TourMaG
- Le 15 janvier 2009, à la suite de l’arrêt de deux moteurs, dû a
l’ingestion d’oiseaux, un A320 d’US Airways a amerri sur l’Hudson River
et ses 155 passagers et membres d’équipage ont été sauvés, avec un seul
blessé. Cela ne tient-il pas du miracle ?
Jean Belotti - Miracle est un bien grand mot. La chance est qu’il y ait
eu un plan d’eau disponible, sinon l’avion se serait écrasé sur les
habitations très denses autour de l’aéroport.
Quant à la réussite
de l’amerrissage, elle est due au sang-froid, à l’expérience, à la compétence,
au "savoir faire" du commandant de bord, assisté de son copilote (au
sujet duquel les médias n’ont dit aucun mot !). En effet, il a quasiment
instantanément pris les bonnes décisions pour présenter son avion dans les
meilleures conditions à la verticale de la rivière et effectuer un amerrissage
parfaitement contrôlé, réussi sur un plan d’eau calme, ce qui n’aurait
pas été le cas en mer, du fait des vagues.
T.M.
- Une telle rassurante réactivité est-elle souvent constatée ?
J.B.-
Elle n’est pas constatée "souvent" car des dizaines de milliers
de vol se déroulent normalement, grâce aux décisions prises, en temps réel,
par les pilotes. Bien sûr, elles ne sont pas connues, ni par les passagers, ni
par le public. En effet, ne sont jamais dévoilées les situations
potentiellement dangereuses qui ont été déjouées par les équipages, évitant
ainsi la survenance de nombreux incidents ou accidents. Cela est normal, car il
est inutile de faire "peur". Cela étant, j’ai cité dans un récent
ouvrage "Indispensables pilotes", de nombreux cas où les pilotes sont
intervenus dans des situations sortant de l’ordinaire, voire exceptionnelles,
en trouvant la solution salvatrice, évitant ainsi l’accident.
T.M.
- La conjonction de cette chance et de ce commandant particulièrement doué
ont donc sauvé des vies humaines.
J.B.-
Oui, en notant également que tous les passagers ont pu être évacués de la
carlingue qui flottait encore sur les eaux glacées, grâce à l’efficacité
du personnel de bord (non cité par les médias) et à la rapide intervention
des services de secours, entre autres, des "ferries" déroutés pour
contribuer au sauvetage des passagers et de l’équipage. Il a également été
annoncé que les autorités de New York sont intervenues rapidement pour prendre
en charge non seulement des passagers, mais également les familles des rescapés.
T.M.-
Cette prouesse est celle d’un pilote d’un "certain âge", alors
qu’en Europe, la limite pour exercer le métier de pilote de ligne avait été
ramené à 60 ans ?
J.B.-
J’ai déjà apporté des réponses à ce sujet dans votre interview à la
suite de la grève des pilotes contre le déplafonnement de l'âge de la
retraite de 60 à 65 ans. Je n’y reviendrai donc pas ici. Quel que soit âge,
force est de constater que dans cet exceptionnel exploit, l’expérience a été
un élément contributif très déterminant.
T.M.-
Les cas d’"amerrissage" sont quand-même rares, n’est-ce pas?
J.B.-
"Extrêmement rares". Je me souviens d’un amerrissage de nuit
d’un Constellation d’Air France, survenu le 3 août 1953, en pleine mer, au
sud de la Turquie. Dans une situation tout à fait exceptionnelle, le Commandant
de bord (Raymond Terry), en quelques secondes, grâce à son sang-froid, sa
parfaite connaissance de l’avion et la qualité de sa formation, réussit une
manoeuvre d’amerrissage extrêmement délicate à effectuer, de surcroît, en
pleine nuit. Seuls 4 passagers n’ont pu être sauvés. Le seul autre cas en mémoire
est celui de cet avion qui, en novembre 1996, étant à court de carburant,
avait été contraint d’amerrir à proximité de l'aéroport de Moroni
(Comores) où 123 des 175 passagers et membres d'équipage trouvèrent la mort.
T.M.-
Les caractéristiques de l’A320 ont-elles contribué à la réussite de cet
amerrissage ?
J.B.-
Comme tous les avions pressurisés, l’A320 est étanche, donc il peut
flotter. Cela étant - et sans pouvoir, ici, entrer dans les détails - ce sont
ses qualités aérodynamiques qui ont permis un pilotage précis dans les dernières
secondes avant l’impact, évitant ainsi un choc brutal avec rupture de la
cellule. Bien que les caractéristiques d’un avion retenues par des acheteurs
potentiels ne soient pas celles de ses qualités d’être insubmersible, il
n’en reste pas moins que les qualités de l’A320 ont été mises en exergue
par les commentateurs américains.
T.M.-
Bien que sachant que vous ne donnez généralement un avis que lorsque vous possédez
toutes les données du problème, il a été dit que la cause de cet accident
est un vol d’oiseaux qui aurait été avalé par les moteurs ?
J.B.-
C’est effectivement la cause annoncée : une collision avec une nuée
d’oies détruit les deux réacteurs qui cessent de fonctionner. L’avion ne
peut continuer à voler qu’en perdant de l’altitude. Il s’agit d’une
manifestation de ce que l’on nomme le "risque aviaire".
T.M.-
Ces collisions sont-elles vraiment dangereuses?
J.B.-
Deux cas sont à considérer : au sol et en vol. Lorsqu’un moteur s’étouffe
par ingestion d’oiseaux, alors que sa vitesse avant le décollage n’est pas
encore élevée, il peut interrompre le décollage et, en utilisant tous les
moyens à sa disposition (freins, aérofreins, reverses), s’arrêter avant
l’extrémité de la piste. Lorsque la vitesse à partir de laquelle l’avion
ne peut plus ralentir, est dépassée, il faut alors pouvoir continuer à accélérer
pour atteindre la vitesse permettant de décoller, sinon c’est une sortie en
bout de piste avec toutes les conséquences connues. En vol, si les moteurs
cessent de fonctionner dès décollage, le pilote n’a pas le choix et il doit
se poser quasiment dans l’axe de la piste. À une hauteur plus élevée -
comme c’est le cas concerné - il peut avoir le choix de la zone vers laquelle
il va diriger son avion (pour atterrir ou amerrir).
T.M.-
Le risque existe-il lorsque l’avion est plus haut ?
J.B.-
En vol de croisière, il n’y a aucun risque. Il y a très peu de risques de
rencontre de vols d’oiseaux lorsque l’avion continue sa montée après avoir
quitté la zone de l’aéroport. Cela étant, en survolant l’Ethiopie, j’ai
croisé, plusieurs fois, un énorme rapace, alors que nous volions à 3.000 mètres
!
T.M.-
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce risque ?
J.B.-
De très nombreuses rencontres d'oiseaux avec des avions sont enregistrées
chaque année, dont seulement 15% environ sont classées
"significatives" c'est-à-dire ayant donné lieu à des retards de
trafic (interruption du décollage, atterrissage de prudence, endoscopie des
moteurs avant de redécoller) ou à des dommages de toute nature.
T.M.-
Quels sont les dégâts qui peuvent être causés ?
J.B.
- Des dommages de toute nature : radômes et bords d'attaque des ailes enfoncés,
antennes arrachées, verrières opacifiées, moteurs plus ou moins endommagés.
Plus grave : au fil des années, une vingtaine d'avions civils, de tous types,
ont été totalement détruits dans le monde. Le plus spectaculaire étant celui
d'un DC10 qui s'est écrasé au décollage de l'aéroport de Kennedy (New York)
en 1975, après avoir ingéré plusieurs goélands dans les moteurs, le moteur 3
ayant explosé.
T.M.-
Une conclusion ?
J.B.-
La gravité du phénomène repose sur le fait que la plupart des collisions
ont lieu pendant les phases d'atterrissage et de décollage et à une faible
hauteur. Même si l’on sait qu’il est rarissime qu’un vol d’oiseaux
percute en même temps les deux moteurs, il n’en reste pas moins que c’est
ce qui s’est produit pour cet A320 d’US Airways.
T.M.-
Mais n’y a t-il pas eu des actions pour empêcher que des vols d’oiseaux
volent autour des aéroports ?
J.B.-
Depuis juillet 1989, la lutte contre ce risque est réglementée en France
par un arrêté ministériel. Il l’est également dans les autres pays.
Malheureusement, malgré toutes les méthodes d'effarouchement qui ont été
mises en oeuvre, le risque n'a pas encore pu être complètement éliminé. Le
serait-il dans les axes d’approche et décollage que cela ne pourrait être
efficace que très près du sol, mais pas à 1.000 mètres, hauteur atteinte par
l’avion au moment de l’impact.