"Rafale en Afghanistan" du Capitaine ROMAIN (Éditions Vario)    
PRÉFACE
J’ouvre avec grand plaisir ce livre où nous est contée par le menu la façon dont nos avions de combat les plus sophistiqués sont engagés en Afghanistan. L’auteur, le capitaine Romain, est un jeune officier de l’Armée de l’Air, pilote de combat confirmé sur Rafale. Il a eu le grand mérite - et le courage - de noter quotidiennement ce qu’il a vécu, aussi bien au sol qu’en vol, lors d’un récent tour d’opérations de deux mois en Afghanistan. Il en a conçu ce livre simple et vrai, écrit dans un style alerte où le lecteur découvre notamment l’ambiance très particulière des opérations aériennes conduites dans ce lointain pays, opérations dont le public ne reçoit en général que de bien faibles échos. Même si cette guerre en Afghanistan en rappelle à certains égards une autre, celle que beaucoup d’entre nous ont vécue, il y a un demi siècle de cela, outre méditerranée et même si certaines leçons que l’on a pu en tirer ne doivent pas être oubliées, les moyens engagés et l’adversaire en Afghanistan sont totalement différents, justifiant ainsi toute l’attention que nous devons porter à ce livre.


Par petites touches successives, au fil des jours, l’auteur nous révèle certains aspects des conditions de vie sur la base de Kandahar où il a été déployé avec son détachement d’avions Rafale, à coté de Mirage 2000D, de F16, de Harrier, C160, Antonov 72, hélicos... et drones. Kandahar ! : énorme base aérienne et immense campus poussiéreux, un campus à l’américaine mais au caractère multinational très marqué, où vivent 13 000 personnes, militaires et civils, Américains, Britanniques, Canadiens, Hollandais, Bulgares... Français pour ne citer que ceux là. Dans les notes de notre capitaine, on prend la mesure de la puissance de la logistique US pour assurer le support vie d’un tel ensemble d’unités disparates - PXs où l’on trouve de tout, cafétérias, salle de sport, salle de massage... Constitué d’énormes tentes, certes superbement alignées, le casernement n’a cependant rien du Hilton. Notre capitaine évoque le vacarme, la nuit, des climatiseurs, des hélicoptères et des avions, des véhicules aussi lesquels sillonnent les nombreuses routes du campus à une vitesse strictement limitée pour ne pas trop soulever de poussière ! - sans même évoquer les tirs d’entraînement des hommes chargés de la sécurité de la base ou l’explosion, de temps à autre, d’une roquette tirée par des Talibans soucieux de rappeler leur présence non loin de là... Et les boules Quiès de s’imposer! On mesure aussi certains avantages offerts par la technologie moderne dans le domaine des transmissions lorsque l’auteur raconte comment, grâce au webcam et à son portable, il lui est possible d’entendre - et de voir - les siens, à 5000 kilomètres de là. Un avantage dont ceux d’Algérie, et moins encore ceux d’Indochine, ne pouvaient profiter.

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Au fil des pages où l’auteur évoque de jour en jour son activité aérienne, le lecteur en apprend à chaque fois un peu plus sur les missions de l’aviation de combat en Afghanistan, sur la façon dont ces missions sont déclenchées, exécutées, contrôlées, sur la façon aussi dont les équipages, notamment ceux des Rafale opèrent. C’est là, sans aucun doute, ce qui fait toute l’originalité du livre.
On retrouve certes en Afghanistan les missions classiques de l’aviation dans toute guerre subversive: reconnaissance photo ou à vue, appui direct des troupes, protection de convoi. L’armement dont disposent les Talibans, et notamment les missiles sol-air à courte portée, impose cependant aux forces aériennes des capacités spécifiques - celles de déceler, d’identifier et de frapper l’adversaire à distance - ce qui impose des avions à haute performance disposant d’équipements et d’armements eux mêmes sophistiqués. Il est souvent de bon ton de critiquer une telle sophistication. Pourtant, on ne manque pas d’être frappé, dans le récit de notre capitaine, par les très nombreuses sollicitations dont cette aviation de combat est l’objet de la part des troupes au sol, qu’il s’agisse de surveiller une zone donnée, d’appuyer une unité accrochée par des Talibans, ou qu’il s’agisse surtout de protéger des convois dès lors que ceux-ci ont été attaqués ou risquent simplement de l’être.
La lecture de ce livre nous permet en même temps de prendre la mesure de la difficulté de voir et d’identifier l’objectif - parfois deux ou trois personnes jugées suspectes ou quelques individus réfugiés dans la cour d’une ferme, au milieu d’autres habitations. Dans un tel contexte, on comprend l’importance attribuée au strict respect des règles d’engagement et le stress des équipages causé par le souci toujours aigu d’éviter l’erreur de tir, surtout lorsqu’un appareil comme le Rafale est armé de bombes modulaires à guidage GPS, sachant qu’une erreur d’affichage de coordonnées ne se rattrape pas. L’insistance de l’auteur sur ce point tranche singulièrement avec l’impression de manque de conscience des équipages que certains commentateurs ont laissé entendre dans la presse, après quelques très regrettables " bavures " d’appareils alliés sur ce même théâtre. Ce livre permet aussi de découvrir certains moyens spécifiques dont dispose l’équipage d’un Rafale pour exécuter de telles missions, depuis les jumelles gyrostabilisées jusqu’au mini-ordinateur portable embarqué à bord, lequel permet d’obtenir la photo satellite de l’objectif sur simple affichage de ses coordonnées ! De quoi ébahir les " anciens " pilotes de chasse, et même les moins anciens d’entre eux...
D’une façon plus générale, notre capitaine nous" embarque " littéralement à bord de son Rafale en nous contant à chaque mission un peu plus de ce qui se passe à bord. Cela va de la mise en route jusqu’à la prise de terrain en spirale serrée, au retour de mission, afin d’éviter les tirs éventuels de missiles sol-air, en passant par les contacts avec les contrôleurs avancés, le stress de la recherche de l’objectif, les manipulations à bord pour armer les bombes guidées, le passage du relais, si l’affaire n’est pas terminée, à une autre patrouille qu’elle soit française, américaine, britannique, canadienne ou hollandaise - en passant enfin par la recherche de l’avion ravitailleur, quelle que soit là aussi sa nationalité. Car les missions, apprend on, sont en général longues - jusqu’à cinq heures de vol comportant deux, voire trois ravitaillements en vol. Chaque mission comporte en effet, en général, plusieurs interventions sur des zones qui peuvent être très éloignées les unes des autres, depuis la zone sud de l’Afghanistan jusqu’à la zone frontière avec le Pakistan, au nord est du pays, le tout au gré des demandes, voire des appels au secours des troupes au sol. Cette capacité d’intervention, l’aviation de combat moderne la doit précisément aux hautes performances de ses vecteurs, de ses équipements et de son armement.


Le livre se termine sur une belle page où l’auteur résume en quelques lignes les impressions de son séjour en Afghanistan. J’ai retenu notamment cette phrase:
" Je n'ai pas hâte d'y retourner, même si je me porterai volontaire : c'est mon rôle. "
Cela s’appelle avoir le sens du devoir. Merci, capitaine, pour votre passionnant témoignage !
Général de Corps Aérien (ER) Michel FORGET