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      par René de Narbonne
Revue aéronautique de France NOV-DEC-1950-No 5


Le nouvel Air-Bleu, qui avait repris ses services sur des lignes amplifiées et avec le but précis du développement intensif de l'aviation postale devait connaître un remarquable succès: Daurat et Vanier décidèrent de l'orienter vers le trafic de nuit, seul susceptible de satisfaire à la nécessité de transactions toujours plus rapides. Il était, de plus, vexant de voir, chaque soir, l'avion allemand de la Lufthansa quitter le Bourget pour Berlin en emportant la poste française et revenir à 5 heures du matin en rapportant le courrier d'Allemagne alors qu'après de nombreux essais, l'on n'était parvenu, en 1938, à maintenir aucun service français régulier de nuit.

Avec sa prodigieuse ténacité, Daurat harcèle les différents services officiels intéressés: météo, radio, infrastructure, tandis que Vanier pousse activement l'entraînement de ses pilotes et les essais de nouveau matériel : le bimoteur Gaudron Goéland. Des vols de reconnaissance, qui les conduisent, tous deux sur les nombreux terrains desservis, permettent de s'assurer de l'équipement, du jalonnement, du balisage, de la protection des routes aériennes; toute mise en place évidemment utile à l'entraînement de nos équipages militaires alors en alerte devant, la menace du Reich.
Vanier a terminé brillamment l'année 1937: il vient de remporter, devant, tous ses camarades, des lignes aériennes françaises, le prix de l'étape spéciale en faisant équipage avec le radio Pauzié. Ce prix, qui portait le nom de « Prix Gourp-Erable », était décerné chaque année par l'Aéro-Club de France, au pilote ayant parcouru le plus grand nombre de kilomètres sur l'étape la plus difficile. En 1937, le parcours, désigné était Paris-Clermont-Ferrand-Saint-Etienne-Lyon-Grenoble : aussi l'Aéro-Club d'Auvergne, tint-il à remettre à Vanier, sur le terrain d'Aulnat, une plaquette «témoignant de son admiration pour le travail obscur et ingrat réalisé dans des conditions souvent très difficiles par les équipages de l'aviation postale».
Au cours de l'hiver 1938-1939, Vanier a effectué de nombreux vols sur la ligne Paris-Toulouse-Perpignan et, bien souvent, a du atterrir de nuit au Bourget: ainsi le samedi 22 janvier où, ramenant de Toulouse le directeur régional des P. T. T. du Sud-Ouest, M. Duges, il s'est posé, au soir, dans la brume, sur le grand aérodrome parisien. Vanier et Pauzié montaient ce jour-là leur P-Anri qui, depuis les tous premiers débuts, est affecté au chef-pilote. Le temps était froid et couvert. Le Simoun volait depuis Toulouse dans les nuages sans avoir réussi à les survoler. Lorsqu'il parvint à proximité du Bourget, Pauzié reçut par radio l'ordre de se maintenir à 1.200 mètres dans un périmètre éloigné de la zone d'atterrissage; leur numéro d'ordre de présentation était le 5 et ils durent attendre longtemps que leurs prédécesseurs effectuent leurs manoeuvres d'atterrissage sans visibilité. Les conditions atmosphériques s'aggravent au point que le troisième appareil doit s'y prendre à deux fois pour se poser et que le quatrième, un belge de la S.A.B.E.N.A., reçoit l'ordre de retourner à Bruxelles. Pauzié suit tout cela et transmet à Vanier ces différentes indications. Or, le Simoun n'a pas assez d'essence pour rallier un terrain dégagé: le plus proche, d'après la météo, se trouvant à 300 kilomètres. La nuit totale est venue durant le temps 1 h. 15 Vanier a tourné dans la bruine, heureusement sans givrage, attendant son tour. Il insiste pour se poser et en reçoit l'autorisation un peu avant 18 heures. Les manoeuvres se déroulent correctement, puis c'est l'approche du terrain: à 20 mètres, premier palier, le pilote ne voit pas le sol . Il descend à 10 mètres: toujours rien. La nuit est très obscure et l'humidité qui suinte partout rend
les vitres presque opaques, aucune lumière ne perce le brouillard. Vanier, se sachant au-dessus du terrain, descendit encore; soudain, il toucha des roues: l'avion volait encore à près de 120 à l'heure et rebondit pour retomber sur la roue droite: le plan toucha. Le fuselage se retourna presque complètement. Aucune parade n'avait été possible, le pilote ignorant en quel endroit du terrain il se trouvait au moment du contact. Vanier, Pauzié et leur passager sortirent de la carlingue sans la moindre blessure et se trouvèrent isolés dans le noir; les phares d'une voiture qui les cherchait éclairèrent soudain, à quelques mètres devant eux, le rond blanc qui marque le centre de l'aérodrome: ils en étaient à moins de 50 mètres.
Tel fut mon seul accident depuis 1919, raconte Vanier, et je puis vous jurer que jamais de ma vie je n'ai eu aussi chaud qu'en ce maudit soir d'hiver.
Quant à M. Duges, le passager, qui avait choisi ce jour difficile afin de se rendre compte par lui-même des possibilités d'amélioration des différents relais du service, il se déclara enchanté d'avoir participé à cette démonstration d'aviation postale par tous les temps : il n'en fut par la suite que plus acharné à défendre les lignes du réseau.

Cotte expérience, après beaucoup d'autres, prouvait, assez la possibilité de commencer immédiatement les vols de nuit; pourtant, ce ne fut qu'en mai 1939 que les lignes postales nocturnes furent inaugurées. Dans l'intervalle, Vanier poursuivit courriers, essais et entraînement de ses pilotes.
Un jour, au cours d'un vol sur Toulouse, il effectua, avec un vent favorable, les 608 kilomètres du parcours en 1 h.45, soit à près de 375 à l'heure. Une autre fois à la fin de juillet 1937 il prit part aux essais de l'Air-Couzinet-10 qui intéressait particulièrement Daurat et sur lequel l'on monta des moteurs Hispano 14 A.B. et des aménagements pour
le transport de la poste: la guerre seule empocha la construction en série et l'adoption de ce bimoteur Bleu était reconnu par les services officiels au point 10 août 1939.
La compétence des pilotes et des techniciens d'Air-Bleu était reconnu par les services officiels au point que le ministère de l'Air décida de leur faire exécuter des essais pratiques d'utilisation par mauvais temps du Potez-630, biplace de chasse, que l'on venait d'équiper des mêmes moteurs que le Couzinet-10. Vanier fut chargé de ces vols d'expérimentation et convoya, le 5 octobre 1938, cet appareil de Villacoublay au Bourget: il était accompagné de Daurat qui devait, jusqu'en mai 1939, participer avec le chef-pilote à de nombreux vols -sur cet avion. Parallèlement à ce travail de pilote d'essais, Vanier poursuivait avec succès, depuis janvier 1938, la mise au point du premier Gaudron-Goéland destiné aux vols postaux de nuit. D'après ses comptes rendus, l'inauguration de ce nouveau service pouvait avoir lieu au mois d'avril suivant.

Il serait fastidieux d'exposer ici, à la suite de quelles tristes manoeuvres, et de quelle impéritie, la livraison des appareils d'abord, la mise au point de l'infrastructure ensuite,  retardèrent de plus d'un an le premier vol de nuit Paris-Bordeaux-Mont-de-Marsan-Pau. Les postes goniométriques «sans effet de nuit» installés à Agen et Limoges, n'entrèrent en service que le 1" mai 1939, alors que le 20 janvier 1938, Vanier avait reçu à Guyancourt le premier Goéland sur lequel fait unique en France à cette époque étaient montés deux postes radio et que, le 5 mars suivant, cet appareil avait été conduit, à Toulouse par le chef-pilote accompagné de Daurat afin de lui faire exécuter ses derniers essais d'équipement radio-électrique.
Fixée d'abord au 7 mars, puis au 1er mai, l'inauguration du vol postal nocturne eut enfin lieu le 10 mai 1939: trois Goélands seulement avaient été livrés, ce qui ne permettait d'exploiter qu'une ligne : Paris-Pau. L'utilisation du petit bimoteur Caudron qui constitua depuis le plus clair de notre flotte commerciale et fut, on outre, le seul bimoteur léger d'entraînement employé dans les écoles de l'armée de l'air, s'avéra un succès véritable; il est juste de signaler que sa mise au point pratique cellule et moteurs fut intégralement l'oeuvre de Daurat à laquelle Vanier ne cessa de collaborer efficacement avec sa ténacité coutumière.
Lorsque le mercredi 10 mai 1939, à 22 h. 45, le chef-pilote qu'accompagnaient son fidèle radio Pauzié et Didier Daurat prirent le départ pour Bordeaux et Pau, il avait accompli en moins de deux ans, sur les seules lignes d'Air-Bleu quinze cents heures de vol.
Une certaine solennité entoura ce premier vol du courrier postal nocturne: quand les cinéastes et les reporters de la radiodiffusion voulurent faire parler Raymond Vanier, il se déroba pour monter à son poste de pilotage et là, carrant ses larges épaules au dossier de son siège, il se sentit chez lui. Que de progrès pourtant depuis l'époque, récente encore, les pilotes devaient partir à l'aveuglette sur de fragiles appareils démunis de toute liaison avec le sol et avec des renseignements météorologiques le plus souvent fort sommaires. Parfois, les nuages bas, la pluie, la neige masquaient la cimes des arbres bordant le canal du Midi, une violente tramontane secouait les Breguet et les Laté, l'avion devait se faufiler dans les défilés pyrénéens, traverser les sierras au milieu de la tempête d'ouest qui ne s'arrêtait qu'à Gibraltar; parfois aussi, une mince couche de brume recouvrait le littoral de la côte saharienne d'Agadir à Juby, de Cisneros à Port-Etienne pour ne se dissiper que sous l'action torride du soleil du Sénégal; souvent encore, l'appareil saisi par la tornade craquait de toute part, semblant à chaque seconde échapper au contrôle du pilote, bien heureux lorsqu'il ne lui fallait pas se «vomir» sans délai au bord d'une sebkra ou sur une plage déserte. Ainsi étaient tombés Lécrivain, des Pallières, Hamm, Barbier et tant d'autres que l'insuffisance du matériel ou de l'infrastructure avait tués aussi sûrement que la guerre la plus meurtrière.
Les moteurs étaient susceptibles de si graves défaillances que l'on devait, le plus souvent, mettre deux appareils volant de conserve pour n'assurer qu'un seul courrier et nombreux sont les cas ou cette sage mais onéreuse précaution sauva seule de la mort ou de la captivité pilotes et mécaniciens de la ligne.
Les équipements précaires et rares ne comportaient que les instruments de navigation et de contrôle strictement indispensables... dont la fidélité n'était d'ailleurs pas sans faiblesses.

C'est dans ces conditions que, quinze ans durant, la tête au vent de l'hélice, les yeux brûlés par le sable ou la pluie, les oreilles bourdonnantes, l'esprit tendu dans la crainte d'une panne toujours tragique et parfois néfaste, volèrent de Toulouse à Casa, de Casa à Dakar, de Pernombouc à Santiago, les pilotes du courrier. Un jour, la météo s'organisa, la radio assura la liaison avec les postes au sol un camarade anonyme guida désormais les appareils sur leur route difficile, les dirigea vers les fortins de sécurité ou leur permit de rallier les pistes reconnues, objet d'une surveillance constante. Puis, le matériel, à son tour, s'améliora; à bord des Laté-28, l'équipage se forma : pilote, radio, mécanicien qui pouvait, d'après les enseignements de ses observations en vol, mettre au point le moteur aux escales dans les meilleures conditions de rapidité et de sécurité.
Lorsque apparurent les trimoteurs Dewoitine, les bimoteurs Potez-62 ou les Farman et les Latécoère-300 transatlantiques, la ligne changea apparemment de visage; et, pourtant, son esprit se maintint intact dans le cadre de l'organisation générale d'Air-France.
Vanier songeait à tout cela ce soir; la lueur irréelle radiant des instruments du tableau de bord marquait une présence réconfortante: un coup d'oeil rapide l'assure que tout était en ordre, parfaitement, méticuleusement en ordre, et qu'à la minute il ramènerait, d'un seul geste vers l'arrière les deux manettes des des gaz, le rite immuable du départ se déroulerait sans le moindre incident. Et l'on voulait faire de ce geste qui, pour Daurat maintenant installé à ses côtés au poste de second-pilote et pour lui, marquait l'aboutissement magnifique d'un labeur de vingt ans une scène de fait-divers dans la lueur factice des sunlights; non, c'était quelque chose de bien plus beau, de bien trop grand
pour tous ces gens qui n'avaient, certes, pas réalisé qu'une magnifique simplicité devait entourer cet acte et que ces deux hommes allaient accomplir ce vol comme 'l'on célèbre un service sacré.
J'ai demandé à Vanièr ce que fut ce voyage du 10 mai 1939; il m'a répondu textuellement:
Nous avons décollé du Bourget à 22 h. 45 et avons atterri à Bordeaux à minuit 48. Après quelques minutes pour déposer et prendre le courrier, nous sommes repartis à 1 h. 01 et arrivés à Pau à 1 h. 50. Libert, parti de Pau à 23 h. 48 nous a croisé à Bordeaux et M. Daurat est rentré à Paris avec lui. Ils ont atterri au Bourget à 3 h. 28. J'emportai 506 kilos de poste, Libert, 407.
Votre vol fut sans histoire...
Des histoires de vol de nuit, elles ne sont plus de mise à une époque où, dans tous les cieux du monde en guerre, tant de pilotes ne font que cela et avec combien plus de risques que nous!
Pour moi, je n'ai pu me contenter de ces réponses volontairement techniques et dépouillées de toute personnalité.
Je venais de revivre passionnément les épisodes de cette vie intense: j'avais encore autour de moi, dans mon bureau, les cartes de tous les pays survolés en vingt-cinq ans, dans les cieux de trois continents... Ce routier de la ligne Casa-Dakar, jalonnée des noms glorieux des pionniers presque aujourd'hui disparus et qui porte, à quelques 150 kilomètres dans le nord de Villa-Cisneros, l'indication de cap Vanier. Des cartes d'Espagne ou du Brésil avec les emplacements des nombreux dépannages, des photographies ou des films illustrant, cette existence ardente de pilote pour lequel son métier est tout... et j'ai rêvé de revivre par la pensée ce vol de nuit du 10 mai 1939. Il me suffisait de prendre dans un tiroir proche mes propres cartes aéronautiques de la France et de suivre le trait rouge qui marque la route si souvent parcourue: Paris-Bordeaux-Pau...

22 h. 15.
Tout est paré, monsieur Vanier.
Pauzié a refermé de l'intérieur et verrouillé la porte du Goéland, puis il a vérifié l'arrimage des sacs de courrier dont le ballant d'une demi-tonne risquerait de compromettre l'équilibre de l'appareil. Au moment le fin bimoteur s'est tourné vers la piste, roulant lentement encore sur l'aire cimentée, un éclair de magnésium a jailli: plus astucieux que 
ses confrères, un reporter a pu «tirer», au dernier moment, la photo unique: Raymond Vanier à son poste de pilotage.
22 h. 47. Vanier s'est faufilé au milieu des balises lumineuses, jalonnant les différentes bandes de décollage. Le vent est inférieur à 3 m/s; le départ est pris obligatoirement face au nord-est. Sur frein, un dernier point fixe. A droite d'abord, puis à gauche, 2.400 tours; les hélices à pas variables sont vérifiées, le pilote abaisse la manette qui les place sur fonctionnement automatique.
Paré! monsieur Daurat.
Allons-y.
La main droite ramène lentement en arrière les deux manettes que les doigts exercés synchronisent instinctivement; le regard vise, au loin, le phare de bout de piste à 1.800 mètres devant; l'avion s'ébranle, prend de la vitesse. Vanier a poussé sur le volant pour soulager la queue et mettre le bimoteur en ligne de vol; lourdement chargé, il court longtemps et le pilote lui laisse prendre sa vitesse: le Badin atteint 110 kilomètres à. l'heure, l'appareil, de lui-même, décolle dans la nuit. Virage à gaucho à 200 mètres d'altitude: Paris, déjà, a défilé sous les plans et voici la vallée de Chevreuse. Etarnpes est survolée à 1 h. 05. Vanier consulte son tableau de bord: altitude 800 m., régime de croisière, 2.250 tours-minute, vitesse, 250 à l'heure, cap au compas 220°. Tout, est correct et Pauzié qui vient d'entrer en relation avec Limoges et qui n'a pas quitté l'écoute du
Bourget, demande un premier relèvement afin de contrôler sa goniométrie:
Le Bourget, 425°; Limoges-Peytiat: 22° T. V. B. Les hangars de Mondésir s'effacent dans le nord-est et Vanier songe...
Il songe à ces premiers jours de mai 1919 voilà tout juste vingt ans il arrivait de Metz avec son Spad frappé de la mouette de la 57, ce Spad avec lequel il venait de terminer brillamment la campagne et qu'il amenait pour le stocker dans ces mêmes hangars de Mondésir. Il lui avait été pénible, alors, dans son enthousiasme de jeune vainqueur, de penser qu'il allait devoir quitter ce métier auquel l'attachaient déjà tant de prenants souvenirs. C'est alors que Beauté était venu, puis Daurat. Daurat avec lequel il avait vingt ans, poursuivi ce rêve de l'aviation postale dont ils franchissaient ce soir, ensemble, une nouvelle étape. L'Espagne, les îles du Cap-Vert, l'Afrique, le Brésil, courriers, dépannages, installations de bases de terrains, enfin ces deux dernières années il avait payé de sa personne, entraînant par son exemple toute l'équipe de ses navigants, auxquels Daurat et lui avaient su insuffler le même fanatisme qui avait permis la réalisation de la ligne Jean Mermoz.
Monsieur Vanier, Mérignac me passe la météo de Bordeaux: ils nous entendent très fort. Sur la montre de bord, les aiguilles radiantes se sont rejointes: minuit. A l'ouest, les lumières d'une grande ville et un phare: Poitiers.
Daurat et Vanier, peu loquaces tous deux, ne trouvent dans la satisfaction de l'oeuvre réussie nulle parole qui vaille la peine d'être prononcée. Depuis le temps qu'ils travaillent ensemble, et surtout ces dernières années qui les ont vu coeur à coeur, créer, sauver et ressusciter leur ligne, les mots sont devenus inutiles entre eux: d'ailleurs, par delà-le silence de ce vol nocturne, leurs pensées se rejoignent.
Elles évoquent les visages, les noms, le souvenir de tous ceux dont l'effort, uni au leur, s'est trouvé interrompu avant la victoire finale par le destin brutal qui les a jetés, luttant encore, dans la mort la plus belle qui soit pour un homme d'action.
Minuit 47. Escale de Bordeaux. Daurat descend pour se diriger vers l'appareil de Libert qui va repartir pour Paris. Les deux hommes se serrent la main.
Bonsoir, monsieur Daurat.
A demain, Vanier.
Quelques minutes plus tard, les appareils s'envolent dans la nuit, suivant l'horaire prévu, pensé, discuté, médité longuement par ces deux hommes.
Durant un an, la collaboration étroite de Daurat et de Vanier assura le succès remarquable de leur exploitation civile ou militaire, car les avions d'Air-Bleu furent, en septembre 1939, mobilisés avec leurs équipages et affectés à des liaisons urgentes d'états-major. Puis vint juin 40 et Vanier, ayant regroupé une partie de son personnel et de son matériel, continua quelque temps de voler.
Constructeurs avant tout, les deux hommes se réunirent souvent durant les années de deuil pour élaborer ensemble, et d'accord avec la direction des P.T.T., le projet du nouveau réseau postal aérien.
Des difficultés inhérentes à la réorganisation de notre aviation commerciale retardèrent jusqu'à l'automne de 1945 la réalisation de ce réseau qui, suivant les calculs de Daurat et de Vanier, aurait pu être inauguré au mois de janvier. Un jour, cependant-, M. Desbruères, directeur général d'Air-France, donna l'ordre d'exécution: un mois plus tard, très exactement, tout était prêt.
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Dans l'immense hall dont la réfection s'achève, une animation inaccoutumée règne ce soir à l'aérogare du Bourget. Une brève cérémonie au cours de laquelle le ministre des P.T.T. et celui de l'Air inaugurent officiellement le nouveau réseau postal de nuit, puis l'on passe sur la piste. Sous la lueur blafarde des phares, des postiers achèvent le chargement du grand trimoteur argenté qui, piloté par Clément, un ancien de l'Air-Bleu, va décoller pour Bordeaux, Toulouse Pau. Autour de Daurat et de Vanier, leur fidèle état-
major veille aux derniers détails de l'envol. Pauzié arrive, un message à la main: «Brun est parti de Pau à 21 h. 20, la météo est bonne sur le sud-ouest». Daurat consulte sa montre et l'ait un signe; il est 22 h. 35; les trois moteurs sont mis en route. Le directeur du réseau postal monte à bord et, avant de refermer la porte de la carlingue se penche vers Vanier pour une dernière recommandation. Un point fixe rageur, l'on enlève les cales, l'appareil vire au frein sur l'aire cimentée et va prendre sa piste. Quelques minutes plus tard, il s'envole dans l'ombre l'on distingue nettement d'abord ses feux, puis sa silhouette toute blanche accrochée par un projecteur. A quelques pas de nous, Vanier, qui a suivi l'envol jusqu'à ce que le feu rouge de queue se fut dissous dans la nuit, se dirige lentement vers son P.C. d'où il va suivre, comme chaque soir désormais, le vol de ses deux, puis de ses seize appareils, lorsque toutes les lignes seront en exploitation.
René de NARBONNE.


source 



Aéronautique. La règle officielle qui lie les 4 compagnies ci-contre a été "TOUJOURS ALLER VOIR". Deux personnages légendaires l'ont imposée.
Didier Daurat pilote, fin été 1919, puis  chef d'exploitation (1920-1948) et,
Raymond Vanier (pour lui "ALLER VOIR ET INSISTER"), pilote puis chef pilote de 1919 à 1959 . C'était leur minima*.
*minima, valable pour toutes les autres compagnies: ensemble de valeurs qui permet à un avion de se poser, visibilité, plafond des nuages, équipement avion, infrastructure de la piste, qualification équipage.
C.G.E.A. Compagnie Générale d'Entreprises Aéronautiques 1919-1927  TOULOUSE-DAKAR
AEROPOSTALE (Compagnie Générale Aéropostale)  1927-1931...1933  FRANCE-DAKAR- AMERIQUE DU SUD & AFRIQUE
AIR BLEU (Airbleu) 1935-1939 France métropolitaine
POSTALE DE NUIT 1945-2000 France métropolitaine (secteur Air France)
Plusieurs appellations: API, Aviation postale intérieure, CEP, centre d'exploitation postale etc. 




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