Interview
de la rédaction de TourMaG
(publiée
sur le site : www.tourmag.com)
TourMaG
- La grippe porcine nous remet en mémoire
les pandémies des années passées : SARS (Syndrome
Respiratoire Aigu Sévère), vache folle, maladie du
poulet, hépatite, légionellose, ou toute autre épizootie ...
Jean
Belotti - ... ce qui nous fait froid dans le dos si l'on se souvient de la
grippe espagnole qui, au début du siècle passé, avait fait plus des 40
millions de morts dans le monde, et pourquoi pas aux ravages de la peste au fil
des siècles. Ne souriez pas, de 1984 à 1992, la peste humaine a encore causé
plus de 1200 décès notifiés à travers le monde.
TourMaG
- Une première question est de savoir -
alors que la prophylaxie a fait d'importants progrès - si le parapluie du
"principe de précaution" ouvert sur nos têtes par les dirigeants de
plusieurs pays, nous protège vraiment contre ce risque d'être contaminé ?
J.B.
- J'ai traité de ce principe et de son application au transport aérien
dans ma chronique de novembre 2001, à laquelle vous pouvez vous reporter. En
deux mots : La précaution est une disposition de prudence prise pour éviter un
danger ou ne pas s'exposer à un risque. Cette mesure vient à l'idée lorsqu'un
doute, une incertitude subsistent quant à la nature et aux effets de ce danger,
ainsi qu'à l'évaluation des risques qu'il entraîne. Une distinction
essentielle est à faire entre prévention et précaution : on fait appel au
principe de précaution quant "on ne sait pas", alors que les
mesures de préventions sont prises quand "on sait". Bien sûr,
ce n'est pas parce que l'"on ne sait pas" ce que contient le
danger et quels risques sont encourus qu'il ne faut pas réagir.
TourMaG
- Alors, dans quelles conditions ce principe de précaution,
peut-il être appliqué ?
J.B.
- Dans les principales conditions reconnues de mise en oeuvre de ce principe de
précaution, on lit que "l'action retenue doit être
proportionnée au degré de protection visé et comporter un volet de
connaissances complémentaires indispensables à la révision éventuelle des
dispositions prises". Il faut commencer par
établir la probabilité de la manifestation du risque. Or, donner une
probabilité à cette hypothèse n'est pas aisé. Les spécialistes disent que
le risque n'est pas nul, dans notre société dite moderne qui se complexifie,
de jour en jour. "Où en serions-nous
si nos ancêtres avaient appliqué le fameux principe de précaution et son
corollaire, le risque zéro ?" nous dit
Claude Allègre, éminent éditorialiste. Comme je l'ai démontré, si les
pilotes appliquaient ce principe, plus aucun avion ne décollerait !
TourMaG
- À ce stade, la question que tout le monde se
pose est de savoir comment ce principe de précaution peut être prescrit ?
J.B.
- On l'a vu apparaître dans la législation et plusieurs textes y font référence.
Mais comment respecter ce principe qui ne dit pas ce qu'on doit faire ? On
imagine, aisément, lorsque les conséquences résultant d'une non-application
dudit principe ou d'une prise de décision jugée, a posteriori, inadaptée,
la difficulté qui sera celle du juge de dire le droit.
En
effet, le qualificatif de "principe" sous-entend une règle de
conduite qui ne figure dans aucun texte. Par ailleurs, il convient de remarquer
que sur le plan de la physique, le "principe" correspond à une loi à
caractère général, régissant un ensemble de phénomènes vérifié par
l'exactitude de ses conséquences. Qui ne se souvient pas du principe d'Archimède,
qui est une loi vérifiable et mesurable ? Or, étant donné que la décision
est prise à titre de précaution, alors qu'"on ne sait pas" et
en ne s'appuyant donc que sur des considérations de divers ordres subjectifs,
il est évident que, d'un simple point de vue sémantique, le qualificatif de
"principe" est non fondé et devrait, par exemple, être remplacé par
"mesure".
TourMaG
- Précisément, des mesures graduées ont
été prises par les États !
J.B.
- Des mesures graduées sont concevables et même nécessaires dans de
nombreux domaines, comme par exemple dans la notation ; dans la sanction ; dans
la fréquence des entraînements et des repos d'un athlète, en fonction des
progrès réalisés,... mais elles sont inadaptées dans le cas qui nous
concerne.
TourMaG - Pour quelles
raisons ?
J.B.
- Lorsqu'une voie d'eau est ouverte dans une embarcation, il est inutile de
commencer à écoper avec un gobelet, puis - le niveau d'eau augmentant -
d'utiliser une casserole, puis une sceau ... car, finalement l'embarcation
finira par couler ! En revanche, la bonne solution est, en priorité, de
colmater la voie d'eau. Ainsi, lorsqu'il s'agit du risque de déclenchement
d'une pandémie, il serait plus judicieux et efficace de débuter par la
graduation maximum, seule mesure permettant l'éradication immédiate à la
source du mal ? D'ailleurs, il est permis de se demander sur quel constats se
sont appuyés les décideurs pour passer au niveau "5" ?
TourMaG
- Si je comprends bien, cela signifie qu'il faudrait isoler totalement la région
où est apparu du virus A/H1N1 à l'origine de la grippe porcine ?
J.B.-
... en retenant cependant que ce n'est pas parce qu'il est apparu au Mexique
qu'il y est né. En effet, les spécialistes nous disent que plusieurs souches
de virus sont capables de muter après s'être recombinés entre eux en échangeant
leurs gènes. Circulant à travers le monde, ils peuvent donc émerger en tout
lieu.
TourMaG - Mais n'y
a-t-il pas des mesures alternatives ?
J.B.
- Pour éviter la propagation du virus - par le milliard de passagers qui
prennent l'avion, chaque année - il y a probablement un certain nombre de
mesures qui peuvent être prises, mais à condition qu'elles soient appliquées
par tous les Etats et avec la même rigueur. Dans les mesures de sûreté du
transport aérien, cela ne sert à rien, si à l'escale "A", le
passager doit se déchausser et enlever sa ceinture, alors que la même mesure
n'est pas identique dans les escales suivantes. De même dans le cas de la lutte
contre le développement exponentiel d'une pandémie (la
grippe asiatique en 1957 a fait deux millions de morts),
cela n'est d'aucune efficacité de prendre certaines dispositions de vérification
de l'état de santé des passagers (exemple,
prise de leur température) en provenance d'un pays où
le virus à été décelé, si la même mesure n'est pas appliquée dans tous
les aéroports du monde. ("Il n'y a
aucune région où le virus pourrait
ne pas s'étendre". Source : OMS).
TourMaG
- Se pose également la question de savoir
si cette procédure de mesure de la température est vraiment une information
suffisamment fiable pour être certain que le passager est ou non contaminé ?
J.B.
- Je ne sais pas répondre à cette question. Cela étant dit, dès lors que la
durée d'incubation confirmée est de trois jours, la seule mesure efficace
serait alors de mettre en quarantaine tous les passagers cités, pendant cette période.
TourMaG
- Vous vous rendez-compte des difficultés
posées par ce type de décision ?
J.B.
- Elles sont connues, mais bien que pénalisantes pour d'aucuns pendant une
courte période, elles devraient être comprises et acceptées, faute de quoi,
les pénalisations et les effets en chaînes sur toute la planète seraient
beaucoup plus graves, voire deviendraient dramatiques.
TourMaG
- J'en reviens aux mesures prises qui paraissent avoir rassuré
le public sur la réactivité des Etats.
J.B.-
Vous dites "rassuré" (?), alors que les plus grands "hommes de
l'art" en la matière (épidémiologistes
et autres spécialistes) nous montrent qu'ils ne sont
pas d'accord entre-eux ! C'est ainsi que la plupart des modèles de masques
portés par les milliers de personnes ne seraient pas efficaces ! Ceux dont le
modèle est en stock ne le seraient que pendant une durée de 4 heures, ce qui
fait qu'il en faudrait au minimum deux par jour, par personne, soit 14 pour une
semaine..., mais alors les stocks seraient insuffisants ! Le médicament que
tout le monde peut acheter en pharmacie serait inefficace, (ces
"achats de précaution n'ont
aujourd'hui aucun intérêt", source
: le président de l'Ordre national des pharmaciens)
et pour cause, personne ne connaît le ratio de transmissibilité de ce virus,
c'est-à-dire son degré de contagiosité, de l'animal à l'homme (la
zoonose), puis de contagiosité inter-humaine, etc...
etc... Alors qui croire (?), étant donné que ce ne sont pas ces multiples
auditions télévisées des plus grands experts qui vont nous éclairer et nous
rassurer sur le niveau des connaissances acquises ! Entendre de tels avis
divergents ne peut donc que renforcer nos craintes et douter de la validité des
informations qui nous sont communiquées... en nous remettant en mémoire les
nuages de Tchernobyl, arrêtés à la frontière !
TourMaG
- Pourquoi cette précipitation à
ouvrir le parapluie du "principe de précaution" ?
J.B.-
L'exigence des citoyens quant aux niveaux de sécurité - refus général
d'admettre que le risque zéro n'existe pas - est telle que dès que survient un
événement touchant la population, il faut en trouver le responsable.
Souvenez-vous des reproches faits à la météo de ne pas avoir averti le public
de l'existence d'un danger imminent ! Reproche injustifié, car les
variables directrices, c'est-à-dire celles qui font que le phénomène
s'aggrave brutalement - ce qui arrive une fois tous les 10, 20, ou 50 ans - ne
sont malheureusement pas encore connues et ne peuvent donc pas êtres prises en
compte par les prévisionnistes. Résultat : de nos jours, dès qu'il existe le
moindre doute, les médias nous inondent de recommandations de prudence.., nous
annoncent de fortes pluies,... le déclenchement de l'alerte jaune... alors
qu'aucune perturbation ne s'est produite... et qu'il a même été constaté que
le ciel était resté bleu.
Ce réflexe
des hommes politiques de se placer sous la protection du parapluie du
"principe de précaution" résulte du même comportement, à savoir,
ne pas être inquiété si, a posteriori, il est démontré que les
mesures prises ont été, soit disproportionnées, soit nettement insuffisantes.
Il s'agit, ici, d'une priorité politique, non pas pour dégager la
responsabilité du ou des décideurs - souvenez-vous de la phrase "responsable,
mais pas coupable" - mais pour ne pas être mis sur la sellette... et
prendre le risque d'être débarqué au prochain remaniement ministériel.
Il
en est de même du comportement des institutions mondiales, telle que l'OMS qui,
bien qu'ayant reconnu le faible degré de dangerosité du virus du foyer de l'épidémie,
a pourtant maintenu son niveau d'alerte.
TourMaG
- Toujours est-il que les conséquences
peuvent être très pénalisantes pour le transport aérien.
J.B.-
Bien sûr. Alors que le ralentissement de l'activité économique a conduit à
la baisse du trafic due à la crise financière mondiale, il en est résulté
une perte de plus d'un milliard d'US$, rien que pour le premier trimestre 2009 (source
IATA) ; que plusieurs compagnies aériennes mettent la
clé sous la porte ; que d'autres procèdent à la suppression de lignes, procèdent
à des licenciements et reportent ou annulent leurs commandes d'avions ; que
plus de 600 appareils ont été immobilisés au sol, ... cette pandémie peut
porter un coup de grâce à certains acteurs. Est touchée de plein fouet, non
seulement l'industrie du transport aérien, mais également tous les autres
modes de transport et d'une façon générale, comme vous le savez bien, toutes
les entreprises impliquées dans la logistique du voyage.
TourMaG - Exact.
J.B.
- J'ajouterai que la mise en œuvre de telles mesures nécessite
d'importants investissements pour l'allocation des ressources ce qui a un énorme
impact sur la baisse du PIB des pays concernés.
TourMaG
- De telles mesures étaient-elles justifiées
?
J.B.-
En faisant l'hypothèse quelles sont efficaces, deux réponses :
Oui,
en tenant compte que si le virus semble être endormi avec l'arrivée des beaux
jours, personne n'est en mesure d'affirmer qu'il ne se réveillera pas à
l'approche de l'hiver, essentiellement dans l'hémisphère Nord.
Oui,
lorsqu'on apprend que la transmission à l'homme est facilitée du fait que nos
défenses immunitaires sont plus proches de celles du porc que de celles des
oiseaux par exemple, donc que le risque d'avoir un mutant transmissible d'homme
à homme est plus important à partir d'une infection par un virus porcin.
Non,
si on retient qu'en France, en ce début mai, seuls quelques cas étaient "en
cours d'investigation" pour "des symptômes
de grippe non graves" (source
: Institut de veille sanitaire).
Non,
si on tient compte, qu'à ce jour, dans le monde, seules environ 4.500 personnes
ont été contaminées avec seulement une cinquantaine de décès, au sujet
desquels il serait d'ailleurs bon d'en connaître la cause exacte !
TourMaG - Alors,
finalement, est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?
J.B.-
Force est de répondre "Non" si l'on tient compte du peu d'efficacité
des mesures prises et du faible taux d'expansion du virus alors que, chaque année,
rien qu'en France, il y a environ 3000 décès dûs à la grippe saisonnière,
4000 au Canada, 36000 aux Etats-Unis, donc des centaines de milliers dans le
monde.
TourMaG
- Vous avez évoqué la priorité politique,
mais n'y a-t-il pas également une priorité médiatique ?
J.B.
- Certes oui. Pour les médias, une telle pandémie est une manne du ciel qui
permettra de présenter des "Unes" bien remplies, contribuant à faire
perdre de vue la distinction qui doit être faite entre la peur irrationnelle et
les risques véritables.
TourMaG - Avez-vous une
conclusion ?
J.B.-
Je n'ai ni les connaissances, ni les compétences qui permettraient d'esquisser
une conclusion sur un sujet aussi complexe et sensible. En revanche, tous éléments
pris en compte, je pense que le peu de gravité de cette pandémie est
essentiellement dû au fait que le virus n'était pas tellement méchant et non
pas au nombre et à la nature des mesures qui ont été prises.
TourMaG
- Vous n'êtes donc pas rassuré pour
l'avenir ?
J.B.-
Tant que chacun tirera à hue et à dia dans un embrouillamini de décisions
isolées, non coordonnées, il y a peu d'espoir de voir le danger domestiqué.
Seule une décision de tous les Etats de notre planète de créer un organisme
international, dédié uniquement à la lutte contre les pandémies et pouvant déclencher
un plan d'action mondial, serait de nature à nous rassurer.
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