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Comment, en huit
jours, le courrier est acheminé de Toulouse à Santiago
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Revivez le voyage du journaliste français Geo Ham
(de son vrai nom Georges
Hamel) qui, en 1932, parcourt trois
continents pour accompagner le courrier entre Toulouse
et Santiago. À travers son récit, vous vivrez l'aventure
de ces lettres dans les airs et sur les mers. Geo Ham
vous fera connaître les héros de ce défi quotidien, ces
hommes qui luttent pour porter une « simple » missive à
l'autre extrémité du monde, au péril de leur vie.
Ce sont ses notes crayonnées au hasard des vols et des étapes, que vous lirez. Elles dépeignent les périls affrontés quotidiennement par les hommes de l'Aéropostale. Son récit est publié dans la revue française L'illustration, en 1932. Départ de Toulouse - Destination Dakar Par cette aube
pluvieuse, l'aéroport de Toulouse s'éveille lentement.
[...]
Sur le terre-plein s'entassent des sacs de courrier sur lesquels je lis au hasard : Dakar, Rio, Buenos Ayres, Santiago... Et je salue en eux mes futurs compagnons de voyage, ceux qui partageront avec moi le fond obscur de la carlingue [...] Un autocar sortant également de l'ombre amène des passagers, car jusqu'au Maroc le service n'est pas strictement postal et l'avion est un grand appareil confortable pouvant contenir douze personnes. Je ne fais donc pas encore connaissance avec la soute aux bagages. «Je m’installe tant bien que mal dans cet étroit réduit encombré de colis, d’armes et de sacs. (…) Dernières recommandations concernant la génératrice qui tourne à quelques centimètres de ma tête ; salut de la main à l’équipage avec lequel je vais partager une nuit pleine d’aléas ; et dans le vrombissement du moteur, au milieu d’un nuage de poussière nous décollons. (…) Au-dessus de moi l’échappement lance de longues flammes bruyantes. Je n’ai plus pour horizon que les sacs de courrier dont chacun représente une étape de ma randonnée (…)» [...] le «Laté 28» sautille dans les flaques de boue, gagne les balises aux feux rouges et s'élève dans les rafales de pluie. Il est 5 h 30; [...] Bientôt l'orage éclate et les remous nous secouent fortement; notre pilote, Delpeuch lutte contre les éléments déchaînés; la T.S.F. crépite; par les hublots les éclairs radient la cabine et la foudre éclate près de nous... Nous sommes obligés d'atterrir à Carcassonne où l'on nous confirme téléphoniquement que la tempête fait rage sur Barcelone. Qu'importe!... Le courrier est chose sacrée que ne doivent retarder ni les hésitations ni les fatigues d'un équipage : vingt minutes plus tard, nous décollons en direction de l'Espagne, et Delpeuch, vieux routier de la ligne, va tenter de passer par le Perthus. [...] Quelques minutes
d'arrêt à Barcelone pour déposer les sacs postaux et
nous survolons les côtes catalanes bordées de plages
d'or; [...]
[...] Alicante enfin où, sur l'aérodrome, un avion nous attend moteur au ralenti. Transfert des bagages, potage brûlant à la cantine et nous reprenons notre course. [...] Et voici l'Afrique : alors le décor change brusquement. [...] D'étranges têtes enturbannées se penchent sur l'avion pour s'emparer des sacs de courrier... Et, sans même avoir quitté la carlingue, nous repartons vers Casablanca où pilote et appareil termineront leur étape; il sera 18 h 10. Sur l'aérodrome un « Laté 26 » m'attendra. [...] dans la soute arrière, les indigènes chargent le fret et je m'installe tant bien que mal dans cet étroit réduit encombré de colis, d'armes et de sacs. Pour me donner de l'air et du jour, on a retiré le couvercle de ma boîte; et le vent, qui n'est retenu par aucun pare-brise, me laboure le visage. [...] je me recroqueville dans mon « poil de chameau », transpercé par le froid subit des nuits sahariennes; [...] Je n'ai plus pour horizon que les sacs de courrier dont chacun représente une étape de ma randonnée [...] Des claquements m'éveillent : moteur réduit, nous descendons vers un rectangle lumineux entouré de petits feux routes : c'est Agadir. Officiers et indigènes
nous entourent. Un magnifique guerrier chleuh, entre
autres, attire mon attention : son turban bleu, sa
ceinture hérissée de poignards aux pommeaux de cuivre et
la grosse cordelière qui retient sur sa poitrine de
nombreux fétiches et amulettes qui lui donnent grand
air... Mais, geste inattendu, le voilà qui relève son
burnous, ajuste des lunettes sur son masque sauvage et
enjambe délibérément la carlingue de l'avion dans lequel
nous venons de prendre place! Avec une impassibilité
tout orientale, il s'installe à côté de moi sur un fût
d'eau douce. En cas de panne chez les pillards du Rio
del Oro, ce Chleuh doit nous servir d'interprète,
discuter notre rançon et tenter d'éviter notre massacre.
Et je songe avec un frisson aux supplices qu'à chaque
voyage risque notre pilote. [...]
À 1 h 15 nous arrivons à Cap Juby; une enceinte de fils barbelés nous sépare seule des campements d'insoumis aux aguets; de bruns guerriers voilés nous accueillent avec des cris gutturaux et nous offrent des oeufs frits à l'huile d'arachide. Un chef maure a remplacé le beau Chleuh; [...] [...] Villa Cisneros : dans le quadrilatère que dessinent les projecteurs, un sac de lettres tombe parmi les silhouettes lilliputiennes qui s'agitent... Et nous passons. Ce n'est qu'à l'aube qu'apparaîtra Port-Étienne dans la blondeur de ses dunes; pour faciliter l'atterrissage, des Touareg se pendront aux ailes par grappes bondissantes. Mais je ne jouirai guère du pittoresque des lieux puisque au bout de dix minutes nous survolerons à nouveau le désert fastidieux, accablant, infini... L'atmosphère est
irrespirable et je cherche en vain l'ombre dans mon
étroit réduit, parmi les tôles brûlantes et les vapeurs
enflammées que l'échappement crache près de mon visage;
[...] Un drapeau français flotte : jalon tricolore sur
la route postale.
source warmuseum.canada Cependant les dunes se piquent de boqueteaux roussâtres; bientôt apparaissent les paillotes et les eaux limoneuses du Sénégal : voici l'aérodrome de Saint-Louis et, vingt minutes plus tard, celui de Dakar. |
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En
1931, il fut désigné comme peintre officiel du Ministère
de l'Air (ce titre lui fut néanmoins retiré au lendemain
de la seconde guerre). Son employeur, le magazine
l'Illustration le missionna pour décrire les conditions
de vie des pilotes sur les lignes aéropostales. Il
traversa l'Atlantique avec les aviateurs les plus
chevronnés, pour mieux raconter l'épopée de ces
pionniers. Géo Ham était l'ami de Mermoz et de Saint
Exupéry. Il accompagna Henry Guillaumet en 1932 lors de
sa traversée de la Cordillère des Andes. En plus des
illustrations, il assurait la rédaction complète des
sujets dans un style plein de passion et de plaisir qui
n'avait rien à envier à celui des meilleurs
journalistes. C'était
un véritable conteur.
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