucun repère,
c'est normalement inconcevable. Je vois arriver vers
l'avion un militaire à le démarche incertaine et je
commence à déverser sur lui toute la peur qui
m'étreint depuis plus d'une heure. Il me dit: "But
Sir, that's Christmas Night, only angels are allowed
to fly".
Cela me désarme et je vais boire un verre au mess où
toute la base est réunie pour la Nuit de Noël, et sans
s'occuper des avions.
Le reste du voyage jusqu'à Madagascar sera sans autres
histoires.
Le 15 mars 47, le Nice-Paris
disparaît dans les Alpes. On frète un avion pour
rechercher l'épave et le nouveau Directeur Général
d'Air France, Henri Ziegler est à bord. Dans les
environs de Grenoble on survole les montagnes et M.
Ziegler me demande de prendre les commandes, et comme
je trouve qu'il frôle les sommets un peu trop près, je
lui fais signe de prendre un peu d'altitude pour ne
pas être dans les courants rabattants. Il n'en fait
rien me disant qu'il connaît très bien le vol en
montagne. A plusieurs reprises je reprends les
commandes pour passer les sommets à l'altitude de
sécurité et il en paraît fort vexé.
On retrouve les débris de l'avion qui a touché une
arête et a provoqué une avalanche qui a emporté tous
les corps un peu plus bas. Sur place on recherche les
corps avec des tiges pour sonder la neige et ainsi on
découvre le corps du pilote.
Le lendemain, on me fait savoir que je ne suis plus
Chef Pilote, M. Ziegler aurait dit que je suis un
"froussard", ce qui est un comble de reprocher à un
pilote de ligne d'être trop prudent!
Je rentre dans
les rangs et heureux de n'avoir plus de
responsabilités. J'abandonne de même la Présidence du
SNOAM (le syndicat des pilotes de ligne), n'ayant
guère été défendu par le syndicat.
Je suis affecté sur la ligne Extrème Orient qui relie
Paris à Saïgon avec un DC4.
En novembre 47, je suis sur la ligne Paris-New
York avec des Constellations. C'est alors la
ligne la plus intéressante avec des avions modernes et
pressurisés qui peuvent voler à 8000 mètres au dessus
des nuages et marchent à plus de 500 k/h. Les vents
sont généralement d'ouest et obligent à faire deux
escales.
Le parcours le plus direct était Paris Shannon en
Irlande et Gander en Terre Neuve. Mais souvent la
météo est la plus favorable vers le sud par Santa
Maria aux Açores ou, au contraire par le nord via
Mecks en Islande. Presque tout le parcours se fait en
vol de nuit, et au dessus de l'Atlantique, on se sent
bien de la terre surtout quand on peut admirer de
magnifiques aurores boréales. Le vol avec des escales
dans le sens Est-Ouest prend en moyenne de 20 à 25
heures. Par contre en Ouest-Est on a des vents
généralement favorables et on arrive à faire des vols
directs en 15 heures. Le 8 janvier 48, j'étais à New
York pour un retour sur Paris à l'aéroport La Guardia.
J'arrive vers 5h de l'après-midi et il y a une forte
tempête de neige. A New York il peut tomber un mètre
de neige en quelques heures. On me dit que l'aéroport
est DGO, c'est à dire interdit à l'atterrissage comme
au décollage. En effet, dans la neige on n'y voit pas
à 3 mètres.
Mais par hasard, je passe à la météo et je vois une
situation assez rare: les isobares assez serrés
suivent exactement le grand cercle New York-Paris, et
les vents arrières sont estimés à plus de 100 k/h
pendant tout le parcours. J'ai une longue discussion
avec les autorités de l'aéroport et finalement on me
permet de décoller après avoir signé une déclaration
où je prenais l'entière responsabilité du décollage.
Je serai d'ailleurs le seul avion à décoller ce
jour-là.
Il faisait alors nuit, et toujours dans la neige,
je vais en bout de piste, et après avoir essayé les
moteurs, j'ai alors un certain regret de m'être engagé
dans cette aventure car il fait vraiment un temps de
chien.
Le décollage se passe bien et j'ai bien une moyenne de
100 k/h de vent arrière tout au long du chemin, et le
vol durera seulement 10h.15, ce qui est le record de
vitesse et restera valable tant qu'il y aura des
Constellation sur cette ligne.
En général, on
ne fait que 5 traversées par mois, restant à New York
deux jours complets. J'avais un studio à New York et
je m'étais fait pas mal d'amis.
Sur mon carnet de vol, je
remarque une traversée qui se terminera à Washington
le 28 février 48. L'aéroport de New York était très
encombré par suite du mauvais temps et on m'avait
dérouté sur Washington. Le vol avait été très long,
plus de 30 heures de vol, soir deux nuits blanches et
tout l'équipage était bien fatigué et nous désirions
nous coucher au plus vite.
A l'aéroport de Washington, les douaniers insistent
pour que l'on dépose le bar à la douane. Je réponds
que l'avion sera fermé à clé, et étant juste en face
de la douane, il n'y a aucun risque.
Mais le lendemain matin je vois mon avion toutes les
portes ouvertes et des bouteilles cassées tout autour.
Complication avec la douane qui m'accuse d'avoir entré
des boissons alcoolisées frauduleusement. Un employé
de l'aéroport me glisse dans l'oreille que ce sont
justement les douaniers qui ont fracturés les portes
et bu tout le champagne. J'aurai tout de même droit à
un procès et à une amende de 10.000 dollars (payé par
la compagnie AF).
Le 13 mai 1948, je reviens de
New York et à l'atterrissage on me demande si je veux
bien repartir aussitôt pour aller à Tel Aviv en
Israël.
Le gouvernement ne voulant pas reconnaître tout de
suite l'indépendance d'Israël avait demandé à la Cie
Air France de faire une liaison pour marquer son
intérêt pour Israël. L'avion est un DC3 tout neuf, et
je retrouve à bord deux futurs ministres d'Israël que
j'avais pris à New York. Vol de nuit et la première
escale est Rome mais à Marseille je rencontre un front
froid orageux très actif. Dans l'orage l'avion est
très secoué, les grêlons font un bruit terrible et la
foudre frappe par deux fois l'appareil.
Le mécanicien et le radio, assez jeunes dans le
métier, sont terrorisés et me supplient de revenir me
poser à Marseille, ils croient que l'avion va casser
en l'air. J'avais d'ailleurs peine de le maintenir en
vol. Je fais demi-tour, toujours dans l'orage, mais à
la sortie, j'ai un peu honte de faire un demi-tour, ce
qui ne se fait pas sur la Ligne. Je repars pour
traverser pour la troisième fois cet orage. Le petit
bimoteur qui amenait Joseph Kessel en Israël s'était
posé à Marseille. Rome-Athènes-Tel Aviv et son petit
terrain près de la ville. C'est le lendemain que doit
être prononcée l'indépendance. Le lendemain je me
rends au terrain où il y a une forte agitation et des
bruits de mitrailleuses. En effet des Spitfires
égyptiens attaquent le terrain et mon avion est la
cible principale. J'ai peine à aller voir les dégâts
entre deux attaques et à la fin de la matinée, je
compte 80 impacts mais il n'a pas brûlé. Aucun moyen
de réparation sur place et je suis obligé d'abandonner
l'avion.
Donner
un sens à ma vieDieu existe bien...
mon chemin jusqu'à l'Abbaye de Cîteaux..
Un jour en
me posant à Orly, je réalise qu'il y 3 jours que je suis
parti de cette piste pour New York et en revenir, et il
ne reste plus rien de ce voyage. Est-ce que
parcourir des milliers de kilomètres donne un motif
valable à ma vie? Je suis pourtant un grand
favorisé: j'ai un métier qui me passionne et qui est
bien payé, beaucoup de liberté entre les voyages. Une
certaine considération que donne le métier de pilote et qui flatte
un peu la vanité. Je sais que je suis considéré comme un
des meilleurs pilotes de la Compagnie et mes camarades
ont une certaine estime pour moi puisqu'ils m'ont
désigné par deux fois comme président de leur
association.
Mais cela ne donne pas un sens suffisant à une vie. La
religion ne compte plus beaucoup pour moi, m'en étant
écarté pour vivre des aventures sentimentales et ne pas
avoir de remords.
Je souhaitais me marier et avoir une famille, mais
devenu très difficile je ne trouvais pas le femme avec
qui passer toute une vie. Il y avait pourtant bien des
hôtesses sympathiques. Ce sera le 15 août 1948 que la
réponse m'en sera donné par le Ciel.
Je descendais dans les mêmes palaces et restaurants que
les milliardaires et je pouvais dire que je connaissais
toutes les boites de nuit de New York, Los Angeles…
Ayant plusieurs jours de liberté avant le prochain
courrier, au lieu d'aller les passer à la campagne chez
des amis, je préfère rester à la maison où je suis tout
seul. J'achète quelques provisions et je ferme les
volets de l'appartement pour me trouver en quelque sorte
en dehors du temps.
J'avais de bons livres et je lisais tranquillement celui
de Lecomte de Nouÿ qui parlait des origines du monde et
de son évolution.
C'est alors que j'ai une sorte d'illumination:
"Dieu existe bien. Il est tout. Et je n'existe que par
Lui, et il m'aime, moi particulièrement"
Mieux qu'une vision ou que des paroles, c'est une
certitude qui envahit tout mon être et une évidence que
je ne peux discuter.
Après une heure de profonde émoi, je m'engage devant lui
à lui consacrer toute mon existence.
Mais je réalisais bien que cela
ne pouvait se faire du jour au lendemain, et je me
donnais un maximum d'un an et demi pour le réaliser,
c'est à dire Pâques 1950.
Puisque Dieu devenait ma seule raison d'être, il
fallait que j'organise ma vie en conséquence.
J'allais voir le Père Congar, le théologien qui
était au Saulchoir, la maison d'études des Dominicains
à Soisy-sur-Seine. Il me donna le conseil de
m'installer à "L'eau vive", une maison d'accueil
dépendant de leur monastère. Cette propriété avait été
celle de la Pompadour, puis celle du Général Gouvion
St Cyr. On me donna une chambre dans une petite maison
au milieu du parc. Cette chambre était au second alors
que le premier était occupé par Jacques Maritain, le
philosophe, avec sa femme et sa belle-sœur. Au rez de
chaussé il y avait Alain Peyrefitte, le futur ministre
qui venait de se marier et de se convertir.
A l'Eau vive, je trouvais tout ce qui m'était
nécessaire, un milieu religieux et la possibilité de
découvrir vers quel institut religieux je pourrais
entrer. Car une vocation tardive (j'avais 37 ans) pose
pas mal de problèmes.
Je continuais mes vols sur New York et, entre deux
voyages j'étudiais la Bible et tout ce qui se rapporte
à la religion et même assistait à certains cours
donnés aux jeunes Dominicains.
***
Le 6 février, je décolle de New
York pour Gander, l'escale où on fait le plein pour
traverser l'Atlantique et l'avion est à son poids
maximum. Vers 3 heures du matin, je vais m'aligner sur
la piste de départ. Il y a une tempête de neige et le
runway est très verglacé. Au moment précis où
j'atteins la vitesse de décollage, je vois une forte
baisse de pression au moteur No 4. A cette seconde, je
peux encore arrêter le décollage. Je réduis tous les
moteurs et m'arrête aux balises. Le mécanicien me
demande pourquoi j'ai arrêté le décollage, il n'a rien
vu d'anormal. Je reviens au bout de piste, et on
essaye tous les moteurs qui donnent bien leur
puissance. Nouveau décollage, et c'est en passant les
balises que les moteurs 3 et 4 baissent fortement leur
pression: les hélices sont passées au grand pas.
Dans la neige nous frôlons les cimes des sapins,
l'avion est au second régime, à la limite de la
sustentation et je m'attends qu'il décroche d'une
seconde à l'autre. C'est alors que le cockpit est
envahi par une épaisse fumée noire et une odeur de
cramé. Le feu qu'on n'aime pas du tout à bord d'un
avion accentue une certaine panique car normalement la
mort n'est pas loin. Je coupe le contact général
puisque cela semble bien être un court circuit, mais
alors plus de lumières pour éclairer les instruments
de bord et surtout plus de radio pour signaler notre
état de détresse, et surtout qu'on n'éteigne pas le
balisage. Impossible aussi de rentrer le train qui
freine l'avion. Je me traîne autour du terrain à la
vitesse minimum, virant tout doucement pour ne pas
perdre les quelques kilomètres de vitesse qui nous
permettent de tenir encore en l'air. Tous ces ennuis
ont duré certainement un quart d'heure, mais dans ce
cas cela m'a semblé une éternité. J'arrive à pose
l'avion délicatement car, à pleine charge, on devait
normalement vidanger l'essence avant de se poser.
L'examen de l'avion a montré que ce sont les "booster
pomp" qui sont à l'origine de ce court circuit. Ces
"booster pomp" sont des petites pompes électriques
placées dans les réservoirs d'essence et que l'on met
en route qu'au moment du décollage en même temps que
les manettes des gaz afin d'alimenter en essence les
moteurs pendant l'accélération. Pendant l'essai au
bout de piste, elles n'étaient pas en route et les
moteurs donnaient toute leur puissance au petit pas.
Mais le court circuit dans une des pompes atteint dans
la liasse des fils électriques, les fils qui
commandent les pas des hélices qui sont électriques,
et les font passer du petit pas au grand pas perdant
ainsi les 3/4 de la puissance.
En mars 49, je vais
prendre tout de même des vacances de neige au col de
Voza avec quelques camarades d'Air France et des
hôtesses. Mais déjà je ne peux plus me passer de la
messe quotidienne et d'une rencontre avec mon Seigneur
et Dieu. A 7h. du matin alors qu'il fait encore nuit,
il me faut descendre l'ancienne piste olympique qui
est terriblement tôlée à cette heure et atteindre le
petite Eglise des Houches. Malgré le grand plaisir du
ski, j'abrège mes vacances pour aller visiter le
Monastère de Hautecombe qui me paraît bien triste en
plein hiver.
Quelque temps plus tard je fais l'expérience que
lorsqu'on est suffisamment uni à Dieu on ne peut plus
faire de péché grave. Un soir dans mon studio de New
York, arrive une jeune femme qui était très amoureuse
de moi, j'avais une très forte tentation
naturellement, mais un regard sur le crucifix que
j'avais au dessus de mon lit, me donne la force de
résister.
J'avais alors 8700 heures de vol, c'est à dire un an
dans les airs.
Un jour, me promenant sur la
Cinquième Avenue à New York, je m'arrête devant la
librairie qui est en face de l'hôtel Plazza et je vois
un livre avec la photo d'un moine. C'est le livre de
Thomas Merton, moine à l'Abbaye cistercienne de
Gethseinnanie (?), "la nuit privée d'étoiles". La
trappe que j'avais éliminé au début de mes recherches
en raison de son austérité peu humaine, me devient
beaucoup plus intéressante et je me renseigne ensuite
sur les différentes Abbayes cisterciennes.
Celle d'Aiguebelle me paraît très attrayante par sa si
belle architecture du 12e siècle.
En fait ce sera Cîteaux où j'irai car on me recommande
son Abbé Dom Godefroy Belorgey, lequel me reçoit très
bien et m'invite à suivre la retraite de la Communauté
en février 50. Au jour dit, j'arrive en gare de Dijon,
et par politesse je téléphone à l'Abbaye pour avertir
de ma venue, mais le portier me dit: "on ne reçoit
personne" et il raccroche. J'ai alors une forte
tentation d'aller rejoindre mes amis aux sports
d'hiver, mais comme il faut attendre deux heures le
train pour les Alpes, je pense que j'ai le temps de
faire une prière à la Ste Vierge et je prends un taxi.
Je sentais que ma vocation était en jeu. Arrivé à
Cîteaux le portier me reconnaît et me dit:
"c'est vous l'aviateur, on fait exception pour vous".
Excellente retraite par un Père Carme et je suis
convaincu que c'est bien à Cîteaux que je peux me
consacrer au Seigneur. Le père Abbé voyant que j'étais
très décidé me dit: "revenez pour la Semaine Sainte et
on verra". Suivre les offices de la Semaine Sainte
dans une Abbaye vous transporte dans un autre monde où
l'on peut vivre la Passion du Christ comme un
événement actuel. Mais les aviateurs n'avaient pas
dans les milieux religieux une très bonne réputation
et le Maître des novices m'avertit que je serai
d'abord "oblat" c'est à dire sans engagement même pas
la vêture de novice, et que je pourrais partir quand
je le voudrais.
Bien entendu j'accepte cette année de probation
puisque j'avais l'essentiel de la vie religieuse.
J'avais exactement la vie des novices: la Messe où on
assistait à cette époque à une moyenne de 3 Messes par
jour, parfois 4 ou même 5. Il y avait aussi les 7
offices tout au long de la journée.
Le travail manuel pendant 6 heures par jour, au
potager et en été les foins et la moisson qui se
faisaient à la fourche ne connaissant pas encore les
tracteurs et autres machines agricoles. Il fallait se
donner physiquement à fond, jusqu'aux limites de ses
forces, et c'était bien une façon de prier avec tout
son corps, qui, lui aussi se donnait totalement au
service du Seigneur.
On se levait tôt, à deux heures du matin. Cela ne
m'était pas trop pénible puisque j'avais l'habitude de
me lever très tôt et même de passer des nuits
blanches, mais il était difficile de résister au
sommeil de 3h. à 5h. lorsqu'il fallait étudier au
scriptorium.
La nourriture était très spartiate: une soupe et un
plat de légumes, ni viande, ni poissons, ni œufs. Vers
11h. du matin on avait un bon creux à l'estomac.
il y avait aussi le silence total, on ne communiquait
qu'avec des signes des mains, un peu comme les sourds
muets. Pendant ce noviciat, j'ai eu des problèmes avec
le Père Maître des novices qui se méfiait un peu de
moi parce qu'il me trouvait moins docile que les
autres novices qui avaient 20 ans. Mais cela a été
bénéfique car il faut avoir plus de vertu pour obéir à
quelqu'un qui ne vous est pas très sympathique. C'est
lorsque j'avais difficultés que j'ai trouvé le remède:
passer une demie heure près du St Sacrement même sans
faire de prière explicite, et on retrouve la paix et
le courage.
Après les deux années de
noviciat, il y a les vœux temporaires pour trois ans
et le commencement des études écclésiastiques:
philosophie et théologie, en tout cinq années.
Là encore j'ai quelques problèmes avec le professeur
de théologie. Tout se faisait en latin et si
j'arrivais à lire les manuels à peu près correctement
je ne pouvais répondre en latin aux interrogations
verbales et cela m'était reproché. Il se trouve
qu'ayant été convoqué un jour pour une période
militaire je me trouvais dans le train ce Nancy où je
devais passer une visite médicale. Dans le corridor je
regardais le paysage quand soudain une sorte de voix
intérieure me fait comprendre que je dois continuer
mes études pour arriver au sacerdoce.
Je n'ai donc plus de scrupules et j'insiste pour
persévérer. A l'examen final avant d'être présenté au
sacerdoce je suis interrogé pendant quatre heures sur
l'Eucharistie, et ce sujet est particulièrement
délicat pour ne pas dire de bêtises. Tout se passe
bien et je suis convaincu sue le St Esprit était avec
moi.
La vie dans un monastère
trappiste est avant tout parfaitement réglée. Toujours
aux mêmes heures les offices et tout le reste suit.
On trouve tout de même le temps entre deux exercices
pour venir à l'Eglise et prier, et c'est alors qu'on
retrouve la paix qui est parfois un peu ébranlée
lorsqu'on a un problème dans la vie communautaire.
Je crois que c'est une preuve de la présence de Dieu
au milieu de la communauté pour arriver à faire vivre
toute leur vie dans un lieu clos une cinquantaine
d'hommes venus de tous les horizons sociaux et même
étrangers. Seul un grand amour de Dieu fait que non
seulement on se supporte mais qu'on s'aime comme des
frères et c'est une nouvelle famille dans laquelle on
est intégré.
Le Supérieur, le Père Abbé, joue un rôle capital dans
un monastère qui suit la règle de Saint Benoit. C'est
lui qui oriente la spiritualité de ses moines, qui
décide de tout ce qui concerne la vie quotidienne.
C'est à lui qu'on va confier ses problèmes. C'est
encore lui qui attribue les différents emplois pour
faire marcher le monastère. L'Abbé est élu par les
moines réunis en Chapitre converti autrefois élu à
vie, mais maintenant il doit démissionner à 75 ans.
Le 18 mars
1961, c'est mon sacerdoce ...
plus de vingt ans en Afrique,
Cameroun, Zaïre, les Katangais, les mercenaires...
le Rwanda, mon monastère...
Le 18 mars 1961, c'est mon sacerdoce
qui sera célébré dans mon ancien collège Sainte Croix de
Neuilly par Monseigneur Le Cordier assisté par
l'Abbé du Bettellois Dom Grammont. Il se trouve que dans
l'assistance, il y a plusieurs Généraux dont Zeller et
Challe (c'était quelques jours avant le putch d'Alger).
Peu de temps après je suis envoyé au Cameroun dans une
fondation d'Aiguebelle: Grandseluc (?) qui avait des
problèmes de personnel et de finances que l'on me charge
d'assainir. Ce monastère était implanté dans la grande
forêt primaire à 150 km au sud de Yaoundé. Climat assez
chaud et tropical avec de gros orages en fin de journée.
Un jour, ayant des courses à faire à Yaoundé, je vais
dire ma messe dans la cathédrale (qui a une magnifique
charpente avec le beau bois du pays). J'étais à un petit
autel isolé et avant de commencer la Messe je suis pris
d'un certain scrupule me sentant indigne de faire venir
le Seigneur et mon Dieu sur cet autel par ma seule
volonté. C'est alors que je suis comme "inondé" d'une
joie et d'un bonheur que je n'avais jamais ressenti dans
ma vie.
Comment j'ai passé plusieurs
heures avec une femme nue dans mes bras.
Un jour passant à la mission d'Obout, le Père
missionnaire me demande: "Puisque vous allez à la
Léproserie de N'Den, pouvez-vous me débarrasser d'une
lépreuse qui m'ennuie". J'accepte et deux gaillards se
déshabillent complètement et partent dans la forêt.
Ils ramènent la lépreuse par les pieds et par les
jambes, complètement nue. Ils la poussent dans ma
voiture à coté de ma place. Elle pousse des hurlements
et se débat. Je suis obligé de la ceinturer avec un
bras pendant que je conduis de l'autre pour qu'elle
n'ouvre pas la porte. Elle essaye de me griffer mais
elle n'a plus de doigts aux main. Nous arrivons à un
barrage où des soldats me disent: "On ne passe pas sur
cette route, il y a des rebelles". Je leur dis: "dans
ce cas, prenez la lépreuse avec vous". Ils
ouvrent la portière, et, devant l'odeur ils la
referment et me disent: "passez, et que Dieu vous
garde".
J'ai célébré plusieurs messes à
la chapelle de N'Den. au début cela va à peu près,
mais à la fin, avec la chaleur, l'odeur devient très
pénible. Je resterai à Grandseluc un peu plus d'un an.
En 1963 je suis envoyé au Zaïre
à Bukavu où Cîteaux avait fait une fondation de
trappistines fournies par l'Abbaye d'Igny qui est près
de Reims. Il y avait là donc une dizaine de
religieuses françaises et j'y étais comme second
aumônier chargé plus spécialement de l'extérieur.
Bukavu au Kivu est situé au centre de l'Afrique dans
la région des Grands Lacs dont le lac Kivu est un des
plus beaux. La région est assez montagneuse et il y a
des volcans encore en activité. Le monastère est à
1600 mètres d'altitude ce qui permet un climat très
agréable entre 18 et 25 degrés de température. Dans
les premières montagnes à l'ouest du monastère
commence la grande forêt qui va jusqu'à l'Atlantique
oùil y a des éléphants et surtout les
derniers gorilles des montagnes qu'on peut voir à
moins d'un quart d'heure du monastère. A 150
kilomètres vers le nord il y a le parc de la Rwindi,
une grande réserve pour les animaux sauvages, les
lions, les éléphants et les hippopotames etc. c'est
une des plus belles d'Afrique. Lorsque j'arrive en
décembre 1963, il vient d'avoir eu un soulèvement de
rebelles qui a été assez rapidement maîtrisé à Bukavu
mais un Père blanc a été assassiné dans son Eglise à
Bukavu. C'est vers Kisangani que la rébellion durera
le plus longtemps. En juillet 64, cette fois c'est la
rébellion des mercenaires qui avaient été engagés par
le Zaïre. Ils arrivent un beau matin à Bukavu et
combattent les soldats zaïrois qui s'enfuient au
Rwanda tout proche, mais par suite d'un contre ordre
ils quittent Bukavu le jour même après avoir massacré
20 soldats zaïrois qui avaient été fait prisonnier.
Quand l'armée zaïroise revient à Bukavu le lendemain
il y a plusieurs Européens tués et beaucoup de femmes
blanches qui s'étaient réfugiées dans le collège des
Jésuites seront violés devant leur mari.
Ce même lendemain un camion de soldats arrive au
Monastère. Quatre soldats en descendent et me mettent
leur mitraillette sur le ventre. Dans ce cas il faut
parler et discuter et si possible faire une
plaisanterie pur les faire rire. Mais ce qui me
faisait le plus peur c'est qu'ils tremblaient beaucoup
avec leur arme et je craignais qu'ils appuient sur
leur gâchette sans le vouloir. Ils s'en iront sans que
je sache pourquoi il étaient venus.
Pendant un mois c'est à peu près le calme mais on sait
que les mercenaires préparent une nouvelle offensive.
Le 4 août, je me promenais sur la route quand une
voiture s'arrête et un policier zaïrois, le revolver
au poing, m'oblige à monter dans la voiture, et à un
barrage un peu plus loin s'écrie: "J'ai arrêté un
mercenaire déguisé en prêtre". Aussitôt les soldats se
précipitent avec des bâtons et me tapent dessus. Par
chance le chauffeur de la voiture me connaissait et
réussit à passer le barrage rapidement.
Le 6 août, au matin, on entend des rafales de
mitrailleuses et d'armes automatiques dont le bruit
s'amplifie par écho dans les montagnes et les balles
qui passent près du monastère sifflent fort. Nous
voyons sur le route une auto mitrailleuse qui tire sur
le monastère avec du gros calibre et des balles
explosives qui éclatent en touchant les murs.
La communauté se réfugie dans un petit bâtiment et on
dit l'office malgré tout.
Plus tard on rencontre dans les couloirs des
mercenaires qui veulent nous rassurer et nous
annoncent qu'ils vont passer la nuit à Murkesa. Il
doit y avoir à peu près 200 mercenaires européens et
autant de Katangais, plus tous les Européens qui
s'enfuient du pays pour regagner le Rwanda. Il y a
aussi dans le monastère de nombreuses femmes et jeunes
filles qui sont venus s'y réfugier.
Le "colonel" Schram viendra nous inviter à le suivre:
"sinon vos sœurs seront violées et massacrées". Avec
la Rd. Mère Lutgarde je discute de la situation et
nous allons prier pour être finalement d'accord pour
rester, nous confiant à la Providence.
Au lendemain matin la colonne des mercenaires part
vers Bukav qui est à une vingtaine de kilomètres. Deux
jours après nous voyons arriver les premiers soldats
zaïrois qui ne nous causeront d'ailleurs aucun
problème. Je leur explique que s'ils franchissent la
clôture ils risquent d'être maudits par Dieu et je
leur distribue de nombreuses médailles.
Les mercenaires se sont retranchés à Bukavu et nous
restons totalement isolés pendant deux mois avec les
Pères de la mission de Murkesa.
Un beau jour, on apprend que les mercenaires n'ayant
plus de munitions et abandonnés par ceux qui les
soutenaient en Belgique, se replient au Rwanda en
abandonnant leurs armes. L'armée zaïroise revient
alors à Bukavu et son commandement lui accorde cinq
jours de pillage comme si Bukavu était une ville
ennemie. Toutes les maisons seront vidées de tous
leurs meubles, frigo, radio etc.
Je resterai vingt années au
Zaïre, m'occupant de réparer les moteurs, d'installer
l'électricité etc. de faire les courses à Bukavu,
Kigali ou Bujumbura, mais surtout d'assurer les messes
et les conférences spirituelles. Quand je suis arrivé
à la Clarte-Dieu il y avait 10 sœurs françaises et
autant d'africaines et quand je suis reparti il y
avait 20 Africaines dont la mère Abesse.
Tous les deux ou trois ans, je retournais en France
pour quelques semaines grâce à Air France qui me
donnait des billets gratuits.
Mon plus grand plaisir a été de défricher un parc de
plusieurs hectares, couper et désoucher les arbres, de
mettre de l'herbe paspalum qu'il faut planter brin par
brin et aussi toutes les fleurs qui poussent si bien
dans ce climat où il n'y a pas d'hiver.
A l'occasion d'un voyage au parc de la Rwindi, j'ai pu
faire l'ascension du Nyaracongo, un volcan de 3600
mètres près de la ville de Goma. Ce colcan avait la
particularité de d'avoir un lac de lave dans son
cratère, à peu près à en dessous de ses lèvres. Il
faut y passer la nuit pour le voir dans toute sa
splendeur, la lave d'un rouge orange qui monte et
descend et cela semble une bouche de l'enfer,
d'ailleurs les indigènes en ont très peur. Mais
quelques années une fissure se fera à la base du
volcan et toute la lave se répandra aux environs
atteignant aux environs atteignant même les premières
maisons de Goma. Il ne restera plus qu'un tout petit
lac de lave tout au fond d'un cratère.
A coté du Nyaracongo, il y a le volcan de Niamalagica
moins haut et beaucoup plus actif. Presque chaque
année il y a une éruption dans un petit cratère. Les
tremblements de terre sont assez fréquents mais pas
très forts.
A la mission de Murkesa il y a le P. Jacques Fievet,
un père blanc qui a un petit cessna pour pouvoir
ravitailler les missions qui sont dans la forêt et qui
n'ont aucune route convenable. Je l'ai accompagné en
1977 pour ramener en France son avion qui avait besoin
d'une révision générale.
***
Le bruit a couru qu'il y avait
des apparitions de la Ste Vierge à 4 ou 5 jeunes
filles à Kibeho petit village au Rwanda à partir de
novembre 1981. J'y suis allé et j'ai pu assister à 4
apparitions, 2 de la Ste Vierge et 2 de Jésus. J'avais
un œil plus critique pour être sûr qu'elles étaient
véritables et j'en ai été convaincu car il n'est pas
possible de jouer une comédie car les apparitions
duraient plus de deux heures.
J'ai pu parler aux voyantes qui sont des jeunes filles
ayant une certaine instruction. Les théologiens du
diocèse reconstituaient les conversations, d'ailleurs
très simples comme une mère qui parle à sa fille de
ses problèmes de tous les jours et les incitant à
prier. J'ai retenu une épisode où Jésus montrait à
Nathalia des moments de sa Passion ce qui bouleversait
la brave fille et il ajoutait:
"Quelle autre preuve de mon amour pour les hommes
aurais-je pu donner? Ils n'ont qu'indifférence et même
mépris".
Ce qui est surprenant c'est parfois les filles
paraissaient s'évanouir et elles tombaient comme une
masse en avant et en arrière. Il était très émouvant
pour les spectateurs de savoir la Ste Vierge ou Jésus
à quelques mètres de soi. J'ai pu assister à la
dernière apparition le 27 novembre 89, c'était celle
d'Alphonsine (celle qui avait eu la première
apparition en 81)
***
En 1983, je rentre à Cîteaux
désirant y finir ma vie et à reprendre la vie de
communauté. Cependant en 90 on me demande de partir au
Zaïre pour faire
un remplacement d'un aumônier qui doit partir en
Belgique. C'est alors que je fais la rencontre
extraordinaire d'Adria, c'est une brave paysanne du
Rwanda totalement illétrée. Elle a reçu la visite de
Jésus il y a une quinzaine d'années. Jésus lui a dit
qu'elle perdrait son mari et ses quatre enfants mais
qu'il lui donnerait une famille beaucoup plus grande.
Elle devait recueillir tous les enfants abandonnés et
orphelins ou handicapés. Ce qu'elle a fait et on s'est
beaucoup étonné en se demandant comment elle arrivait
à les nourrir. Quand je suis allé la voir, elle avait
une cinquantaine d'enfants, les plus âgés s'occupant
des bébés. Mai ce qu'il y a de plus extraordinaire,
c'est que depuis 10 années elle ne mange ni ne boit ni
ne dort et pourtant elle a fort bonne mine et est même
très bien en chair. Elle est très gaie et l'on sent
tout de suite chez elle une grande bonté pour tous
ceux qui l'approchent. Elle a déjà une si grande
renommée de sainteté que le gouvernement du Rwanda a
construit une route de plus de dix kilomètres pour
qu'on puisse lui rendre visite.
Voici le message de Jésus pour son
prêtre Baudoin reçu par Mama
Adria. Ce message a été donné par Jésus lui-même dans
la nuit du 17 janvier 1990.
Le Seigneur veut renouveler la
bénédiction sacerdotale que tu as reçu à ton
ordination et cette bénédiction qu'il t'accorde
aujourd'hui c'est pour que tu vives dans la paix
durant les années à venir.
Il veut que tu
accomplisses ton ministère dans la joie et qu'un jour
tu ailles la retrouver dans la paix et la joie du
ciel. Il y a beaucoup de choses que le Seigneur t'a
pardonnées. Le Seigneur dit que pour tes dernières
années il te donnera les grâces nécessaires pour que
tu saches te renouveler. Le Seigneur ne voudrait pas
que tu prennes du repos comme tu l'aurais peut-être
voulu. Il voudrait te donner une mission spéciale.
S'il te laisses retourner là-bas en France c'est en
vue de cette mission: accompagner les autres
spirituellement par la prière. Dans l'Eucharistie que
tu reçois, tu vas toujours accueillir tous ceux qui
par toi veulent aller à Jésus et tu vas les faire
communier en entrant dans la communion de Jésus.
Mon fils, mon fils, c'est moi le Seigneur qui vis en
toi et qui demeure en toi et accomplis le ministère du
salut à travers ta personne.
Je voudrais provoquer en toi cette conviction que
c'est moi qui agis lorsque tu accomplis ton ministère
selon mes vœux. Je t'accorde les grâces que tu m'as
toujours demandées et je voudrais te les accorder
surtout à partir d'aujourd'hui jusqu'à la fin de ta
vie.
Au fur et à mesure que tu prendras en compte mes
désirs que je te donne et pour lesquels il faut prier,
je me hâterai d'accorder des grâces aux personnes pour
lesquelles tu pries. Tu voudrais me rencontrer, me
voir, mais quiconque accomplit ma volonté ici sur
terre, m'a déjà rencontré. Le désir d'accomplir ma
volonté est une grande grâce, c'est déjà le début de
la vision, de la rencontre avec le Seigneur. Quant à
la souffrance que tu vas vivre dans tes dernières
années, sois en paix, ce ne sera pas un obstacle pour
toi dans ta vie d'union au Seigneur, au contraire.
Le Seigneur n'a pas voulu dire quelle souffrance.
Quand tu sentiras dans ton corps quelque chose qui te
fera souffrir, ce sera alors le début de la fin, c'est
un avertissement que le Seigneur te donne afin de te
préparer à ta fin. Quand tu seras en train de
souffrir, pense à offrir cette souffrance là pour le
salut de toutes ces personnes.
Il t'arrive beaucoup de méditer, écoute ce qui monte
en toi, il y a des pensées qui surgissent en toi et
qui te confirme que nous sommes en union dans ton cœur
et dans ton esprit. Je veux accroître cette grâce
d'union. TOP
les
obsèques ont été célébrées le 18 septembre 1993 à
l'Abbaye.